Obrazy na stronie
PDF
ePub

LE MECKLEMBOURG.

II.1

HISTOIRE ET CONSTITUTION.

Les plus anciennes notions que l'on possède sur le Mecklembourg ne remontent pas au-delà du VIIIe siècle. Antérieurement à cette époque, toute l'histoire de cette partie de l'Allemagne est enveloppée d'un nuage épais. On ose à peine l'aborder, car on n'a, pour la reconstruire, que de vagues et incertains récits, ou des hypothèses qu'aucun fait positif ne justifie; les savans disent que ce pays était primitivement habité par une race germanique. Mais quelle était cette race? comment était-elle entrée dans le Mecklembourg? comment en estelle sortie? C'est ce que nulle chronique ne raconte, ce que nul document n'explique. Peut-être était-ce une partie des Hérules, des Vandales, qui s'adjoignit vers la fin du Iv° siècle aux migrations de la grande race, et quitta ses foyers pour envahir le monde. Quoi qu'il en soit, à l'époque où l'histoire du Mecklembourg commence à se dégager de ses voiles, nous trouvons ce pays occupé par les Slaves.

C'est une chose singulière que, dans un temps d'investigations comme le nôtre, au milieu de nos recherches érudites et de nos travaux excentriques, nous avons encore si peu tourné les regards du côté de cette innombrable famille des Slaves, dont l'empire touchait jadis à la mer Adriatique, à l'océan Glacial, au Kamstchatka et à la mer Baltique. Il y a pourtant là une vaste et curieuse histoire qui tient à la nôtre par plusieurs points, une langue qui est

(1) Voyez la livraison du 19 janvier.

TOME XIV. FEVRIER.

6

encore parlée par plus de cinquante millions d'hommes, et une littérature riche et originale.

Les premières traditions du Mecklembourg forment un chapitre de cette vaste histoire; peut-être nous saura-t-on gré d'en reproduire ici les traits les plus saillans. La tribu de Slaves qui avait envahi le nord de l'Allemagne et s'étendait le long de la mer Baltique, était connue sous le nom de Wendes et se subdivisait en plusieurs peuplades. La plus puissante était celle des Obotrites qui avait pour capitale Mikilembourg (grande ville), d'où est venu le nom de Mecklembourg, et celle des Wilze qui occupait en grande partie le Brandebourg.

Tous les historiens s'accordent à représenter les Slaves comme une race d'hommes d'une nature douce, inoffensive, aimant le travail et la vie domestique. Dès que dans leurs migrations ils trouvaient un endroit convenable, ils se bâtissaient aussitôt une demeure, défrichaient le sol et se faisaient aimer de leurs voisins par leurs habitudes paisibles et leurs vertus hospitalières. On raconte que, quand ils étaient forcés de quitter leur habitation pour entreprendre un voyage de quelques jours, ils avaient coutume de laisser la porte ouverte, de mettre du bois dans le foyer et des provisions sur la table, afin que, si un étranger venait à passer par là pendant leur absence, il pût tout à son aise entrer et prendre ce dont il avait besoin (1). A ces qualités du cœur, les Slaves joignaient les qualités physiques qui n'appartiennent qu'aux hommes de la nature. Ils étaient doués d'une force de tempérament presque invincible, et d'une adresse prodigieuse à tous les exercices du corps; ils pouvaient, ainsi que les sauvages de l'Amérique, se rouler comme une pelote, se tapir comme des blaireaux sous une racine d'arbre et attendre là des jours entiers que leur ennemi vînt à passer. Ils pouvaient se tenir cachés sous l'eau pendant de longues heures au moyen d'un léger tuyau qui leur servait à reprendre

(1) M. Sainte-Beuve a écrit sur cette hospitalité des Slaves un sonnet que nous sommes heureux de pouvoir joindre à notre récit :

Le vieux Slave est tout cœur, ouvert, hospitalier,
Accueillant l'étranger comme aux jours de la fable,
Lui servant l'abondance et le sourire affable,

Et même, s'il s'absente, il craint de l'oublier.

Il garnit en partant son bahut de noyer;

La jatte de lait pur et le miel délectable,

Près du seuil sans verroux, attendent sur la table,

Et le pain reste cuit aux cendres du foyer.

Soin touchant! doux génie! Ainsi fait le poète :
Son beau fruit le plus mûr, sa fleur la plus discrète,
Il l'abandonne à tous; il ouvre ses vergers.

