Obrazy na stronie
PDF
ePub

BULLETIN.

La nomination de M. Guizot à l'ambassade de Londres est, de la part du ministère du 12 mai, un aveu tacite des difficultés extérieures dans lesquelles il se trouve engagé. Pour dissiper l'impression fâcheuse produite par les négociations de M. de Brunow, le ministère a voulu agir, prendre une mesure, se mettre à couvert. Peut-être même, en demandant à la couronne de donner un successeur au général Sébastiani, espérait-il un refus qui lui aurait fourni l'occasion d'une retraite éclatante; il eût ainsi rejeté loin de lui toute responsabilité; il eût ainsi échappé aux embarras qui le pressent de tous côtés, et dans lesquels ses fautes sont bien pour quelque chose. Nous croyons cette conjecture plus vraisemblable que la version de quelques journaux, qui n'ont vu dans ce qui s'est passé qu'une comédie arrangée d'avance entre le cabinet et la couronne. C'est très sérieusement que la royauté a défendu contre le ministère un ancien serviteur de l'état, qui débuta dans la diplomatie par la belle défense de Constantinople contre les Anglais; mais elle a dû céder à l'unanimité du conseil, qui faisait de la nomination d'un nouvel ambassadeur la condition nécessaire de l'existence du cabinet. Que diront de cette déférence ceux qui argumentent toujours du gouvernement personnel?

Le lendemain du jour où a été signée la nomination de M. Guizot, on assure que le maréchal Soult recevait du général Sébastiani une importante et longue dépêche qui résumait les points principaux de la question d'Orient, et dans laquelle l'ambassadeur montrait qu'il avait fidèlement suivi ses instructions. Le président du conseil ne put se dispenser de porter cette dépêche au roi sa majesté se fit un plaisir de la communiquer à un de ses ministres, à celui qui avait le plus insisté pour le remplacement du général Sébastiani, et qui le premier avait pris la parole à ce sujet dans le conseil; elle lui demanda s'il trouvait que cette dépêche fût l'œuvre d'un homme entièrement usé. Lorsque le général écrivait, il n'avait aucun soupçon de son rappel, et rien, de la part du cabinet, n'avait pu le lui faire pressentir.

Quant au nouvel ambassadeur, son mérite personnel n'est contesté par personne; les amis de M. Guizot peuvent se réjouir avec raison de cette nouvelle carrière qui s'ouvre devant lui et offre à ses talens une application que jusqu'alors ils n'avaient point eue. M. Guizot sera bien reçu dans un pays qui s'est toujours montré fort sensible à la célébrité et très hospitalier pour la distinction individuelle. Les circonstances au milieu desquelles il va se rendre à Londres peuvent être fâcheuses pour notre politique, mais elles n'en feront que mieux ressortir le moindre succès qu'il pourra obtenir. Il ne doit pas être fâché non plus de s'éloigner momentanément du théâtre parlementaire, où les souvenirs du passé rendent si difficile pour tout le monde une attitude nouvelle et une situation forte.

