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Mais, dis-je encore à dom Flossot, cela ne peut pas durer toujours. Quelqu'un prendra la parole et fera justice de ces méchantes écrivailleries, selon le mot de Montaigne. Les gens de goût les signaleront au vulgaire des lecteurs comme des alimens dangereux et falsifiés.

Rien n'est moins certain, me répondit-il. Autrefois les gens de goût jugeaient souverainement, et le vulgaire les consultait; mais aujourd'hui les esprits bornés prétendent s'y connaître. Ils adoptent des médiocrités, les soutiennent et les prônent. Les hommes de goût se divisent et perdent leur esprit de corps; et puis, dans ce temps où la parole est absolument libre, chacun consulte la boussole avant d'oser exprimer une franche opinion, de peur de blesser l'orgueil chatouilleux de son voisin. Ceux même que le fléau menace dans leur avenir et leur fortune hésitent à élever la voix, craignant de se faire des ennemis, comme s'il leur restait des ménagemens à garder.

N'est-ce pas vrai, monsieur, et n'agissons-nous pas de la même manière qu'un homme qui, ayant une guêpe sur le nez, reste immobile en attendant qu'elle s'envole, de peur d'être piqué? Mais la guêpe ne bougera pas, si on ne la chasse, et nous voilà donc, avec l'insecte incommode sur le nez, réduits au silence et au repos. Molière, qui a renversé la formidable coterie des précieuses, rirait bien à nos dépens, s'il pouvait nous voir. Où sont ces belles conquêtes de la pensée dont on nous entretient, si personne n'ose ouvrir la bouche pour dire des vérités que tout le monde sent? Au lieu de croire au progrès dont on fait tant de bruit, ne serait-on pas plutôt en droit d'affirmer que nous allons de mal en pis, lorsqu'on n'ouvre pas un auteur, même le plus ancien, sans y trouver ces mots : « Nos pères valaient bien mieux que nous! » Je croirais volontiers que l'espèce humaine ne se gâte ni ne s'améliore, et qu'elle demeure invariable au fond, avec des vices et des travers éternels : ce qui prouverait que la terre appartient bien à l'homme, qu'il l'habite par la volonté d'une loi, et qu'il n'en sortira que par la force des baïonnettes, comme disait Mirabeau.

Je m'arrête ici, monsieur, pour ne pas m'écarter de mon sujet. Si vous trouvez que ces réflexions sur le roman-feuilleton méritent d'être connues, livrez-les au public. Ce sera beaucoup d'honneur pour votre dévoué serviteur,

É. DE LA RIPopière.

BULLETIN.

Il arrive dans le monde parlementaire quelque chose d'assez singulier; il se trouve qu'une proposition que pendant plusieurs années on avait unanimement considérée comme dénuée de toute raison politique et de toute application possible, a porté le trouble dans la chambre. On ne l'a pas adoptée; mais elle est devenue un moyen d'attaque et comme un instrument de ruine dirigé contre nos institutions: nous voulons parler de la proposition Gauguier. Les discussions dont elle a été plutôt le prétexte que le thème ont eu pour résultat de frapper d'une sorte de suspicion une moitié de la chambre, et, par une conséquence naturelle, d'affaiblir l'action morale du parlement. Cela est triste, car, de cette façon, le présent est paralysé, et l'on n'a rien préparé pour l'avenir. Il semble désormais qu'une espèce d'incompatibilité vague et universelle, plus dangereuse mille fois que quelques incompatibilités précises et légales, plane sur tous les fonctionnaires qui siégent à la chambre. Pourquoi? parce qu'on a laissé sans réponse et sans réfutation directe les lieux communs avec lesquels on a réussi à égarer jusqu'à un certain point une moitié de la chambre et l'opinion publique. Si des électeurs ont eu le tort d'envoyer à la chambre quelques agens subalternes qu'ils auraient mieux fait de ne pas distraire de leurs fonctions, cet inconvénient, que la pratique seule est appelée à corriger, doit-il faire oublier les lumières, l'expérience et les aptitudes politiques que présente le corps des fonctionnaires publics? Un des organes de la presse anglaise, le Morning-Chronicle, est plus juste pour eux que l'opposition : il apprécie avec sagacité les différences qui distinguent notre organisation sociale de la constitution politique de l'Angleterre, et nous avertit des dangers que ferait courir en France au gouvernement représentatif l'exclusion systématique des fonctionnaires.

Nous sommes une nation administrative, a dit M. Odilon Barrot, tout en parlant en faveur de la proposition Gauguier. Depuis 1789, nos différentes révolutions ont eu pour résultat de multiplier les fonctions publiques et d'en revêtir un grand nombre de citoyens. Ces fonctions ont été pour eux un moyen TOME XIV. FÉVRIER. SUPPLÉMENT.

