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Braumsberg est loin de présenter le même état de conservation que Hoch-Schwangau ; ses tours inclinées et ses créneaux édentés, son haut donjon percé d'étroites meurtrières et sillonné de longues lézardes, ses murailles démantelées, brunies par le temps, et qu'à certaines places le lierre recouvre d'un noir manteau, donnent au vieil édifice un caractère sombre et farouche. Nul théâtre ne pouvait mieux convenir aux lamentables et mystiques tragédies du temps passé aussi l'imagination féconde des Tyroliens s'est-elle plu à en faire le théâtre de drames touchans et singuliers; l'histoire manquait, la poésie a pris sa place. La plus intéressante de ces chroniques dramatiques et la plus dégagée de l'alliage du merveilleux est celle des derniers châtelains de Braumsberg; en Allemagne, le théâtre et le roman 's'en sont emparés. La voici en résumé :

Joachim, dernier rejeton de la famille des Braumsberg, s'était marié deux fois et n'avait pas eu d'enfans de ces deux mariages. Déjà des rides profondes sillonnaient son front, et ses cheveux grisonnaient, lorsque dans une visite qu'il fit à un de ses vieux amis de la Souabe, il devint amoureux de la jeune Agnès sa fille. Il demanda sa main, l'obtint, et la ramena dans le Tyrol.

Agnès était parfaitement belle, et malgré son âge déjà mûr, Braumsberg l'aimait passionnément, mais il l'aimait comme on aime à son âge, c'est-à-dire avec inquiétude et en pensant à ses cheveux blancs; en un mot il était jaloux.

La charmante Agnès aimait comme une enfant le plaisir, la danse, la parure. Elle était trop jeune pour deviner la cause des soucis de son époux, et trop innocente pour éviter de lui donner de l'ombrage. Un des pages de Braumsberg, le jeune Adelbert, était son favori; elle le choisissait toujours pour l'accompagner dans ses promenades et dans ses chasses; tandis qu'Adelbert caracolait à ses côtés, le vieux baron, monté sur son noir palefroi, les suivait en silence, observant d'un air farouche leurs moindres mouvemens. Mais comme le cœur d'Adelbert était aussi pur que l'ame d'Agnès était innocente, rien dans les démarches et la manière d'être de ces deux enfans ne justifiait les soupçons du baron et ne motivait sa jalouse surveillance; n'ayant pas même la pensée du mal, ils n'avaient rien à cacher, et ils auraient dû n'avoir rien à redouter. Cependant Braumsberg détestait Adelbert du fond de son ame; Adelbert qui, sans le savoir, lui volait l'affection de sa jeune épouse! Dans sa folie, il eût presque désiré le trouver coupable, afin de pouvoir le tuer sans remords et se venger d'être moins aimé que lui.

Par une belle journée de printemps, l'aimable baronne de Braumsberg, placée à l'une de ses fenêtres, faisait sa toilette du matin. Le ciel était pur, l'air rayonnant et embaumé, et pour mieux jouir de la fraîcheur de ces premières heures du jour et mieux savourer le parfum des fleurs de la forêt voisine, que le vent apportait doucement jusqu'au sommet du rocher, Agnès avait fait ouvrir la fenêtre près de laquelle elle était assise. Elle achevait de nouer les tresses de sa belle chevelure, quand elle entendit la voix de son mari qui l'appelait; elle courut à sa rencontre pour recevoir le baiser du matin, et dans sa précipitation elle oublia ses bagues placées sur le rebord de la fenêtre. Un corbeau perché sur une tourelle voisine, attiré par l'éclat des pierreries, vint voltiger sur le balcon, s'approcha en sautillant des bagues et, saisissant un anneau d'or avec son bec, il prit son vol du côté de la forêt. C'était l'anneau d'Agnès que le corbeau venait d'enlever, l'anneau que le jour de ses noces le baron avait passé au doigt de l'épousée.