Maintenant, que signifie pour le ministère la nomination de M. Guizot? Est-elle un désaveu de la conduite tenue par l'ancien ambassadeur? Est-ce l'indication d'une politique nouvelle? Faut-il rattacher au départ prochain de M. Guizot, comme on l'a fait pour celui de M. de Pontois, l'adoption d'un autre système? Il y aurait trop de bonhomie à tomber deux fois dans la même illusion. Le cabinet change d'ambassadeur pour se donner un maintien, pour livrer un aliment à l'opinion; il croit qu'une mutation de personnes le couvrira, et prêtera à sa politique l'apparence de la force. Quand M. le maréchal Soult se trouve en face de quelque grave difficulté qu'il n'a pas prévue, il s'embarrasse, s'irrite, et croit se tirer d'affaire en s'en prenant aux hommes : voilà déjà deux ambassadeurs tués sous lui. Nous avons vu d'autres ministres diriger long-temps nos relations extérieures, mener à bien les négociations les plus importantes, sans tout ce fracas de déplacemens et de rappels. M. Molé a compté dans son ministère plus de succès que de destitutions. Depuis que la question d'Orient est pendante, le ministère du 12 mai a rappelé deux ambassadeurs; il n'a pas jusqu'à présent d'autres résultats à nous montrer. Nous en sommes encore à savoir si ce double rappel produira quelques fruits. Peut-être M. le maréchal agit-il plutôt par saillies brusques et imprévues qu'il ne suit avec persévérance un plan une fois adopté. Il est aussi poursuivi par les réminiscences de son glorieux métier. Si M. de Medem vient se plaindre à lui du ton de nos journaux à l'égard de la Russie, il lui répondra en s'écriant: Croyez-vous que je craigne le canon? On ne tirera pas le canon, comme le disait un auguste personnage auquel le ministre russe rapportait les belliqueuses paroles du maréchal. Il ne s'agit pas de guerre, mais de diplomatie; il n'est pas besoin d'emportement, mais d'habileté. Il faudra bien cependant que le moment vienne, pour le cabinet, d'expliquer sa politique étrangère : voilà déjà plusieurs phases de nos négociations relatives à l'Orient qui appellent hautement des explications parlementaires. Peut-être le général Sébastiani sera-t-il à son retour moins silencieux que l'amiral Roussin, et se servira-t-il de la tribune pour donner des éclaircissemens sur l'alliance anglaise et son maintien.

Cette alliance n'est pas rompue, mais ses liens sont bien relâchés. Il y a quelques années, Londres et Paris s'entendaient sur les questions importantes,

comme l'Espagne, la Belgique, et cette intelligence entraînait l'adhésion de l'Europe. Aujourd'hui, l'Angleterre prépare sur l'Orient un plan pour lequel elle se propose d'obtenir le consentement de l'Europe avant de nous le présenter. La situation est bien changée; ainsi se trouveraient confirmées les paroles qu'on a pu recueillir de la bouche de M. de Talleyrand à son dernier retour de Londres: « N'attendez plus rien de l'Angleterre, elle a épuisé à notre égard tout ce qu'elle pouvait avoir de bonne volonté; désormais, vous ne trouverez plus chez elle qu'obstacles et envie. » Ces sentimens de malveillance secrète, qu'il y aurait trop d'aveuglement à vouloir méconnaître, ne peuvent cependant prévaloir contre la force d'une situation qu'il n'est donné à personne de détruire. L'Angleterre nous jalouse: elle peut vouloir nous inquiéter, elle peut même chercher à nous affaiblir, mais elle ne saurait, dans les affaires de l'Orient, traiter ni sans nous ni contre nous. On ne peut nier toutefois que la Russie n'ait déployé une grande habileté : si elle n'est pas l'amie de l'Angleterre, c'est beaucoup de faire croire à cette amitié; c'est beaucoup de donner à penser qu'elle a pu, jusqu'à un certain point, entraîner l'Angleterre dans son alliance et dans son orbite. On ne remarque pas assez combien le cabinet de Saint-Pétersbourg s'attache à conquérir des succès d'opinion, et à paraître pénétrer dans l'intimité de l'Europe. C'est ainsi qu'il affecte de considérer comme sa plus fidèle alliée l'Allemagne, qui ne l'aime pas, et les liens de parenté qui unissent l'empereur Nicolas et le roi de Prusse servent à contrebalancer l'impopularité qui s'attache à l'alliance russe dans la monarchie prussienne. Aujourd'hui, la Russie fait les mêmes efforts auprès de l'Angleterre, et il s'agit de lutter à Londres contre des séductions spécieuses qui jettent un appel à l'ambition britannique. Telle est la tâche réservée à M. Guizot, qui partira aussitôt que le cabinet anglais aura donné son agrément au choix de notre gouvernement.

