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LA COQUETTERIE MODERNE.

Il manque aux Caractères de La Bruyère un portrait qui serait cependant d'une importance assez précieuse dans la galerie des mœurs modernes et de la civilisation française. Jamais il n'aurait été, d'ailleurs, l'expression d'aucune époque, comme il pourrait l'être de la nôtre.

Et d'abord, il faut comprendre qu'il y a deux coquetteries, celle du cœur et celle de l'esprit.

La première est uniquement l'envie de plaire, dans ses rapports directs avec la galanterie amoureuse. D'ordinaire, elle provient d'une corruption, plus ou moins avancée, des instincts naturels. Elle se ment sans cesse à ellemême, et n'est jamais une passion.

Pendant deux siècles, celui de Racine, et j'allais dire aussi celui de Marivaux, la psychologie de la coquetterie du cœur a été expliquée, analysée et commentée dans des nuances si merveilleuses et si infinies, qu'il est inutile d'ajouter un mot de plus à la science parfaite de ce coin de l'ame humaine.

Mais la coquetterie intellectuelle n'a pas encore été étudiée et surprise dans les phénomènes de son influence à présent si générale. Le théâtre comique, qui cherche des observations neuves pour ses réformes, et la philosophie qui poursuit l'examen des phases que subit la perfectibilité sociale, sont impardonnables, à vrai dire, de n'avoir pas compris jusqu'ici cette cause secrète et intime de toutes les formes de nos ridicules et de nos vices.

Au milieu de nos mœurs ambiguës et sans relief, la coquetterie, perversité

d'intelligence, est peut-être le sceau fatal qui caractérise le plus visiblement les tendances imparfaites, les ébauches continuelles, les avortemens successifs du XIXe siècle entier. Il n'y a presque personne, en ce moment, qui ait un atome de foi et qui suive la moindre tradition. Nous ne nous attachons plus au substantiel, mais à l'accident, dans les choses qui nous vont le mieux. Les feux-follets en tout nous éblouissent. Nous ne visons pas même au bonheur, mais plutôt à ses semblans. De là notre vice originel, celui, je le soutiens, de la génération présente, le vice qui joue le rôle d'être le plus petit et le moins à craindre de tous les vices, mais qui en est le plus grand et surtout le plus dangereux, car il ruine toute efficacité des actions humaines.

Ni les peintres de la comédie grecque, ni les moralistes de l'ancienne philosophie ne nous ont transmis une appréciation de leur époque ainsi comprise. Même pour les Athéniens, cette analogie n'existe pas. Aussi bien les contemporains d'Alcibiade ne sont-ils que frivoles et légers, avec une certaine vertu d'énergie qui leur reste encore. Les Romains de Juvénal, à leur tour, sont vicieux, mais passionnés. En général, l'antiquité abuse de la matière et de ses attributs; mais c'est un degré de force chez elle. Au contraire, il semble que le spiritualisme ait efféminé la nature de l'homme et l'ait rendue plus proche de celle de la femme, depuis l'ère chrétienne. L'art d'Homère, qui est un soleil d'or, ne plaît plus à aucun fidèle. Virgile flattera davantage les humeurs incertaines de notre goût, à cause de ses ombres, de ses crépuscules, de ses reflets de lune.

Je crains bien qu'aujourd'hui nous ne fassions plus rien par l'effet d'une personnalité indomptable, ou avec l'unité d'un plan de conduite, et même pour satisfaire un intérêt réfléchi. La France était habituée à être réalisatrice, par une activité sans exemple, des plus étonnantes merveilles de civilisation. Nos pères se livrèrent, avec une fureur toute d'entrain, à leurs brutalités les plus inconsidérées, mais les plus actives. L'époque de la Fronde s'engagea elle-même dans de fougueuses visées révolutionnaires qui étaient plus sérieuses qu'on ne dit. Le XVIII' siècle aussi fut d'une sincérité hors de doute dans ses implacables négations, et jusque dans ses infames roueries. Toute la révolution a été hideuse de la candeur de ses crimes, comme elle a été sublime de la profonde portée de ses grandes audaces. Sous l'empire encore, nos moindres gestes avaient envie d'être une action, nos moindres paroles d'être un évènement.

A présent, nous n'avons plus de passions, ni par tempérament de nature, ni par puissance d'imagination, ni par combinaisons de raisonnement. On emprunte des caprices éphémères aux mille vents qui traversent l'espace; on s'en laisse chatouiller l'épiderme, on jette au frottement des étincelles fantastiques, et il n'y a point de chaleur au foyer intime, et notre organisation n'a pas de pôle fixe et déterminé, car ce que chacun pense est un rêve, ce qu'il sent n'est qu'une sensation. D'une idée, les plus intelligens n'admettent que le détail, c'est-à-dire le hors-d'œuvre; d'un sentiment, les mieux doués n'expriment que le suc d'une fantaisie passagère. Ainsi, cela va bien, trouve-t-on, d'être pour ou contre un principe du soir au matin, d'attaquer la tradition ou de prêcher

la routine peut-être selon sa digestion, de blâmer à la fois Shakspeare et Racine par originalité prétendue d'indépendance, d'estimer Charlemagne et en même temps Louis XIV, sans appréciation, et de croire en Dieu ou d'être athée selon la mode qui passe.

