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Raymon en pousse parfois le mépris jusqu'à l'imprudence. L'un s'expose à renier son frère; l'autre à cacher l'intrigue et la vertu sous le même pan de son

manteau.

Tels sont les trois principaux personnages de cette comédie. Tous trois arrivent à Dieppe presque en même temps, Lucien pour épouser Cécile, Raymon pour signer au contrat. Cécile est d'une joie voilée, mélancolique et presque triste; Lucien, déjà préoccupé de quelques propos malveillans qu'il entend murmurer sur Raymon, dans un groupe. Les deux fiancés sont accompagnés par Mme de Savenay, vieille marquise ruinée par la révolution de juillet, et par Mme et M. Guibert, enrichis tous deux par la même révolution. Herminie Guibert est sœur de Raymon; petite femme au cœur chiffonné comme le visage, jalouse, méchante, remuante, intrigante, une grande dame de 1830. M. Guibert est un sot, un grand seigneur de même date. A tous ces person-nages ajoutez un nouvel arrivant, jeune lion échappé du balcon de l'Opéra, œil amoureux, blonde crinière, passablement d'esprit, quoique lion, assez de cœur malgré son esprit; il est comte et se nomme de Saint-André. M. Guibert se rappelle l'avoir vu, l'année précédente, à Dieppe; de son côté, M. de SaintAndré n'a point oublié que M. Guibert est le mari de sa femme. Tous deux sont enchantés de se retrouver, et, à vrai dire, tout ce monde est heureux, et, à voir cet honnête bonheur, il ne semble pas qu'aucun nuage doive en troubler la sérénité. «< Mais la calomnie! dit Bazile. D'abord un bruit léger, rasant le << sol comme l'hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure, et file, et sème « en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, « vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, «< il chemine, et rinforzando, de bouche en bouche, il va le diable; puis, tout « à coup, ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grace au ciel, un cri général, « un crescendo, public, un chorus universel de haine et de proscription. » Et voilà toute l'histoire!

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Le bruit empoisonné tombe des lèvres de M. Guibert; Mme Guibert s'en empare; de sa bouche il vole sur celle de Belleau; Belleau le glisse dans l'oreille de M. Coquenet; le mal est fait; de bouche en bouche il va le diable : M. Guibert a confié à sa femme que Cécile avait eu une aventure, Mme Gui» bert s'est écriée que Cécile en avait eu deux; la calomnie siffle, s'enfle, grandit à vue d'œil : Belleau assure que Cécile a eu deux amans, M. Coquenet, qu'elle en a eu trois; la calomnie éclate et tonne; déjà, grace à M. Guibert, à Mme Guibert, à Belleau, à Coquenet, elle devient un cri général; en moins de quelques heures c'en est fait de la réputation de Cécile. L'année précédente, aux bains de Dieppe, à ces mêmes bains, M. Guibert a vu, à quatre heures du matin, un jeune homme sortir de la chambre de cette enfant. Eh quoi ! cette jeune fille au noble maintien, au chaste regard, aux graces décentes? Quoi ! cet ange de pureté, cette fleur d'innocence? Et vous ajoutez : La calomnie n'est pas si puissante. « La calomnie, monsieur? reprend Bazile; vous ne

« savez guère ce que vous dédaignez ; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en « être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, << pas de conte absurde, qu'on ne fasse, en s'y prenant bien, adopter aux oisifs << d'une grande ville. » Il est vrai que Figaro ajoute plus loin que Bazile est un maraud, et qu'il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Je ne sais, mais toujours est-il qu'il suffit d'un mot de Belleau pour troubler à jamais le repos de Lucien; Lucien pense qu'il en est de la femme d'un député comme il en était de celle de César; qu'elle ne doit pas être soupçonnée, pas même par un garçon de bains.