La désignation du nouvel ambassadeur a bien aussi, à l'intérieur, sa portée politique. Quand MM. Dufaure, Teste et Passy s'échauffent pour emporter la nomination de M. Guizot, et menacent, s'ils ne peuvent l'obtenir, de donner leur démission, il y a là un changement d'opinions qu'il est utile de relever. Nous sommes loin de nous en plaindre; nous accueillons avec satisfaction tous les faits qui tendent à ensevelir définitivement toutes les dissensions du passé, et nous nous plaisons à les signaler. Néanmoins, on eût bien étonné M. Dufaure, si on lui eût dit, il y a deux ans, qu'il viendrait un moment où il se trouverait ministre avec des amis de M. Guizot, et ferait d'une ambassade pour le chef du centre droit la condition de son existence politique. M. Dufaure a été de tous les ministres du centre gauche le plus ardent à presser la nomination de M. Guizot. Était-ce conviction profonde? était-ce l'espérance de causer quelque déplaisir à M. Thiers? Il vaut mieux s'arrêter aux motifs les plus honorables, qui, après tout, peuvent être les plus sincères. M. Dufaure a pris au sérieux sa situation politique; il cherche tout ce qui peut l'affermir et la fortifier, et il se conduit avec un empressement et une bonne foi qui ne lui permettent pas de voir toute l'étendue des concessions et du chemin qu'il fait.

***

Nous sommes persuadés qu'encore aujourd'hui M. Dufaure croit n'avoir pas changé. Comme il agit avec entraînement, il n'a pas le temps de réfléchir sur lui-même, et il passe de transformation en transformation sans s'en douter. Mais les illusions de M. Dufaure sur lui-même n'effacent pas la réalité. On peut dire que le passé politique des différentes fractions de la chambre qui ont traversé le pouvoir est mis au néant d'un commun accord. Le tiers-parti pousse M. Guizot au poste éminent qui tôt ou tard doit ramener ce dernier au ministère. C'est une abdication solennelle et réciproque de toutes les inimitiés et de toutes les rancunes. Il faut s'en féliciter.

Aussi un journal qui passe pour recevoir de temps à autre les inspirations du nouvel ambassadeur, écrivait ces jours passés qu'il fallait mettre dans un oubli irrévocable d'anciens dissentimens qui n'avaient plus d'objet, et entrer à pleines voiles dans une politique d'affaires et d'intérêts. C'est sans doute pour mieux travailler à ce programme qu'au moment même où les ministres obtenaient du roi la signature de l'ordonnance qui nomme M. Guizot ambassadeur, ils s'accordaient entre eux pour sacrifier M. Teste. La retraite de M. le garde-des-sceaux est, assure-t-on, jugée nécessaire par ses collègues pour leur rendre quelque force. L'emportement inconcevable avec lequel M. Teste continue de déclarer la guerre aux droits et aux întérêts des possesseurs d'offices, fait de sa présence dans un cabinet qui se dit conservateur une étrange anomalie. M. Teste représente ouvertement sur cette question toutes les passions envieuses et mauvaises de l'opposition. Aujourd'hui même un journal de la gauche sonne la charge contre les notaires et les avoués. A ses yeux, la loi de 1816 est détestable; elle constitue un privilége que rien ne justifie, et dont on ne saurait trop poursuivre l'abolition. En vérité, on croit rêver quand on entend un parti réclamer un nouveau 4 août contre la fortune et le patrimoine de la moitié de la bourgeoisie, traiter les produits du travail, les droits acquis, l'héritage et le pain des familles, comme en 1789 on a traité les distinctions aristocratiques, les titres de noblesse et les priviléges de race.

