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ANDRÉ VÉSALE.

(15141564.)

PREMIERE PARTIE.

Durant les trente années qui unissent la fin du XVIIe siècle au commencement du XVIII, il s'est enraciné, en Europe, une opinion qui, bien que souvent et courageusement combattue, semble prévaloir aujourd'hui. C'est l'idée que tout ce que l'intelligence des hommes de l'antiquité nous a légué, n'est plus aujourd'hui, pour nous, qu'un ensemble de faits épuisés, propres peut-être à entretenir parfois la curiosité et la souplesse de notre esprit, mais dont il ne serait plus possible de rien tirer qui pût s'appliquer soit aux besoins de l'ame, soit à ceux du corps chez les nations modernes.

L'antiquité et ses œuvres est décidément répudiée par les générations actuelles; et pour en fournir une preuve irrécusable qui comprend toutes les autres, je me bornerai à signaler l'infériorité toujours croissante des études universitaires, causée par l'indifférence, le mépris même que témoignent les classes les plus élevées de la société pour la connaissance des langues anciennes.

Cette opinion, qui se fortifie de jour en jour, est certainement l'une des graves erreurs que caresse notre siècle, ce siècle qui saerifie tout au moment présent, à la journée qui s'écoule, et pour lequel le passé est comme non avenu, et l'avenir obscur comme le néant.

Malgré la complaisance plus que gasconne avec laquelle on constate les immenses progrès des lumières, le perfectionnement indéfini des sciences, et le bien-être auquel est appelée l'humanité, je pense qu'à d'autres époques l'homme intelligent s'est trouvé parfois dans des conditions plus favorables pour lui et pour ses semblables, que celles où nous sommes aujourd'hui ; par exemple, lorsqu'ayant plus de respect pour le passé et plus de foi dans l'ave nir, il s'efforçait, par ses œuvres, de faire honneur à ses aïeux, et de mériter la reconnaissance de la postérité.

Telle fut, en effet, la disposition d'esprit des hommes éminens en tous genres, qui concoururent pendant près de deux siècles au grand œuvre de la renaissance des lumières en Europe, et au nombre desquels André Vésale doit être placé.

Cet homme fut sans doute un novateur très hardi; mais à côté de cette qualité douteuse, il en avait d'autres excellentes, solides, qui l'empêchèrent constamment de rien hasarder sans être sûr de son fait. On va voir quel fonds de connaissances il fallait qu'il eût acquis par l'étude et l'expérience, dès l'âge le plus tendre, pour déterminer, avant qu'il eût accompli sa vingt-huitième année, une révolution complète dans la science qu'il cultivait, l'anatomie.

André Vésale est né à Bruxelles, capitale du Brabant, le dernier jour du mois de décembre 1514. Son père, qui portait aussi le prénom d'André, était préparateur de médicamens de Charles-Quint. Son grand-père, Éverard Vésale, mathématicien très habile, auteur de plusieurs ouvrages sur la médecine qu'il cultivait, avait acquis de la célébrité par les commentaires qu'il fit sur les livres de Rhazès, que tous les médecins étudiaient alors, ainsi que sur les quatre premières sections des aphorismes d'Hippocrate. Le père d'Éverard, le bisaïeul d'André, nommé Jean, fut médecin de l'empereur Maximilien. Il pratiqua et enseigna son art, et l'on rapporte qu'il avait dépensé une partie de sa fortune à rassembler les manuscrits les plus précieux traitant de la médecine. Enfin Jean avait eu pour père Pierre Vésale, médecin aussi, et qui dans son temps avait joui d'une assez grande célébrité.

Le frère d'André Vésale, le grand anatomiste dont je vais m'occuper, François, dominé par l'instinct de la famille, ne put résister au désir d'étudier aussi l'anatomie, ce qu'il fit avec succès. Par condescendance pour ses parens, François étudia bien d'abord la jurisprudence, mais il revint bientôt à la médecine. Il mourut jeune.

On a observé, dans les diverses éditions des premiers ouvrages publiés par Vésale, que l'orthographe de son nom n'est pas toujours la même. Avant qu'il l'eût écrit ainsi : Vesalius, on lisait tantôt Wesalius ou Wessalius. Sa famille, originaire de Clèves, portait trois belettes dans ses armes, ce qui fait supposer que le mot flamand, d'origine saxonne, wesel, a pu faire écrire originairement le nom de Vésale avec un W.

Les Vésale, on le voit, formaient une véritable dynastie de médecins, et je rapporte leur généalogie et leur origine, non-seulement parce que l'on n'a pas manqué de faire des rapprochemens entre cette famille et celle des Asclé

piades ou enfans d'Esculape, mais aussi et surtout à cause de l'influence salutaire que les honorables souvenirs de ses aïeux ont eue sur le grand anatomiste André Vésale.