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d'éducation politique. La conséquence naturelle de ce fait important n'est pas, ce nous semble, la proscription des fonctionnaires. C'est aux électeurs de choisir parmi eux, de n'envoyer à la chambre que les plus indépendans et les plus éclairés, l'élite de l'armée, de la magistrature et des autres carrières civiles. Une loi qui prononcerait la peine de l'incompatibilité contre les citoyens revêtus de fonctions publiques nous mènerait à une représentation aristocratique de grands propriétaires ou à l'extrême démocratie. Les classes moyennes dont on a tant préconisé l'avénement depuis dix ans, qu'on a peintes comme arbitres et maîtresses de la société, ne seraient plus véritablement représentées, et la France se trouverait, pour ainsi dire, avoir fait une nouvelle révolution sans le savoir. Ç'a donc été une grande imprudence de remuer avec tant de solennité une question aussi formidable. La chambre s'en aperçoit aujourd'hui; elle sent qu'elle a ébranlé elle-même son autorité, et le coup dirigé contre les fonctionnaires publics semble être plutôt retombé sur elle.

Le projet de loi sur la Légion-d'Honneur a été discuté au milieu d'une indifférence générale. Le ministère a défendu très faiblement l'œuvre de la chambre des pairs et de M. le baron Mounier, et il est peu probable que l'assemblée du Luxembourg adopte les débris mutilés d'une proposition qu'elle avait élaborée avec tant de soin. Il ne restera de cette discussion à la chambre des députés qu'un assez mauvais exemple donné par M. Teste, qui, pour rendre meilleure la cause du cabinet, comme on dit au palais, s'est hâté d'accuser le ministère intérimaire d'avoir prodigué la décoration. Il a fallu que M. Piscatory vînt à son banc lui reprocher cette injustice en lui rappelant que ce ministère avait rencontré, dans sa courte durée, l'époque de la fête du roi, qui est toujours le moment choisi pour accorder les distinctions honorifiques, et faire connaître les avancemens dans l'armée. Aussi M. le garde-des-sceaux s'est vu obligé de mentionner après coup cette circonstance, qui explique si naturellement le chiffre des croix distribuées par le ministère intérimaire. Si M. Teste connaissait davantage les devoirs que l'on contracte en prenant part au gouvernement, il ne se fût pas mis dans le cas de porter à la tribune cette rectification, cet erratum, car la pensée d'accuser ses prédécesseurs ne saurait venir à un véritable ministre. Les hommes du gouvernement sont solidaires, et ce n'est pas pour s'accuser les uns les autres qu'ils se succèdent au pouvoir.

En appelant dans son sein M. Teste pour lui demander des éclaircissemens sur sa conduite, la commission des pétitions a fait une chose tout-à-fait nouvelle. C'est peut-être la première fois qu'une commission des pétitions invite un ministre à venir s'expliquer et se justifier devant elle. On assure que M. Teste, serré de près par des interpellations fort pressantes, aurait tout nié, tout abandonné. Il se serait défendu d'être l'auteur d'une première circulaire que le procureur-général à la cour royale de Nanci a citée dans une instruction adressée à ses subordonnés, et aurait été fort embarrassé quand un des membres de la commission, M. Just de Chasseloup, lui aurait présenté le journal du département où se trouve mentionnée ladite circulaire. On a fort engagé M. Teste à surveiller davantage ses bureaux, puisque la

chancellerie pouvait expédier à son insu des pièces aussi importantes. Quant à l'autre circulaire, qui détruisait la première, qui en était la réfutation complète, et que le mandataire des avoués de Paris, M. Glandaz, a rédigée luimême, M. Teste a nié qu'elle fût déjà partie, et qu'elle eût été adressée aux différens parquets du royaume. Ainsi M. Teste désavoue tout et ne reconnaît rien, pas plus la circulaire menaçante que celle qui était destinée à rassurer les intérêts alarmés; il ignore la première, et n'a pas encore expédié la seconde. Devant de pareils désaveux, la commission devait naturellement voter l'ordre du jour au sujet des pétitions qu'avaient adressées à la chambre plusieurs possesseurs d'offices. Leurs plaintes sont désormais sans cause, leurs griefs sans fondement : les dénégations du ministre doivent tout-à-fait dissiper leurs inquiétudes, comme elles paraissent avoir porté la conviction dans l'esprit de la commission. Mais au moins que M. Teste ne change plus, qu'il ne donne pas de nouveaux démentis à la sagesse présente de ses bonnes intentions. Il a fait récemment les protestations les plus rassurantes à des délégués du département du Nord; mais dans le Midi, le nouveau procureur-général près la cour royale de Toulouse, M. Plougoulm, a invoqué l'intervention de la cour dans deux traités où il s'agissait d'une transmission de charges. Sur quoi doivent compter les possesseurs d'offices? Leur situation est-elle toujours celle que leur fait la loi de 1816? Sont-ils sous le coup d'une abrogation tacite et détournée qui n'ose se proclamer elle-même, mais qui frappe dans l'ombre? Il faut sortir de cette incertitude. Si intérieurement M. le garde-des-sceaux est convaincu qu'il y a quelque chose à faire, il est obligé, comme ministre, comme chef de la hiérarchie judiciaire, d'indiquer le remède, et de proposer une modification positive à la loi de 1816. Que si, au contraire, le principe de la loi en vigueur lui paraît bon et salutaire, il ne saurait proclamer trop haut cette conviction. Telle est, sans doute, son opinion véritable, puisqu'il a parlé dans ce sens au sein de la commission: nous attendons M. Teste à la tribune.