Veut-on une remarque décisive? Autrefois, on aimait les honneurs parce qu'il était encore d'assez bon goût d'avoir servi son pays, de s'être bravement battu à l'armée, d'être un homme considérable de l'état, d'être utile dans la science et le premier dans l'art. Maintenant, après les profits du moins, on ne poursuit que les avantages accessoires des positions supérieures; on enroule par exemple, à sa boutonnière, le ruban rouge, et on l'aura disputé à un homme de mérite pour se faire honneur, par le crédit qu'on a, du talent spécial qu'on devrait plutôt avoir.

Nous nous mirons, ainsi que Narcisse, dans toutes les réflexions de miroirs possibles, ou bien nous faisons la roue, comme les paons, avec des yeux tout autour de notre plumage. Qui donc a une religion de cœur ou d'esprit? qui donc a des préférences exclusives et une volonté enracinée à des sympathies et des antipathies invincibles? qui donc est radicalement vertueux ou même vicieux, ou même ridicule? Les hommes du jour n'ont pas de caractère à eux, et ils ne peuvent même en avoir, car ils essaieront toutes les métamorphoses selon les besoins qui les forceront de débuter et de se retourner plus tard, d'une certaine manière, au milieu de la vie. On n'atteint, en effet, que la ressemblance hypocrite des qualités ou des défauts qui conviennent le plus à la position qu'on se ménage dans ce monde; il n'est plus permis à l'ame la mieux trempée de conserver un instinct de singularité vivace et féconde, car les convenances sociales se font trop despotiques souveraines du vouloir individuel. Il faut donc se contenter d'être passif presque toujours, jusqu'à ce qu'on adopte un rôle quelconque, mais d'abord on doit avoir étudié la grimace à peu près de tous: aussi bien la seule activité qui puisse s'employer avec succès est celle, non de la logique et de la raison, mais du hasard des circonstances et de la fantaisie qui s'y approprie le mieux.

Jamais, pour entrer dans la société, l'on n'avait préparé avec tant de soin la représentation de son début. Toute la destinée dépend de l'heure où l'on s'expose en public, selon les rayons d'un jour favorable et selon le piédestal qu'on s'est dressé ; la conscience n'y a été pour rien, mais la commodité du triomphe pour tout. Au besoin, on a exagéré les saillies expressives du dessin de sa statue, pour la rendre immortelle comme un type dont elle ne sera pourtant que l'apparence; quelques-uns, dans l'occasion, abusent d'imprudences excusables afin de se faire pardonner à la longue des séries de crimes comme des étourderies. Ce que nous désirons surtout, c'est de passionner la foule, de nous montrer à elle sur son passage, et de lui inspirer quelques jalousies; la démocratie, que cela soit avantage ou désavantage, est envieuse : il y a des gens qui la flattent en se laissant mordre volontiers par elle, et qui, pour parvenir, lui abandonnent leur réputation afin de devenir les égaux de ceux qui les épouseront ensuite comme leurs représentans.

On est coquet sous une forme qu'on préfère, tantôt celle du vice, tantôt celle de la vertu. La vertu consiste à subir comme un joug les sacrifices où l'on se complaît le mieux; ne choisit-on pas toujours les plus étranges? Mais surveillez l'homme coquet sur ses devoirs, il les néglige. Être d'un parti, souvent c'est se mettre au doigt qu'on montre le plus une bague qu'on fera chatoyer au lustre de la popularité.

D'autres font les mêmes choses plus honnêtement, selon l'infériorité de leur médiocrité. Celui-ci étale et montre son indépendance politique par son linge sale et ses habits troués au coude; celui-là qui était ministre, mais philantrope, allait dîner publiquement dans une gargotte, où il satisfaisait surtout l'appétit vorace de sa vanité. L'un suit la mode de toutes les cuistreries du mauvais goût et se rend horrible de forme, quand il a peut-être toutes les candeurs d'un ange dans le cœur ; l'autre promène dans les rues les airs des marquis de ses romans, afin de donner une valeur de plus à sa signature d'auteur. Plusieurs, qui font les grands hommes et les messies incompris, n'aspirent qu'à voir les enfans du peuple, comme des chiens hargneux, aboyer sur leur passage; cela fait venir les princesses parisiennes aux fenêtres. Voici enfin quelqu'un qui se glorifie d'être un parvenu, comme on serait fier d'avoir sauvé sa patrie.

