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quelquefois l'esprit le plus ferme, le plus décidé. Il prend la modestie au mot et oublie qu'il y a des hommes qui ne s'avouent jamais ce qu'ils valent, même après le succès. Ces hommes existent, messieurs; celui que nous regrettons en fut un admirable exemple. Ils consolent de ceux que rien ne décourage d'eux-mêmes et dont on voit la fortune s'épuiser vainement à confondre la présomption.

Au bruit de la révolution de 1830, Bernard voulut revenir dans sa patrie. Il avait terminé tous les projets qui devaient entrer dans cet immense système de défense et de communications commerciales, et dépensé déjà plus de cent millions pour leur exécution. La France ne tarda pas à le revoir, toujours aussi modeste, aussi pauvre, aussi ardent à la servir. Nul homme, hélas ! ne devine toute sa destinée: Bernard, en retrouvant cette patrie qui lui était si chère, était loin de prévoir les sacrifices si nombreux qu'elle lui demanderait, et sur quel champ de bataille il aurait à épuiser pour elle son dernier souffle de vie. Sous l'empire, un naturel tel que le sien n'avait pu trouver à s'accomplir. Réduit à vivre pour ainsi dire hors de ses convictions et de tous les penchans de son ame, il s'absorbait dans cette gloire dont la plus grande nation du monde s'enivrait elle-même tous les jours; sous la restauration, tout en appréciant les institutions dont la France jouissait pour la première fois et qui donnaient déjà tant de garanties à cette liberté, cette justice distributive, double objet de son culte, Bernard ne s'accoutumait pas aux circonstances qui l'avaient entourée, et protestait toujours au fond de son ame contre l'invasion étrangère.

Le mouvement national de 1830 avait répondu à tous ses vœux, et placé sur le trône un prince qui appelait à lui tous les hommes dont le pays était glorieux. Le roi le nomma son aide-de-camp. Cette fois Bernard trouvait le commandement allié à la bonté, et sous la pourpre royale toutes les vertus privées et domestiques. Jamais sa sincérité et son indépendance ne s'étaient senties aussi à l'aise dans l'accomplissement de ses devoirs. Élevé au grade suprême de lieutenant-général du génie, il se croyait au port, et espérait passer sa vie dans les travaux qui l'avaient remplie, lorsque cette main invisible qui fait notre sort le saisit et le jeta dans une carrière dont une ame comme la sienne ne pouvait pas plus pressentir les angoisses, les amertumes, que comprendre les vaines jouissances qui la font tant envier. Le 6 septembre 1836, le Moniteur annonça à l'armée, à la France, que le roi avait nommé le général Bernard son ministre de la guerre. Il avait refusé long-temps et résisté

à de vives instances. Ne croyez pas toutefois qu'il reculât devant les difficultés qui attendaient la nouvelle administration, ou qu'il ait hésité devant l'injustice ou la violence des partis : non, messieurs, ses goûts, ses habitudes, une défiance inépuisable de lui-même, l'éloignaient seuls d'une position aussi élevée; mais s'il eût prévu les orages que nous étions destinés à braver ensemble, il m'eût serré la main, j'en suis sûr, au premier mot, et serait venu bien vite s'asseoir à mes côtés. Le 15 avril n'avait pu nous séparer; le nouveau cabinet ne devait inspirer au général Bernard que de vives sympathies; il venait tenter la réconciliation des partis, ou plutôt le rapprochement de ces nuances d'opinion qui ne s'étaient séparées que pour des motifs où les convictions, les principes avaient trop peu de part. L'amnistie ouvrit sa carrière; de bons esprits s'effrayèrent de ce grand acte, quelques mauvaises passions s'en applaudirent. Le préambule de l'amnistie ne laissait cependant aucun doute sur les pensées qui l'avaient inspirée.

Il fallut néanmoins à la nouvelle administration le temps de se faire connaître pour rendre aux lois la confiance et confondre les espérances des méchans. Elle eut à prouver qu'au lieu de rien céder par faiblesse, elle agissait par système, et se sentait assez forte pour ne rien redouter de l'épreuve de tant de clémence. Les partis ne renoncent que quand ils cessent de se croire les plus forts; l'amnistie venait après des luttes glorieuses où ils avaient été vaincus, et elle épargnait les amours-propres en leur présentant l'oubli au lieu du pardon. Ces résultats déconcertèrent les adversaires du ministère et surpassèrent l'attente de ses partisans. Les attentats, les émeutes publiques, cessèrent d'attrister la France. Mais nos institutions ne mettent pas seulement ceux qui gouvernent aux prises avec les par-. tis; le conflit des ambitions peut leur susciter plus d'embarras, plus d'obstacles, que les partis eux-mêmes n'enfantent de périls. Le pays qui souffre, s'étonne alors que, sans dangers apparens, sans convulsions, sans violence, tant d'affaires languissent, tant d'intérêts' soient compromis. Aisément il se trompe sur la source du mal, et momentanément du moins il peut arriver qu'il accuse ceux-là même que, mieux éclairé, il voudrait affermir. Il faut avoir vu, messieurs, le général Bernard au milieu de tant de complications passionnées, de toutes ces bannières confondues ou étonnées de ceux qui se ralliaient autour d'elle, pour savoir tout ce qu'une triste expérience peut apporter de surprise et d'amertume au cœur d'un homme debien. D'abord il se débat, il lutte contre l'évidence, il se refuse à

reconnaître dans autrui des sentimens ou des motifs qui n'ont jamais approché de lui; à la fin, il se résigne; une affliction profonde s'empare de son ame, exempte de haine comme de ressentimens, et sans regret comme sans colère, il s'élève après le combat, ou, si l'on veut, après la chute, et attend sans impatience que la vérité et la justice aient leur tour.

