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tes montagnards, de cordes; en une heure, ils devront avoir fait un abattis de sapins et construit un radeau sur lequel toi et tes gens vous traverserez le fleuve. Une fois le fleuve traversé, tu embusqueras ta troupe à l'abri des hauteurs qui encaissent l'Hérault en cet endroit. Là, tu attendras de nouveaux ordres que tu exécuteras aussi ponetuellement que les premiers.

Éphraïm croyait rêver; il regarda les autres chefs, comme pour les prendre à témoin de l'insolence de Cavalier, de ce traître qui parlait en maître, et s'écria dans son indignation:

- Depuis quand le vil chacal ose-t-il dire au lion: obéis? depuis quand?

Mais Cavalier, l'interrompant avec une irrésistible puissance de voix, de mouvement et de regard, continua, en s'adressant toujours au forestier: Mais, si à deux heures aucun feu ne brille sur cette montagne, à quatre heures du matin, tu en verras briller deux sur le faîte du mont Esperon; alors à la tête des tiens, au lieu de te rendre sur les bords de l'Hérault, tu marcheras en toute hâte sur Ganges, tu t'empareras de ce bourg. Il est défendu par le régiment royal-comtois; mais tes montagnards sont braves. A Ganges tu recevras de nouveaux ordres.

-Tu oses commander! s'écria le forestier en frappant du pied avec violence; mais sais-tu...

Je sais, dit Cavalier en interrompant Éphraïm d'une voix tonnante et en levant les yeux au ciel d'un air inspiré, je sais qu'à cette heure l'esprit de Dieu m'éclaire et me parle, je l'entends, il est avec moi comme un guerrier invincible. C'est pourquoi ceux qui me persécutent, tomberont, et ils seront couverts d'un opprobre éternel.

Et Cavalier ajouta d'un air de plus en plus exalté. Oui, je suis le marteau dont le Seigneur se servira pour briser les traits et les armes, pour briser les nations, pour briser les royaumes, pour briser les chevaux et les guerriers, pour briser les chariots de guerre et ceux qui les montent.

L'accent de Cavalier semblait si naturellement inspiré, si prophétique, ses victoires passées donnaient tant d'autorité à ses paroles, il était si insouciant des fautes graves qu'il dédaignait de justifier, il paraissait si audacieusement certain de la réussite de ses nouveaux projets, dont les autres chefs ne devaient être que les instrumens passifs, que Roland, Du Serre et Éphraïm lui-même l'écoutèrent en silence, et les soldats camisards commencèrent à le regarder avec autant de crainte que de respect..

- Toi, frère Roland, continua Cavalier, tu vas te rendre sur-lechamp à ton camp des monts de la Lozère; tu rassembleras ta troupe, et tu viendras me rejoindre au col de la Dèze.

-Mais, dit Roland, les troupes royales, échelonnées depuis Barjac jusqu'à Tréviès, gardent la route basse du col de la Dèze; à peine avec tous nos gens rassemblés, pourrait-on tenter le passage de vive force. Que ferai-je avec mes camisards? Si pourtant leur sang et le mien peuvent servir la cause du Seigneur, et que frère Éphraïm et frère Du Serre disent comme toi, j'obéirai. J'essaierai de traverser l'armée ennemie. Marchez où Dieu vous envoie, dit le prophète.

Aussi, frère, reprit Cavalier, ce n'est pas les basses routes qu'il faudra prendre pour me rejoindre au col de la Dèze.

Il n'y a pas d'autre chemin, dit Roland d'un air étonné.

- L'agile chamois gravit les cimes que le pesant taureau n'atteindra jamais. Tu passeras par les crêtes du Ventalou. Tes soldats feront la moitié du chemin à genoux et en rampant au milieu des précipices, et ils atteindront la corniche étroite des rochers à pic qui surplombent le torrent de Bedoës. Ce passage dangereux franchi, en deux heures, ils m'auront rejoint au col de la Dèze.

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Je l'ai déjà dit, frère: ma vie appartient au Seigneur, je n'ai jamais reculé devant aucun péril, reprit Roland, mais ce que tu commandes est impossible. Il n'est pas donné à l'homme de venir de Genouillac au col de la Dèze par les crêtes du Ventalou. Tout le monde dans le pays sait ce proverbe : Les morts parleront quand le pied de l'homme foulera le Ventalou.