En effet, médecin de race, si je puis m'exprimer ainsi, il sentit de très bonne heure le besoin de ne pas dégénérer. Ses parens, mus sans doute par un sentiment de la même nature, le placèrent très jeune au collège de Louvain, afin qu'il fût imbu dès son enfance de la doctrine péripatétique. On ne saurait douter que l'intelligence et les progrès de Vésale aient été extraordinaires, puisque vers seize ou dix-sept ans, outre le latin qu'il écrivait habituellement, et le grec qu'il possédait assez bien pour que plus tard il fût chargé par l'imprimeur vénitien Junta de corriger les épreuves du texte de Galien, il connaissait encore la langue arabe.

Cependant de tels efforts, plus que suffisans à l'emploi d'une intelligence même distinguée, ne furent en quelque sorte qu'un travail préparatoire pour le jeune Vésale qui, ne cherchant dans les langues qu'un moyen de transmission d'idées, réservait toute la force de son esprit et de son attention pour l'étude de la physique et de l'anatomie. En effet, malheur aux rats, aux taupes et aux animaux domestiques qui tombaient entre les mains déjà savantes du jeune écolier, car il les disséquait impitoyablement pour en étudier l'organisation.

Cette chasse aux animaux, que l'on aurait tort de confondre avec des espiégleries d'enfant, étaient au contraire pour Vésale l'occasion d'études extrêmement sérieuses. Elles atteignirent si promptement une grande portée, que presqu'aussitôt après ses premières dissections, Vésale fréquenta l'université de Louvain où l'on étudiait l'anatomie. Bientôt il passa à celle de Montpellier où il séjourna jusqu'au moment où, attiré par la grande réputation de Jacques Dubois, Jacobus Sylvius, car les savans traduisaient alors leurs noms en latin, il ne tarda pas à aller se ranger au nombre des auditeurs de ce fameux professeur d'anatomie à l'Université de Paris. Or, à cette époque, André Vésale ne pouvait pas avoir plus de quatorze ans.

Son ardeur pour l'étude était excessive; aussi la communiqua-t-il à ses nouveaux condisciples. Son intelligence et son infatigable activité le firent même remarquer par le vieux Sylvius, qui, en faveur des qualités éminentes qu'il reconnut à son nouvel élève, se montra moins sévère à son égard pour l'observation de la discipline établie dans son amphithéâtre. Les dissections d'animaux ne duraient que trois jours, et, en outre, elles ne pouvaient être faites que par un chirurgien désigné pour cet objet. Vésale prit sur lui de revenir après les leçons, accompagné de ses camarades, pour interroger plus longtemps la naturé, et là, le jeune anatomiste usant pour son compte, et pour celui de ses amis, de la supériorité qu'il avait déjà acquise, recommençait la leçon, et rectifiait même souvent les erreurs que le maître avait laissé échapper. Plus d'une fois, Sylvius, rentrant tout à coup, trouva le jeune auditoire occupé à repasser les démonstrations qu'il avait faites. On rapporte même qu'un jour le célèbre professeur ayant avoué qu'il lui avait été impossible de trouver

les petites membranes qui tapissent l'aorte et les veines, Vésale et ses amis se mirent à les chercher avec tant d'ardeur que le lendemain ils purent les indiquer à leur maître.

Je n'insisterai pas, comme la plupart des biographes de Vésale, sur les tours d'écolier qu'il fit, ainsi que ses camarades, pour se procurer, en les dérobant, des os et des squelettes, soit au cimetière des Innocens, soit à Montfaucon, où des chiens furieux les attaquèrent. Ces détails prouvent ce que tout le monde sait, qu'au temps de Vésale certaines prohibitions rendaient les études anatomiques assez difficiles, et que ces défenses même redoublaient la passion que Vésale avait pour la science.

Mais ce qui donne une bien autre idée de l'espèce de fureur avec laquelle cet homme a étudié, c'est que de Paris il retourna à Louvain pour être prosecteur et démonstrateur d'anatomie en public, sous la direction de Jean Armentenarius, célèbre professeur de médecine en cette ville; c'est qu'en 1528, lorsqu'il atteignait à peine sa quinzième année, il fut appelé, en qualité de médecin-chirurgien, pour traiter une épidémie; c'est qu'à vingt ans, en 1535, lorsqu'on se proposait de faire la guerre à la France, il fut choisi médecinchirurgien attaché à l'armée et appointé en cette qualité; c'est qu'à compter de l'âge de vingt-deux ans il fut appelé successivement à Venise, à Bologne, à Padoue et à Pise, pour démontrer publiquement l'anatomie, et qu'enfin il était à peine dans sa vingt-huitième année quand, en 1543, il publia son livre De Humani corporis fabricá, de la Structure du corps humain, ouvrage qui, ainsi qu'on le verra bientôt, changea subitement la marche de la science de l'anatomie en Europe, et lui donna l'impulsion à laquelle elle obéit encore aujourd'hui.