La cause de ces déclamations est pour les uns dans cette manie d'innovations et de changemens qui se confond, pour eux, avec le patriotisme et le libéralisme. On n'est pas libéral, on n'est pas patriote, si chaque matin on ne demande l'abrogation ou la réforme de quelques lois, de quelques institutions: cela s'appelle progresser. La cause de ces déclamations est encore dans une envie incurable qui dévore bien des gens à la vue des situations honorables conquises par le travail. Il est triste que de pareils sentimens puissent être encouragés, non certes par les intentions, mais par les actes irréfléchis d'un ministre. Cependant les avertissemens ne manquent pas à M. Teste; les tribunaux et les chambres de notaires ou d'avoués, auxquels il a voulu renvoyer le soin de traiter au nom des veuves et des héritiers, ont décliné cette attribution et proclamé, par cette déclaration d'incompétence, l'inviolabilité du droit de propriété. Il faut espérer qu'après le pouvoir judiciaire les avis du pouvoir légis latif viendront aussi éclairer M. Teste. Les notaires et les avoués ont adressé à la chambre une pétition dont le rapport a été renvoyé à la semaine prochaine,

et qui fournira à M. Teste l'occasion d'exposer ses vues et d'en faire l'apologie. Croirait-on que le même journal qui demande l'abolition des offices voit dans cette démarche des notaires et des avoués un acte d'insubordination à l'égard de M. Teste? Ce sont des subordonnés qui réclament contre leur chef en l'exposant au désagrément de voir renvoyée par-devant lui une pétition où l'on se plaint de ses actes! Ce respect pour la hiérarchie est tout-à-fait édifiant, surtout quand on le rapproche de quelques insinuations injurieuses contre le gouvernement personnel, contre le roi, auquel les notaires et les avoués ont eu l'irrévérence de s'adresser, ce qui, toujours dans l'opinion de ce journal, devait les rendre non recevables à pétitionner devant la chambre. C'est sans doute toujours au nom du gouvernement parlementaire que l'on s'acharne à opposer hostilement les attributions de la chambre aux droits de la couronne. La chambre poursuit dans ses bureaux l'examen de tous les projets que lùi a soumis le ministère, et ces projets y sont l'objet des plus rigoureuses critiques. La chambre n'a pas de parti pris pour renverser le cabinet, elle ne désire pas sa chute; mais elle ne lui épargne aucune leçon, et a peu de souci de sa considération et de sa force. Si les plans de M. Passy lui paraissent à la fois insuffisans et aventureux, elle le lui dira sans ménagement et le rappellera au respect des droits des rentiers et des fonctionnaires publics. Le projet de M. Cunin-Gridaine sur les sucres sera remanié : la chambre rend justice aux bonnes intentions du ministre du commerce, qui aurait voulu satisfaire tout le monde, les colonies et les manufactures; mais elle n'en amendera pas moins de la manière la plus large les dispositions élaborées par M. Gridaine. Ce sera au cabinet d'examiner s'il doit donner un sens politique à tous ces échecs partiels, ou s'il préfère se résigner à les supporter et à n'avoir pas de sentimens plus hauts que sa fortune. Le projet de loi de dotation pour M. le duc de Nemours n'a pas été présenté par le ministère d'une manière heureuse et opportune. Le moment n'était pas habilement choisi. Le ministère vit au milieu de difficultés et de mécontentemens qui entravent toujours l'adoption de mesures financières. Pourquoi avoir pris l'initiative pour fixer le chiffre de la sommé demandée ? Quand le cabinet du 15 avril annonça aux chambres le mariage de M. le duc d'Orléans, il laissa en blanc le chiffre de la dotation que le pays devait offrir au prince royal. Il avait aussi l'avantage de présenter ce projet au parlement dans des circonstances favorables, au début de son avénement, dans un moment où il était l'objet de beaucoup d'espérances, et d'une sollicitude bienveillante de la part des chambres, qui voulaient écarter de l'administration nouvelle toute cause d'affaiblissement. Le cabinet du 12 mai peut-il se féliciter aujourd'hui des mêmes avantages? La commission chargée de l'examen du projet a invité le cabinet à lui adresser toutes les pièces qu'il jugerait à propos de produire à l'appui de sa demande. Il faut rendre cette justice à M. Odilon Barrot, qui se trouve en minorité dans la commission avec deux autres membres de la gauche, qu'il a tenu dans cette circonstance un langage d'une haute convenance. Il a regretté que des mots vagues comme ceux-ci, en cas d'insuffisance du domaine privé, pussent ouvrir la porte à des enquêtes

« PoprzedniaDalej »