- Frère, le proverbe est faux. Moi et Joas nous y avons passé, dit Cavalier avec simplicité en montrant un des camisards qui venait d'arriver.

— C'est la vérité, dit ce camisard; moi et le frère Cavalier, nous avons fait ce chemin, et frère Cavalier a écrit: Gloire à Dieu! avec le bout de son couteau sur le pic du Puech-les-Fau. Avant d'arriver à ce pic, la corniche qui sert de chemin se rétrécit tellement, sur un espace de quarante pas, qu'il reste à peine assez de place pour y poser le bout du pied; on a au-dessus de soi, une muraille de granit aux crevasses de laquelle on tâche de s'attacher pour trouver un point d'appui, tandis qu'au-dessous de soi on a le torrent de Bedoës qui coule à une si grande profondeur qu'il paraît à peine comme un filet d'écume. Au moindre vertige, il est sûr qu'on serait perdu.

-Tu vois bien, frère, qu'on peut passer par les crêtes du Ven

talou pour venir au col de la Dèze, dit Cavalier en se retournant vers Roland.

- C'est vrai, dit celui-ci avec une héroïque simplicité; je ne le

savais pas.

-Ce qu'un homme fait, dit Cavalier, trois mille peuvent le faire. Tu passeras donc le Ventalou avec ta troupe et tu me rejoindras au col de la Dèze.

J'y serai au soleil levant, dit Roland.

Frères! s'écrie Cavalier d'une voix solennelle, avant de marcher à l'ennemi, rendons gloire à Dieu.

Et le Cevenol entonna d'une voix puissante le 68° psaume qui offrait une allusion frappante aux évènemens qui venaient de se passer : Le Tout-Puissant qui m'entend plaindre,

M'exauce au pied de son autel.

Il est mon Dieu qu'aurais-je à caindre

De l'effort de l'homme mortel...?.

Entraînés par son exemple, les camisards imitèrent Cavalier et répétèrent en chœur les derniers vers du psaume.

Contre vous, Dieu que je révère
M'aide ainsi qu'il m'a promis,

Et mes yeux verront sa colère

Fondre sur mes fiers ennemis.

Puis, accentuant ce qui suit avec une grande énergie, Cavalier termina par ce verset:

On vit leurs troupes animées,

M'environner de tous côtés;

Mais, au nom du dieu des armées,

Mon bras les a tous écartés.

Enfin, sans donner pour ainsi dire aux chefs camisards le temps de réfléchir, il s'écria d'une voix retentissante:

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Frère Éphraïm, songe aux feux de la montagne. Frère Roland, songe au col de la Dèze. Demain, la montagne de Sion sera libre et les Philistins seront dispersés.

En disant ces derniers mots, Cavalier sauta sur le cheval d'Espèreen-Dieu et disparut dans les profondeurs du défilé.

(La suite au prochain n°.)

TOME XIV.

FÉVRIER.

EUGÈNE SUE.

19

MADAME GUYON.

Le dogme catholique a, parmi ses croyans les plus sincères, ceux qui l'admettent sans controverse, deux tendances opposées, mais également dangereuses, à combattre. L'une, familière aux temps de tiédeur religieuse et de foi sans élans, amène le commun des esprits à faire consister tout le culte en quelques pratiques extérieures de dévotion; l'autre, plus fervente, moins vulgaire, mais parfois aussi fatale au dogme, arrive par ses curieuses investigations et ses hardiesses à subtiliser le symbole religieux que la première tendance indiquée matérialise. Chose étrange cependant! Ces deux tendances si diverses se produisent presque toujours simultanément, au point que la manifestation de l'une est souvent le signe précurseur de l'autre. Ainsi, quand à la fin du XVIe siècle, la piété, dans quelques couvens de l'Europe catholique, eut dégénéré en une sorte de culte machinal, la réaction ne se fit pas long-temps attendre. Tandis que beaucoup qui dévidaient les grains du rosaire, qui observaient les jeûnes, qui achetaient des indulgences ou allaient en pélerinages, négligeant des observances d'une plus haute moralité, croyaient ainsi, de bonne foi sans doute, accomplir tous les devoirs du chrétien, arriva cinquante ans plus tard, au plein milieu de cette léthargie, l'Espagnol Molinos qui, sans s'arrêter à l'accomplissement secondaire de ces pratiques, se jeta de prime-saut dans toutes les rêveries, et, d'après Rome, dans tous les écarts de la spiritualité, en exaltant les pures délices, la quiétude d'une ame qui, ravie d'amour pour son Dieu, va se noyer en lui. L'auteur du Guide spirituel fut condamné; mais tout en respectant l'anathème qui le frappa, l'historien se demande pourquoi les jésuites, si ardens à provoquer cette condamnation,