Adelbert, qui, ce jour-là, chassait dans la forêt voisine, aperçut un corbeau qui planait sur sa tête. Il banda son arbalète et visa l'oiseau, qui tomba mort à ses pieds. En le ramassant, le jeune homme vit avec étonnement l'anneau d'or que le corbeau tenait encore à son bec; il le saisit, le mit joyeusement à son doigt, et reprit, en fredonnant la chanson favorite d'Agnès, le chemin du logis. Au moment où Adelbert rentrait au château, le baron était appuyé contre le mur près de la porte. Comme le jeune homme passait à ses côtés en le saluant, Braumsberg lui lança un sombre regard, et quelle fut sa fureur en voyant au doigt de celui qu'il regardait comme son rival la bague des épousailles! Plus de doute, l'infidèle Agnès aura donné au complice de son crime ce gage d'amour. Le baron, transporté de fureur, fait mettre à la torture le malheureux page; mais comme celui-ci, au milieu des tourmens, niait toujours le crime dont on l'accusait et protestait de l'innocence et de la pureté de sa noble maitresse, le baron, transporté de colère, sort de la salle du supplice, et, poussant d'horribles imprécations, monte impétueusement à la chambre d'Agnès. Celle-ci, entendant les cris que la douleur arrachait à Adelbert, s'était mise à genoux devant son prie-dieu, et implorait le ciel avec ardeur. Le baron vit dans son humilité l'aveu de son crime; la saisissant dans ses bras, il la poussa violemment du côté de la fenêtre, et l'enlevant avec un furieux effort, il la jeta dans le précipice.

La malheureuse Agnès tomba d'une grande hauteur; mais, au mo

ment où elle allait se briser sur le rocher au sommet duquel était bâti le château, ses vêtemens flottans s'accrochèrent à la branche d'un gros arbre incliné sur l'abîme et amortirent le coup. De cet arbre elle tomba sur le rebord du rocher que, dans cet endroit, tapissait un lit de mousse; et, glissant à travers les broussailles et les fougères, elle arriva doucement au fond du précipice sans s'être fait aucun mal.

Le baron était resté sur le balcon pour être témoin de l'agonie de sa victime. Quelle fut sa surprise, lorsqu'il vit celle qu'il croyait morte se relever sans blessures, et puis tomber à genoux sur la rive d'un petit ruisseau où sa chute s'était arrêtée, joindre les mains, et recommencer à prier.

Dans ce même instant des vassaux du baron qui, en fanant leurs foins dans une prairie voisine, avaient été témoins de l'effroyable chute de leur maîtresse, accouraient pour lui porter des secours, si déjà elle n'avait pas rendu l'ame. L'étonnement de ces braves gens fut grand, quand, au lieu du cadavre qu'ils croyaient retrouver, ils virent une jeune femme à genoux et adressant au ciel de ferventes prières. Miracle! miracle! s'écrièrent-ils. Ils entouraient la baronne, baisaient dévotement ses vêtemens, et voulaient la ramener au château. Agnès refusa; Agnès fut sourde aux supplications de son époux, qui, après ce prodige, ne pouvant plus douter de son innocence, était accouru précipitamment, s'était jeté à ses pieds, et implorait humblement son pardon.

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- Je vous pardonne de bon cœur, lui dit Agnès avec tristesse; mais au moment où je tombais, j'ai fait vou, si j'échappais à la mort, de consacrer le reste de mes jours au service de Dieu, qui, par ce miracle, prouverait mon innocence; ce vœu, je dois l'accomplir.

Le même jour elle se fit conduire au couvent du Sang sacré, à Weingarten, où elle prit le voile, et où elle vécut et mourut saintement. Le baron, inconsolable, suivit l'exemple qu'Agnès lui avait donné il se fit frère séculier, et passa le reste de ses jours dans le jeûne, les prières et les macérations, voulant se punir de ses indignes soupçons et expier le crime qu'ils lui avaient fait commettre.