Des sottises passons aux erreurs. Jacques veut être un Lycurgue, et il n'est secrètement, pour lui-même, il le sent bien, que de l'étoffe des caissiers. Toutefois, s'il ne monte pas au ministère, il ne s'en consolera que par la manie d'être martyr et de faire des ingrats: le mot d'ingratitude a quarante syllabes dans sa bouche. Jean, de son côté, professe une opinion humanitaire touchant les comètes, et ce qu'il cherche dans les cieux, où les étoiles sont inégales, c'est l'avènement des capacités pour la réforme électorale.

Les coquetteries de religion sont les pires. Quelle misérable raillerie de comédiens à la douzaine ç'a été que cette dernière réaction catholique qui a été mise en vogue dans les boudoirs, par des poètes et des journalistes, avocats de sacristie! que de scandales et d'immoralités rampaient dans toutes les consciences, tandis que l'on abusait à l'envi des souvenirs les plus sacrés et des traditions les plus inviolables, pour en vernir, à son usage, une situation de livre, de drame ou seulement même de feuilleton! Mais a-t-on appris quelque part que ces phraseurs cafards eussent purifié d'avance leur cœur, ou lavé leurs doigts, de la poussière d'un or vénal, celui des marchands du temple? Et dans le monde, comme il était de bon ton, ces derniers hivers, de causer du christianisme au bal avec sa danseuse à demi séduite ! combien il se creusait de fontaines lacrymatoires dans les yeux de beaucoup de Madeleines non repenties qui devaient à cette mélancolie de piété leurs graces les plus langoureuses! Les gilets les mieux portés aux Bouffes laissaient paraître au milieu de la poitrine des dandies, faux martyrs, une cravate symboliquement pliée en croix, croix de satin. Chacun se dorlottait la conscience à son aise par de belles vérités sans application. C'était à qui mignardiserait le mieux avec une

religion sans dogme, avec une morale sans règle; car on n'a jamais dit que les calomnies eussent cessé de tomber en gouttes impures de ces bouches saintes; et je crois que plus d'un monstrueux adultère a continué de végéter sur le fumier de ces cœurs dévots.

Ainsi la coquetterie de l'esprit est mainte fois l'impuissance de la volonté humaine qui avorte dans la pratique des choses qu'elle désirerait le plus. La coquetterie des femmes est souvent cela, elle aussi, et bien des hommes, surtout parmi les artistes, deviennent femmes sous ce rapport. Mais en vain s'efforce-t-on de dissimuler par des prétentions contraires sa misère intérieure. Schopp possède d'immenses facultés pour la sculpture; mais il préfère passer pour un poète et un philosophe, pour un joueur de trictrac et un musicien consommé. Il se vante de jouer, s'il le veut, au premier jour, de la guitarre avec son coude, comme Paganini de son violon, et il y place sa gloire en apparence. Mais son fait est d'être incapable en tout ce qui est de long effort; il a la coquetterie de la paresse et de l'indifférence; malheureusement s'il feint de se laisser distraire par une mouche qui vole, c'est qu'il sent son impuissance, et il serait Irumilié qu'on la découvrît.

Il n'est pas rare de voir des républicaîns se moucher dans de la batiste superfine armoriée : cela donne à penser qu'ils ont glissé leur pied dans des oratoires de comtesses carlistes. Quelques-uns ont été surpris qui portaient des gants parfumés aux mains, pour aller déraciner les pavés des rues, lors des barricades contre l'aristocratie. Ne comptez pas sur ces démocrates coquets.

Le lorgnon, pour certaines gens, dans les fêtes publiques, est ce qu'est l'éventail pour les Espagnoles. Quelques muguets ont peur d'être jeunes et d'avoir de bons yeux. Cela leur oterait je ne sais quelle grace dont ils se parent volontiers à s'enfoncer un cercle noir d'écaille dans l'orbite qui est au-dessous de leurs sourcils. Où en sommes-nous, que l'on ait honte de sa jeunesse et de pouvoir regarder en face le soleil ou la beauté des femmes ?

Que pensez-vous d'un amant qui, pour une jeune fille à laquelle il prétend donner toute son ame, n'a pas d'autre fleur à offrir que l'insignifiant camélia? Qui donc comprend, à présent, les splendeurs et la pureté du lys? Qui done les baumes de la rose? Ah! la nature elle-même ne produit plus les belles choses simples qui faisaient d'abord toute sa magnificence. L'artifice humaîn ne cultive plus que des monstruosités.

Les arts en sont là aussi. La couleur locale est le prestige auquel le sentiment, le mouvement et l'invention sont sacrifiés. Un grand versificateur a fait épargner l'Égypte par le feu du ciel, et dans l'Égypte, cette terre nourricière de l'antiquité, cette gardienne des traditions où tous les philosophes et le Christ lui-même sont allés chercher des inspirations si précieuses, le versificateur n'a vu que des rimes à accoupler sur les crocodiles et sur les taches d'îles. Plusieurs poètes féminins, à leur tour, soupirent sur leur lyre coquette des charmes ét des amours qu'elles n'ont pas et n'auront jamais.

A part les organisations d'élite, que de mélomanes affectent de sentir les

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