A vrai dire, la vie de ce grand anatomiste, la portion de son existence au moins par laquelle il se recommande à la reconnaissance et à l'admiration de la société, est comprise dans les quatorze années qui se sont écoulées depuis ses études à l'université de Paris jusqu'à l'époque où il publia son grand ouvrage. Mais pour apprécier la nouveauté de ses travaux, ainsi que le courage extraordinaire dont il a fallu que cet homme fût doué pour les poursuivre, les mettre en ordre et les publier, il est indispensable que l'on sache dans quel état se trouvaient alors la médecine et l'anatomie en Europe, et les principales vicissitudes qu'avaient éprouvées ces connaissances lorsque Vésale les reprit

en sous-œuvre.

Sans m'arrêter au dieu Esculape, dont les enfans ou les disciples reçurent l'art de guérir, je rappellerai que les héritiers directs de cette divinité mystérieuse, les Machaon, les Podalire, apparaissent dans l'Iliade, où on les voit exercer simultanément la médecine et la chirurgie, tout en combattant sous les murs de Troie.

L'introduction du culte d'Esculape dans la Grèce est attribuée à ces deux héros, dont l'un, Machaon, le porta dans le Péloponèse, et l'autre, Podalire, dans l'Asie mineure.

C'est à cette époque que l'on fait remonter la fondation de ces temples d'Es

culape nommés en grec asclèpions, dans lesquels, outre le culte rendu à la divinité, on recevait les malades qui venaient consulter. Les prêtres desservant ces temples passaient pour les fils d'Esculape, et ces asclepiades, instruits dans l'art de guérir et augmentant leurs connaissances par l'expérience journalière, soignaient les malades et transmettaient à leur tour la science qu'ils avaient acquise en pratiquant.

Peu à peu ces prêtres, qui tenaient note des cas de maladie qu'ils avaient étudiés, résumèrent leurs observations, en firent des corps d'ouvrages, et c'est ainsi que ces temples, ces asclépions, devinrent en même temps des espèces d'hôpitaux et des écoles où l'on allait étudier la médecine. Il s'en établit un grand nombre; les plus célèbres au ve siècle avant Jésus-Christ étaient ceux de Cyrène, de Rhodes, de Gnide, de Cos, et la science sacerdotale y était essentiellement empirique.

Comme la poésie, comme la musique, la danse, l'architecture et la sculpture, comme la peinture et le théâtre, c'était sous la protection des prêtres et dans les temples que la médecine avait pris naissance.

Mais aux approches du siècle de Périclès, et lorsque les connaissances de tout genre commençaient à s'infuser dans l'esprit des populations, les philosophes, en recherchant les lois générales et particulières de la nature, se mirent à disséquer moralement et physiquement l'homme pour le mieux connaître; et de cette connaissance plus ou moins parfaite, ils tirèrent des principes propres à leur faire connaître les lois qui règlent l'équilibre ou l'altération de la santé. Ce n'est, il est vrai, qu'indirectement qu'Empedocle, Parménide et quelques autres empiétèrent sur le terrain de l'art de guérir; mais l'ardeur avec laquelle les philosophes, depuis Démocrite jusqu'à Aristote, firent des dissections d'animaux et sans doute d'hommes, fonda la science de l'anatomie, et fit nécessairement concevoir l'idée de pouvoir guérir méthodiquement aussitôt que l'analyse de toutes les parties qui composent le corps humain permettrait d'établir un système physiologique invariable. Tel fut le rêve admirable des philosophes grecs, dont les observations anatomiques sont sans doute très imparfaites, mais qui, malgré les erreurs qu'elles renferment, brillent ordinairement par une espèce de divination puissante qui les porte parfois à deux doigts de la vérité. Quoi qu'il en soit, ce sont les philosophes de la Grèce qui ont jeté les bases de la science de l'anatomie et l'ont fait entrer comme un élément indispensable dans l'art de la médecine, exercée empiriquement jusque-là dans les asclépions.

Cette diversion, cette concurrence apportée à la doctrine des médecins sacerdotaux, par la nouvelle méthode de guérir que proposaient les philosophes, n'est pas la seule que les asclépiades eurent à soutenir. On sait jusqu'à quel point l'usage des jeux gymnastiques était répandu en Grèce, et il est certain que les palestres y étaient encore plus nombreuses que les asclépions. De ce qui n'était ordinairement qu'un délassement ou un exercice pour le corps, on fit un art très compliqué. L'idée de former les hommes aux chances des combats se joignit à la mode, et les palestres devinrent de bonne heure, en

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