Et souvent, lorsqu'ainsi vous savourez son ame,
Lorsqu'au foyer pieux vous retrouvez sa flamme,
Lui-même il est parti vers les lieux étrangers.

haleine. Tout ce qui nous reste de leurs anciennes poésies populaires est un témoignage évident de leur admiration pour le courage et la force. Quel homme que ce Marco dont les chants serviens racontent les voyages aventutureux et les combats! Sa volonté est inébranlable, et sa vigueur sans bornes; nul ennemi ne l'effraie, nul obstacle ne l'arrête, et il vit trois cents ans. L'Hercule des Grecs n'est pas plus audacieux que lui, et le Staerkodder des Scandinaves n'est pas plus terrible. En même temps que ces chants énergiques et naïfs racontent les exploits des guerriers, les luttes des partis, ils célèbrent la grace modeste, la timidité virginale des jeunes filles qui apparaissent dans les fêtes, les yeux baissés et le visage couvert d'une pudique rougeur. La tradition scandinave d'Ottar et Sigride raconte que, quand la jeune fille conduisit le soir son fiancé au lit nuptial, elle ne leva les yeux sur lui qu'au moment où la torche enflammée qu'elle tenait à la main vint à lui brûler les doigts. Il y a dans les poésies serviennes plusieurs images virginales du même genre. Telle est entre autres celle de Militza dont son amant n'a pas même pu, pendant trois longues années, obtenir un regard.

« De longs sourcils s'abaissent sur les joues roses de Militza, sur ses joues roses et sur son doux visage. Pendant trois ans j'ai contemplé la jeune fille, et je n'ai pu voir ni ses yeux chéris, ni son front de lys. Je l'ai conduite à la danse, j'ai conduit Militza à la danse, et j'espérais voir ses yeux.

<< Tandis que les cercles se forment sur le gazon, tout à coup le soleil s'obscurcit, l'éclair brille à travers les nuages. Les jeunes filles lèvent les yeux au ciel, mais Militza ne lève pas les siens, elle regarde le gazon, et ne tremble pas. Ses compagnes lui disent:

« O Militza, quelle témérité ou quelle folie? Pourquoi restes-tu ainsi les yeux baissés sur le gazon, au lieu d'observer ces nuages que la foudre enflamme?

« Et Militza répond avec calme : Ce n'est ni de la témérité ni de la folie. Je ne suis pas la sorcière qui amasse les nuages. Je suis une jeune fille, et je regarde devant moi. »

Le peu qui nous reste des traditions wendes rappelle, par certains détails d'une énergie presque sauvage et par certaines idées aventureuses, les traditions d'Islande. Telle est, par exemple, cette histoire d'un roi fabuleux nommé Anthyre, compagnon d'armes d'Alexandre-le-Grand. Après la mort du héros, Anthyre quitta l'Asie et s'empara des provinces du nord. C'est lui qui bâtit la ville de Mikilembourg, et la fortifia par trois châteaux qui avaient douze lieues de circonférence; c'est lui que les chroniques du peuple désignent comme le chef de la maison régnante de Mecklembourg. Si le fait était vrai, il n'y aurait point de maison aussi ancienne dans le monde, car elle remonterait à plus de trois cents ans avant la naissance de Jésus-Christ. Lorsque les troupes de Wallenstein envahirent le Mecklembourg, pendant la guerre de trente ans, on trouva, dit-on, dans une armoire secrète du cloître de Doberan, un panégyrique en vers de ce soldat aventureux. C'est une composition d'une nature toute primitive et d'une expression farouche comme les pages les plus rudes des Niebelungen, ou les chants anciens de Dietrich, ou certains passages du poème

d'Antarche, héros arabe, dont le nom offre, du reste, une singulière similitude avec celui du héros mecklembourgeois.

« La bravoure, dit l'auteur inconnu de ce poème, n'a point de repos. Elle ne dort pas dans un lit. Elle s'abreuve de sang. C'est ce que l'on peut facilement voir par les valeureuses actions de ces guerriers qui s'élançaient intrépidement sur le champ de bataille et domptaient leurs ennemis les plus braves.

Il y a eu autrefois dans cette noble terre, dans cette terre des Wendes, un roi chanté par les poètes. Il s'appelait Anthyre. C'était un homme d'une merveilleuse audace, qui s'est acquis un grand renom.

<< Il aimait les louanges que l'on accorde aux combats violens, aux actes de courage. Il était si brave et si fort, que jamais homme n'a pu le dépouiller de sa lourde armure.

« Pour défendre un ami, il s'élançait en riant au devant des troupes ennemies. Pour ceux qu'il protégeait, il n'avait que de douces paroles, mais quand il allait au combat, son regard avait une expression sauvage, et le feu sortait de sa bouche.

Il portait une épée tranchante qui faisait jaillir des flots de sang, et celui qu'elle avait atteint ne guérissait plus. Cette épée était si forte, que jamais on ne put la rompre. Malheur à qui s'exposait à ses coups! Si elle venait seulement à rencontrer son corps, c'en était fait de lui.

<< L'armure d'Anthyre était toute noire, et son casque d'une blancheur étincelante; son bouclier était si pesant, que mille chevaliers n'auraient pu le lui enlever. Il portait au doigt un petit anneau qui lui donnait la force de cinquante hommes. C'est avec cet anneau qu'il a fait tant d'actions étonnantes.