Le rejet proposé par la commission de la partie des crédits supplémentaires qui devait faire les fonds pour les appointemens des nouveaux conseillers d'état, a produit quelque sensation. C'est un véritable échec ministériel, c'est un blâme jeté sur la manière dont M. Teste a fait ses nominations. Les nouveaux conseillers d'état sont loin d'être satisfaits; ils courent le risque de rester pendant un certain temps sans honoraires. On prétend que l'un d'eux annonçait l'intention de demander une répartition proportionnelle des fonds alloués au conseil, ce qui diminuerait la part de chacun, mais en ferait une à tout le monde. Nous en sommes encore à chercher ce qu'a gagné en dignité et en force le conseil d'état par les mesures de M. Teste. Si son projet d'organisation passe à la chambre, ce qui est fort douteux, il sera l'objet de tant d'amendemens, qu'il sera difficile de reconnaître le plan ministériel.

Au nombre des soucis de l'administration du 12 mai, il faut aussi compter les tracasseries diplomatiques que lui suscitent le cabinet de Saint-Pétersbourg et M. de Medem. On pourrait dire à la Russie, comme au maître des dieux : Tu te fâches, Jupiter, donc tu as tort. Elle paraît s'être irritée de ce qu'on au

rait trouvé, dit-on, quelques traces de sa présence dans quelques intrigues et quelques complots. Son irritation se serait augmentée en voyant ces menées n'être plus un mystère, et devenir l'objet de la conversation dans quelques salons politiques, et peut-être même dans une haute sphère. Aussi, sans prendre conseil de sa prudence ordinaire, la diplomatie russe a voulu se servir de la publicité; elle a répondu par la presse à des bruits, à des conversations du monde. Nous croyons qu'elle a été mal inspirée, et que son début avoué dans le journalisme parisien n'a pas été heureux. Les découvertes plus ou moins importantes qui avaient été la suite des investigations judiciaires du parquet de la Cour royale de Paris n'avaient été l'objet d'aucune communication directe de notre gouvernement, et nous ne voyons pas ce qu'a pu gagner la Russie à donner ainsi l'éveil à l'opinion publique. Peu de personnes savaient qu'elle était soupçonnée de répandre quelque argent et de fomenter quelques germes de conspiration; maintenant tout le monde le saura. La note qu'elle a publiée manquait donc d'adresse, et la rédaction n'en était ni fort élégante, ni très convenable. Nous eussions désiré que le ministère n'eût pas eu besoin de l'interpellation du Journal des Débats pour y faire dans le Moniteur une réponse énergique et concise. Il y a dans le cabinet une sorte d'inertie qu'il faut toujours aiguillonner dans les occasions sérieuses. La diplomatie russe est revenue à la charge; elle nous a appris par une autre note que M. de Medem avait fait des représentations fort vives à notre cabinet sur l'amendement de la chambre des pairs au sujet de la Pologne, et en particulier sur le vote de M. le ministre de l'instruction publique. Ç'a été une nouvelle faute, tant pour le fond que pour la forme. D'abord nous ne sachions pas que jusqu'à présent il fût dans les usages diplomatiques de faire connaître ce qui se passe dans les conférences que l'agent d'une cour peut avoir avec le ministre des affaires étrangères, comme on livre à la publicité les débats des chambres et des tribunaux. Il est curieux de voir le cabinet de Saint-Pétersbourg prendre l'initiative d'une notoriété aussi excentrique. Quant au fond même, il était bien tard pour présenter de prétendus griefs au sujet de l'amendement relatif à la Pologne. N'était-ce pas montrer le dépit qu'on pouvait éprouver de quelques découvertes, et n'en exagérait-on pas l'importance par ces affectations de récrimination tardive et maladroite? Il n'y a au surplus aucun motif pour dissimuler les raisons politiques qui ont pu déterminer l'adoption d'un amendement aussi affirmatif en faveur de la Pologne. Indépendamment de l'indestructible sympathie que porte la France à cet héroïque et malheureux pays, les chambres et le ministère ont pu avoir l'intention de témoigner par un vote presque unanime, et une rédaction fort claire, que la conduite du cabinet de Saint-Pétersbourg à l'égard de notre gouvernement et de notre dynastie était appréciée comme elle devait l'être. Dans un autre état de choses, peut-être le ministère eût-il proposé quelque atténuation aux termes énergiques de l'amendement présenté au Luxembourg par M. de Tascher; mais dans nos relations actuelles avec l'empereur Nicolas, il a dû laisser la chambre s'abandonner à tout l'intérêt que lui inspirait une cause généreuse. Nous ne pouvons croire que M. de Medem

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