Mais qui donc la sauvera, cette malheureuse enfant abandonnée de tous, de Lucien lui-même, qui ne la couvre que de son silence, comme si le silence n'était pas complice de la calomnie, comme si le silence, quand on accuse nos amis, n'était pas une lâcheté! Qui donc la sauvera? Raymon. Il se connaît en calomnie, lui! On n'est pas ministre pour rien; il l'a vue de près, sans pâlir, autrement terrible et puissante; il a soutenu sans chanceler de plus rudes assauts. Qu'est-ce pour lui, qu'est-ce en effet pour l'homme sage, que ces bavardages de laquais et ces criailleries d'antichambre! Raymon a traversé d'autres orages. Ne l'a-t-on pas accusé, lui, d'avoir rougi de sa naissance et d'avoir chassé son vieux père! Eh! quel être un peu supérieur la calomnie a-t-elle épargné? quelle vertu a-t-elle respectée? quel sentiment si pur, quel éclat si beau n'a-t-elle point terni de son souffle empesté? On a bien accusé, à la face de toute la France, une reine, fille des Césars, d'avoir prostitué son fils, et voilà que vous, Lucien, vous vous trouvez blessé dans votre orgueil, ébranlé dans votre confiance, parce qu'un garçon de café a douté de la vertu de votre fiancée! Vous souffrez, vous vous irritez, vous succombez sous ces misérables attaques; qu'auriez-vous donc fait si, comme Chénier, vous eussiez, chaque année, à jour fixe, reçu une lettre qui vous eût ›dit : Caïn, qu'as-tu fait de ton frère?- A la bonne heure! c'était là de la belle ́et bonne calomnie! Mais, en vérité, ce qui se passe ici ne mérite même pas ce nom, et je ne vois là rien qui ne soit digne du plus souverain mépris et de la plus profonde pitié. Ainsi parle Raymon à Lucien, mais vainement. D'ailleurs, grace à l'arrivée de Raymon, le cri général est devenu un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait? dit Bazile. Encore Raymon. Puisqu'il s'agit du bonheur de Cécile, Raymon ne craindra pas, non de remonter, mais de descendre à la source de toutes ces misères. L'année précédente, M. Guibert, en arrivant de Paris à Dieppe, où l'avait précédé Me Guibert, a vu, à quatre heures du matin, un jeune homme sortir de la chambre de Cécile. Ce jeune homme, il le nomme; c'est M. de -Saint-André. Pressé par les questions de Raymon, honteux d'ailleurs d'avoir, quoique involontairement, laissé planer des soupçons injurieux sur ce jeune front qui n'a point à rougir, le comte de Saint-André, avec toute la noble candeur d'un homme qui s'accuse, raconte devant Raymon et M. Guibert l'épisode

qui sert depuis quelques heures de pâture à la calomnie. Il raconte avec grace; Guibert et Raymon l'écoutent avidement, et dès-lors nous entrons dans une des situations les plus comiques et les plus ravissantes qu'ait encore produites au théâtre cet esprit merveilleusement subtil qui s'appelle M. Scribe. Qui pourrait dire par quel art ingénieux, par quelles ruses charmantes, par quels gracieux détours, par quelles coquetteries adorables il nous a conduits à ce but! Pour y arriver, la route est bien un peu longue; mais quelles causeries fines et piquantes le long des sentiers! On voudrait bien, par-ci, par-là, plus de mouvement dans le paysage, quelque accident pittoresque égayant plus souvent l'horizon; mais quelle élégance de mœurs et de langage, et comment résister aux séductions qui nous entraînent? Enfin nous y voilà! Le jeune lion raconte que l'an passé, aux bains de mer, le hasard, qui protége toujours la jeunesse, lui fit rencontrer une femme, veuve peut-être, mais belle à coup sûr, et non sans quelque charme. L'ennui, l'occasion, l'herbe tendre, il ne sait; sans doute aussi les mélodies de Schubert qu'ils chantaient tous deux dans la solitude; les longs tête-à-tête, le soir, sur les grèves désertes; les clairs de lune, le murmure des vagues, les soupirs de la brise, etc., etc...; si bien que, s'étant oublié un soir dans la chambre de la jeune femme, il n'en sortit que le lendemain, au premier chant de l'alouette. Comme il sortait, le jeune lion rencontra Guibert. Guibert le félicita sur son bonheur, et le pria gaiement de lui en désigner l'asile. Pour détourner les soupçons, M. de Saint-André indiqua à Guibert la première porte aperçue; Guibert en retint le numéro; c'était la chambre de Cécile. Il fut coupable et quelque peu léger, le jeune lion! Mais il s'accuse de si bonne grace, il reconnaît si franchement ses torts, il en déplore si sincè rement les conséquences, que Raymon, l'austère Raymon lui-même, n'a pas le courage de le réprimander. Mais voilà bien une autre affaire! Sur ces entrefaites, Mme Guibert entre étourdiment, et, devant son mari et son frère, rappelle à Saint-André le temps où ils chantaient tous deux les mélodies de Schubert. Je vous laisse à penser quel coup pour Guibert, quel coup aussi pour Raymon qui ne pourrait réhabiliter sa pupille qu'en publiant la faute de sa sœur. C'est ce diable de Schubert qui a tout perdu !