Braumsberg étant mort sans héritiers, son château et ses domaines devinrent la propriété des princes régnans; ils passèrent ensuite aux comtes de Trapp et de Curburg.

FRÉDÉRIC MERCEY.

LA

BELLE ISA BEAU.

XII.'

LE CAMP DE L'éternel.

Le lendemain du jour où Toinon avait quitté Montpellier, un beau soleil d'été éclairait de ses premiers rayons les montagnes de la Seranne, où était établi le camp de Cavalier.

Cette position dominait complètement le plat pays, vaste plaine de trois à quatre lieues d'étendue, alors entièrement inculte et déserte. Des ruines et des décombres noircis par l'incendie marquaient la place de chaque village protestant; plus de cent hameaux ou bourgs avaient été rasés et brûlés dans cette partie des Cevennes, suivant les ordres de Louis XIV.

Partout les champs en friche étaient couverts d'herbes parasites. Il serait impossible de peindre l'aspect désolé de ces solitudes, de ce pays naguère si peuplé, si calme, si richement cultivé.

Au nord s'élevaient, en forme de croissant, les derniers escarpemens de la chaîne de montagnes dont on a parlé; leurs massifs calcaires et grisâtres s'abaissaient en plusieurs rampes jusqu'aux bords du Gardon, ou rivière d'Anduze, qui baignait leur base.

A mesure que le léger brouillard du matin se dissipait, on voyait

(1) Voyez les livraisons du 26 janvier, 2 et 9 février.

TOME XIV. FÉVRIER.

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plus distinctement se dessiner à l'horizon les lignes sévères et grandioses de ces montagnes de rochers dont les flancs, presque à pic, étaient semés çà et là de quelques bouquets de châtaigniers.

Le camp de Cavalier, placé comme l'aire d'un aigle, s'étendait sur la crête d'une de ces hauteurs, seulement accessibles du côté de la plaine.

La situation de ce camp avait été choisie avec une heureuse entente des choses de la guerre, car le génie militaire de Cavalier s'était rapidement développé, mûri par l'étude, par la méditation de quelques bons ouvrages de stratégie, et par la fréquente application des savantes théories qu'il y puisait.

Il avait ainsi acquis ou perfectionné quelques-unes des qualités indispensables aux bons capitaines; l'excellence de l'emplacement de son camp en était une preuve évidente. Profitant des avantages que lui offrait la configuration de ce pays de montagnes, coupé par des ravins, couverts par des bois, et arrosé par les rivières de la Seranne, il avait rendu sa position presque inexpugnable.

Merveilleusement servi d'ailleurs par une parfaite connaissance du pays, première et indispensable base de toute opération militaire, Cavalier avait placé ses avant-postes de telle sorte qu'il dominait complètement la plaine; car depuis la terrible dévastation des paroisses, on ne pouvait, dans un rayon de trois à quatre lieues, faire un mouvement de troupes qui ne fût aperçu du camp des camisards.

Ce point, très facile à garder, était donc à l'abri de toute surprise; il n'était commandé par aucune position où l'ennemi aurait pu amener du canon; les communications étaient libres et assurées, entre son camp, ses magasins, et son ambulance placée sur ses derrières, au milieu de montagnes inaccessibles.

En cas d'attaque, la plaine lui offrait un champ de bataille avantageux. Les châtaigniers des montagnes lui fournissaient du bois en abondance; la rivière d'Anduze, qui servait de défense naturelle à ses grand'gardes, lui donnait de l'eau; l'air était pur; en un mot, ce campement offrait les conditions défensives et offensives les plus favorables.

C'est dans cette importante retraite du chef le plus influent des camisards que nous conduirons le lecteur.

Un mouvement inaccoutumé régnait dans le camp formé de deux lignes de cabanes en bois, grossièrement, mais solidement construites, et recouvertes de branches d'arbres entremêlées de joncs marins et de genêts. Il était environ sept heures du matin; quelques

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