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il n'est pas possible de traiter des grands intérêts généraux, religieux, éternels, universels sans leur donner un caractère personnel, je dirais plutôt individuel. Tout chrétien, pour montrer son christianisme, son agonie chrétienne, doit dire de soi: ecce christianus, comme Pilate dit : « Voici l'homme! » Il doit montrer son âme de chrétien, celle qu'il s'est faite dans sa lutte, dans son agonie de chrétien. Car l'homme ne naît pas avec une âme, il meurt avec elle quand il s'en est fait une. Et la fin de la vie est de se faire une âme, une âme immortelle. Une âme qui serait notre propre ouvrage. Car, au moment de mourir, on laisse un squelette à la terre et une âme, une œuvre à l'histoire. Cela quand on a vécu, c'est-à-dire quand on a lutté avec la vie qui passe pour la vie qui demeure.

Et la vie? Qu'est-ce que la vie? Question plus tragique que Qu'est-ce que la vérité ? Car si la vérité ne se définit pas, puisque c'est elle qui définit, on ne définit pas non plus la vie.

Un matérialiste français, je ne me rappelle plus lequel, a dit que la vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort. Définition agonique, ou, si l'on veut, polémique. La vie était donc pour

lui la lutte, l'agonie. Contre la mort, et aussi contre la vérité, contre la vérité de la mort.

On parle de struggle for life: mais cette lutte pour la vie est la vie même, la life, et c'est tout ensemble la lutte même, la struggle.

Voici qui est à méditer : c'est ce qu'entend la légende biblique, la Genèse, lorsqu'elle dit que la mort s'introduisit dans le monde par le péché de nos premiers parents, parce qu'ils voulurent être comme des dieux, c'est-à-dire immortels, par l'absorption de la science du bien et du mal, de la science qui donne l'immortalité. Et ensuite, selon la même légende, la première mort fut une mort violente, un assassinat, celui d'Abel par son frère Cain. Et un fratricide.

Nombreux sont ceux qui se demandent comment meurent les bêtes fauves lions, tigres, panthères, hippopotames dans les forêts ou les déserts où elles vivent; si on les tue ou si elles meurent de cela qu'on appelle mort naturelle, en se couchant dans un coin pour mourir, seules et dans la solitude comme les saints les plus grands. Et comme mourut sans doute le plus grand saint de tous les saints, le saint inconnu, - inconnu d'abord

de lui-même. Lequel peut-être naquit déjà mort.

La vie est une lutte et la solidarité pour la vie est une lutte et se manifeste par la lutte. Je ne me lasserai pas de répéter que ce qui unit le plus les hommes entre eux, c'est leurs discordes. Et ce qui unit le plus un homme avec soimême, ce qui fait l'unité intime de notre vie, c'est nos discordes intimes, les contradictions intérieures de nos discordes. On ne se met en paix avec soi-même, comme Don Quichotte, que pour mourir.

Et si telle est la vie physique ou corporelle, la vie psychique ou spirituelle est à son tour une lutte contre l'éternel oubli. Et contre l'histoire. Car l'histoire, qui est la pensée de Dieu sur la terre des hommes, manque d'une suprême finalité humaine et marche à l'oubli et à l'inconscience. Tout l'effort de l'homme est de donner une finalité humaine à l'histoire ; une finalité surhumaine, dirait Nietzsche qui rêva cette absurdité : le christianisme social.

II

L'AGONIE

L

'AGONIE est donc une lutte. Et le Christ vint nous apporter l'agonie, la lutte et non la paix. Il nous le dit lui-même.

Ne pensez point que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Je suis venu séparer l'homme de son père et la fille de sa mère et la fiancée de sa bellemère et soulever contre l'homme ses propres domestiques. (Matth., x, 34-37).

Il se rappelait que les siens, ceux de sa maison, sa mère et ses frères l'avaient pris pour un fou qui était hors de soi, égaré, et qu'ils avaient été le rechercher. (Marc, III, 21.) Et ailleurs :

Je suis venu apporter le feu sur la terre. Que veux-je, sinon qu'il s'allume ?... Croyez-vous que je sois venu donner la paix à la terre? Non, je vous le dis, mais la division; dès maintenant ils seront cinq divisés dans une seule maison, trois se diviseront contre deux

L'AGONIE DU CHRISTIANISME

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et deux contre trois; le père contre le fils et le fils contre le père, la fille contre la mère et la mère contre la fille, la belle-mère contre sa bru et la bru contre la belle-mère. (Luc, x11, 49-54.)

Et la paix ? nous dira-t-on. Car on pourra produire d'autres passages de l'Évangile, et plus nombreux et plus explicites sans doute, où il est question de paix. Mais cette paix se donne dans la guerre et la guerre se donne dans la paix. Et c'est là l'agonie.

la vie

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Quelqu'un pourra dire que la paix est ou la mort et que la guerre est la mort, ou la vie, car il est presque indifférent de les assimiler respectivement à l'une ou à l'autre ; et la paix dans la guerre, ou la guerre dans la paix, c'est la vie dans la mort, la vie de la mort et la mort de la vie : l'agonie.

Conceptisme? Saint Paul alors est conceptiste, et saint Augustin et Pascal. La logique de la passion est une logique conceptiste, polémique et agonique. Et les Évangiles sont gonflés de paradoxes, d'os qui brûlent.

De même que le christianisme, le Christ agonise toujours. « Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. » Ainsi écrivait Pascal dans le Mystère de Jésus.

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