Dès-lors, les incidens se pressent, et nous touchons au dénouement; mais la calomnie n'en va que mieux, et ne perd rien à se déplacer. C'est plus que jamais le crescendo public, le grand chorus universel. Lucien a reconnu l'innocence de la victime; mais il suffit qu'elle ait été soupçonnée; il s'excuse et se retire, rendant son estime, mais emportant son nom. Grand bien lui fasse. Décidément cet homme est un médiocre courage, et certes, rien ne lui sied moins que d'afficher des prétentions empruntées au vainqueur des Gaules. Cependant que fait Raymon? Comment réhabilitera-t-il Cécile dans l'opinion? Car cette opinion qu'il méprise, il n'ignore pas qu'une femme ne saurait impunément la braver. Il va droit à la jeune fille, et, lui ouvrant ses bras : Cécile, s'écrie-t-il, veux-tu être ma femme? Et la jeune fille, éperdue, tombe à genoux et ne répond que par ses larmes; car c'est lui, c'est ce noble cœur

qu'elle a toujours aimé en silence; si elle a caché son amour, c'est qu'elle ne pensait pas qu'il lui fût permis de prétendre si haut. La toile tombe sur le tableau de cette union saluée par un chorus plus que jamais universel de haine et de malédiction; car, ainsi que le dit Bazile, « la calomnie, docteur, la calomnie! il faut toujours en venir là. »

Cette comédie, une des meilleures, sinon la meilleure, qu'ait écrites M. Scribe, est à la fois une œuvre d'esprit et de courage, de talent et d'indépendance, de style et de probité. Le caractère de Raymon, tracé avec une fermeté prudente, développé avec une sage hardiesse, restera comme un des plus nobles enseignemens qui se pourront chercher au théâtre.

M. Firmin a joué ce rôle avec beaucoup d'ame et de chaleur; M. Menjaud s'est montré parfait dans celui du comte de Saint-André. Mile Plessis a joué le rôle de Cécile avec la décence et la grace de maintien qu'on lui connaît.

TOME XIV.

X.

SUPPLEMENT.

20

BULLETIN.

Le vote par lequel la chambre des députés, à la majorité de 226 voix contre 200, a refusé d'entrer dans la discussion des articles du projet de dotation de M. le duc de Nemours, nous a plus affligés qu'il ne nous a surpris. Il était bien permis de s'attendre à tout avec un ministère qui semblait s'inquiéter si peu lui-même d'une question aussi délicate. Et cependant, si jamais proposition eut besoin de toute la sollicitude du gouvernement pour être comprise et agréée par la chambre, c'est à coup sûr une proposition de ce genre, proposition complexe où se rencontrent un intérêt financier et un intérêt politique; car, dans un cas semblable, on ne demande pas moins au parlement son adhésion et sa coopération morale qu'une certaine somme d'argent. La première condition du succès, dans ces sortes d'affaires, est donc de parler avant tout à l'intelligence et aux sympathies du pays, et de rejeter sur le second plan, comme un intérêt secondaire, la quotité du chiffre. Loin de là, qu'a fait le ministère? Sans prendre garde si les circonstances étaient favorables et si sa marche tant au dehors qu'à l'intérieur était faite pour inviter la chambre à la confiance et à la générosité, il n'a eu l'habileté ni de faire ressortir l'importance politique qu'offrait l'établissement du second fils du roi, ni de laisser en blanc le chiffre de la somme demandée. Il était d'autant plus maladroit de proposer d'une manière positive cinq cent mille francs, que cette somme rappelait l'apanage en biens fonds qu'on avait évalué, en 1837, au même chiffre. On sait que le premier acte du ministère du 15 avril fut de retirer le projet qui attribuait à M. le duc de Nemours le domaine de Rambouillet avec ses dépendances. A cette occasion, M. Molé disait à la chambre, en annonçant le mariage du prince royal: « Le roi n'a pas voulu que les chambres eussent à pourvoir en même temps à la dotation de ses deux fils. M. le duc de Nemours lui-même s'était

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