Messieurs, je ne fais que raconter et peindre l'homme à jamais regrettable que nous avons perdu. Je ne vous ai encore rien dit de son administration, parce que j'étais entraîné par le plaisir que je trou→ vais à vous peindre son caractère. Elle a mérité cependant l'estime et la reconnaissance publique. Ministre intègre, appliqué, laborieux, aucun détail n'échappait à sa sollicitude. Il avait pour l'armée le cœur d'un vieux soldat. Rien ne saurait donner l'idée, je ne dirai pas seulement de son dévouement pour elle, mais de l'émotion avec laquelle il s'occupait incessamment de ses moindres intérêts. Aussi que d'améliorations accomplies sans bruit dans toutes les branches du service, que d'abus retranchés, d'économies obtenues, de règles salutaires établies! Jamais on ne fit plus de bien sans le dire, jamais on ne mérita plus de reconnaissance sans en demander. Dès l'année 1838, la santé du général Bernard ne résistait plus à tant de fatigues, et des symptô mes inquiétans étaient venus contrister sa famille, ses amis; nous le conjurions vainement de prendre un peu de repos, vainement le roi lui-même, et avec cet accent d'intérêt et d'affection qui dans sa bouche a tant de puissance, le pressa, lui commanda de retrancher quelques heures à un travail qui finirait par envahir ses nuits comme ses jours. De tous les sentimens, messieurs, qui inspirent les bonnes actions et produisent les honorables vies, le plus oublié de nos jours et le plus moral peut-être, c'est le sentiment du devoir. Bernard lui a immolé sa vie et non pas sur ces champs de bataille où la gloire est là pour donner le prix, mais dans les veilles ignorées d'un travail continuel et consciencieux, en vue seulement d'une récompense dont les hommes comme lui connaissent toute la valeur, le contentement de soi, cette muette et intime approbation que le juste se donne à lui-même, et qui a le ciel seul pour témoin.

Ma tâche est terminée; je ne me flatte pas de l'avoir remplie. Une voix éloquente a déjà fait entendre sur la tombe de Bernard des paroles dignes de lui; cette voix était encore celle d'un membre du ministère..... Je m'arrête, c'est Bernard qui me le demande; aux vœux qui sortent de sa tombe, il ne se mêle aucun retour amer. Le bien qu'il n'a pas fait, il souhaite que d'autres le fassent, et que les

leçons du passé profitent à l'avenir. Tel est, messieurs, l'empire de certains caractères, même après leur mort; la parole, pour leur rendre hommage, est obligée de s'empreindre de leurs vertus. Heureux celui dont la vie fut assez pure pour qu'il ne soit permis à personne de rougir de la défendre, et dont l'ame fut assez généreuse, assez haute, pour que ce soit manquer à sa mémoire que de prétendre la venger!

Je descendrais de votre tribune, si je ne me sentais encore un devoir à accomplir. J'achevais à peine ce faible éloge, lorsque la reconnaissance d'un grand peuple s'est fait entendre au-delà des mers. Depuis dix ans passés, Bernard avait quitté l'Amérique; dix ans ont plus d'une fois suffi, dans notre vieille Europe, pour effacer de la mémoire, hélas! et du cœur des hommes les services ou les grandes qualités de ceux qui ne sont plus. Vous connaissez tous cet ordre du jour daté de Washington le 9 janvier 1840, où le président de l'Union américaine, partageant le chagrin sincère qu'ont ressenti de la mort du général Bernard les officiers de l'armée, désire témoigner publiquement le respect qui lui est dú tant pour les services éminens qu'il a rendus à ce pays que pour ses vertus privées, et ordonne que les officiers de l'armée portent le deuil pendant trente jours. On ne sait en vérité ce qu'il faut le plus admirer ici, ou de celui qui a mérité cet immortel hommage, ou du peuple qui vient le rendre après tant d'années sur la tombe de l'étranger dont il n'attendait plus rien. Honneur, messieurs, aux nations reconnaissantes, honneur surtout à celles qui glorifient les vertus privées, et qui ne se lassent pas d'estimer ceux qu'elles élèvent ou qu'elles honorent publiquement! Ne vous sentez-vous pas touchés, souffrez que je l'ajoute, en voyant des vertus si modestes, une vie si utile, un caractère si pur, Bernard enfin, recevoir après la mort un tribut si éclatant de reconnaissance et d'estime, que tous les ambitieux, les glorieux de la terre pour- · raient le lui envier?

LA

BELLE ISA BEAU.

XV.'

LA MAISON ISOLÉE.

L'habitation qui servait de retraite, pour ne pas dire de prison, à la Psyché et à Taboureau, appartenait à un riche bourgeois d'Anduze. Charmé sans doute de l'admirable vue qu'on découvrait du versant de, la montagne, il y avait fait bâtir cette maisonnette de plaisance. Elle s'élevait à mi-côte sur une pente très escarpée, au faîte de laquelle s'étendait le camp de Cavalier.

Les troupes chargées d'incendier les paroisses du plat pays n'avaient pas pris la peine d'aller détruire cette petite demeure isolée. Grace à cet heureux hasard, elle était demeurée parfaitement habitable.

Elle se composait d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage et d'un charmant jardin, planté d'orangers, de magnolias, de troënes du Japon, d'acacias de Constantinople et d'autres arbres assez rares. Exposés au midi, et défendus des vents du nord et de l'ouest par les escarpemens supérieurs de la montagne, leur végétation était magnifique.

(1) Voyez les livraisons des 26 janvier 2, 9 et 16 février.

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