n'eurent pas le même zèle à en solliciter une seconde contre tous ceux qui, par des actes purement extérieurs, altéraient si fort l'essence du catholicisme.

Mais ce n'est pas de Molinos qu'il s'agit à cette heure, et sans remonter à l'Espagne du XVIIe siècle, on pourrait, en France, sous Louis XIV, trouver l'antagonisme des deux tendances signalées, et se hasarder à dire que PortRoyal a bien pu par son rigorisme effaroucher quelques ames rêveuses, et leur inspirer le goût des prédications de Saint-Cyr. Et à ce compte encore (mais je touche au paradoxe), entre les deux prélats que Me Guyon mit aux mains, l'austère dogmatisme de Bossuet servirait de contre-poids aux tendresses mystiques de Fénelon.

Le quiétisme, ce débat religieux si actif en son temps, est de nos jours oublié comme tant d'autres, et il est peut-être inutile de rappeler cette vieille querelle. Mais ici on ne vise certes pas à traiter à fond la question du quiétisme. On veut simplement, en esquissant la vie d'une femme qui fut l'émule, d'autres diraient la contrefaçon, de sainte Thérèse ou de sainte Catherine de Gênes, offrir au lecteur qui a quelque goût de spiritualité une étude d'un certain intérêt historique. Une femme, en effet, qui, sur un point de théologie, émeut Versailles, Paris et la province, qui vise à l'apostolat et en subit la persécution à la Bastille, qui a des prosélytes comme Mme de Maintenon et l'archevêque de Cambrai, et des adversaires comme les évêques de Chartres et de Meaux; cette femme, quoique à distance, peut, il semble, espérer de nous quelque intérêt.

Jeanne-Marie Bouvière de La Mothe naquit, en avril 1648, à Riom en Auvergne, d'une famille originaire de Montargis. Elle eut une enfance malingre et une jeunesse que se disputèrent des alternatives de coquetterie et de dévotion. Ce fut un premier trait de ressemblance avec sainte Thérèse. C'était une fort jolie personne avant que la petite vérole ne l'eût défigurée, et ce malheur lui arriva plusieurs mois avant qu'elle ne connût le compagnon de ses voyages, le P. La Combe, ainsi qu'elle le note soigneusement elle-même, afin, j'imagine, de réfuter quelques bruits calomnieux sur sa moralité. Son père l'engagea dans un mariage dont elle eut, s'il faut l'en croire, beaucoup à souffrir; elle épousa M. de Guyon, conseiller au parlement. Le digne magistrat, qui la trouvait souvent en contemplation dans sa chambre ou au jardin, n'avait qu'un goût fort modéré pour ces extases, et se moquait volontiers de la visionnaire qu'il ne fatigua pas longtemps, au reste, de ses railleries. Il la laissa veuve fort jeune avec trois petits enfans. Elle put dès-lors se livrer sans obstacle à toutes ses mystiques spéculations et aux desseins qui la préoccupaient déjà. Sa passion de spiritualité se réveilla plus vive que jamais, et un religieux à qui elle se plaignait un jour de ses difficultés à faire oraison, lui répondit sans la connaître : « C'est que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. » Ce mot fut, à ses yeux, un trait de lumière; l'ardeur inoccupée de son ame rencontra un aliment: elle se voua sans réserve à ce culte intérieur, à ce divin amour dont elle parle avec ivresse : « J'éprouvais, dit-elle en un passage que

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