<< Son cheval s'appelait Bukranos. C'était un animal monstrueux, aussi dur que la pierre, qui avait une tête de taureau, et du bout de ses pieds faisait jaillir des étincelles de feu sur sa route. Le héros était ferme comme un rocher; on ne pouvait ni le dompter ni l'ébranler, et ceux qui s'attaquaient à lui tombaient sous ses coups. »

Une autre tradition du Mecklembourg mérite encore d'être citée, car elle se rattache à l'histoire d'un grand empire. Au vIIIe siècle de notre ère, la tribu des Obotrites était gouvernée par un roi nommé Godlav, père de trois jeunes hommes également forts, courageux et avides de gloire. Le premier s'appelait Rurik (paisible), le second Siwar (victorieux), le troisième Truwar (fidèle). Les trois frères, n'ayant aucune occasion d'exercer leur bravoure dans le paisible royaume de leur père, résolurent de s'en aller chercher ailleurs les combats et les aventures. Ils se dirigèrent à l'est, et se rendirent célèbres dans les diverses contrées où ils passaient. Partout où ils découvraient un opprimé, ils accouraient à son secours; partout où une guerre éclatait entre deux souverains, ils cherchaient à reconnaître lequel des deux avait raison, et se rangeaient de son côté. Après mainte généreuse entreprise et maint combat terrible où ils se firent admirer et bénir, ils arrivèrent en Russie. Le peuple de cette contrée gémissait sous le poids d'une longue tyrannie, contre laquelle il n'osait même plus se révolter. Les trois frères, touchés de son infortune, réveillèrent son

courage assoupi, assemblèrent une armée, et, marchant eux-mêmes à sa tête, renversèrent le pouvoir des oppresseurs. Quand ils eurent rétabli l'ordre et la paix dans le pays, ils résolurent de se mettre en route pour rejoindre leur vieux père; mais le peuple reconnaissant les conjura de ne pas partir et de prendre la place de ses anciens rois. Rurik reçut alors la principauté de Nowghorod, Siwar celle de Pleskow, Truwar celle de Bile-Jezoro. Quelque temps après, les deux frères cadets étant morts sans enfans, Rurik adjoignit leurs principautés à la sienne, et devint chef de la famille des czars qui régna jusqu'en 1598.

Il y a tout lieu de croire que les Wendes, en arrivant dans le Nord, y apportèrent le goût des travaux agricoles et des habitudes paisibles qui distinguaient la race slave. Mais les guerres continuelles qu'ils eurent à soutenir contre leurs voisins, les agressions violentes dont ils furent souvent victimes, changèrent complètement la nature de leur caractère. Arrachés à tout instant à leurs travaux par le bruit des armes, par l'aspect de la torche incendiaire, obligés de se défendre tantôt contre les Saxons, et tantôt contre les Danois, d'avoir un champ de bataille dans leurs sillons et un autre sur les flots de la mer, ils mirent le soc de leur charrue sur l'enclume et s'en firent une épée; ils arrachèrent les lambris de leur grange et construisirent des bateaux; ils abandonnèrent le sol qu'ils avaient défriché, l'enclos qui les avait nourris, et s'en allèrent chercher leur fortune dans les aventures et leur moisson dans les combats. Bientôt ils jetèrent, comme les Vikinger, l'inquiétude dans le cœur de leurs ennemis et l'effroi dans celui des marchands. Ils devinrent haineux, fourbes et cruels. Souvent on les vit poursuivre, les armes à la main, le marchand avec lequel ils venaient de conclure un traité, et lui reprendre de vive force les denrées qui leur avaient été loyalement payées. Souvent, après une bataille, ils se rassemblaient comme des sauvages autour d'un malheureux captif pour le torturer et jouir de ses convulsions et de ses cris de douleur. On eût dit qu'ils voulaient venger en un instant toutes leurs défaites et leurs désastres, et effacer dans le sang jusqu'à la dernière trace de ces vertus paisibles et compatissantes qui leur avaient été enseignées par leurs pères.

La femme était pour eux un être d'une nature très inférieure; on la vendait comme une marchandise, on la traitait comme une esclave. Il était permis à l'homme d'en avoir plusieurs, de les employer aux travaux les plus rudes, de les faire coucher sur le sol nu, tandis que lui se reposait dans un lit; et quand ce fier pacha venait à mourir, toutes les femmes qu'il avait épousées devaient s'égorger ou se laisser brûler sur sa tombe. Cette horrible coutume ne cessa en Pologne qu'au x° siècle; elle existait encore au XIo en Russie.

La vie de l'homme avait une valeur, celle de la femme n'en avait aucune. On raconte que des mères égorgeaient leurs filles au moment où elles venaient au monde comme des êtres indignes de vivre. Peut-être aussi les malheureuses se sentaient-elles émues d'une si grande pitié à la vue de ces faibles créatures condamnées, dès leur naissance, à subir le poids d'une tyrannie honteuse, qu'elles croyaient faire un acte d'amour maternel en leur ôtant la vie.

« PoprzedniaDalej »