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élucubrations plus curieuses qu'utiles? Peut-être serait-il bon qu'à la manière de Vésale, de Galien et du vieil Hippocrate, on fit des efforts pour rendre à l'art de la médecine ce caractère simple et un qui résulte particulièrement de l'intuition synthétique, faculté si précieuse, je dirais presque divine, et que que l'on regretterait de voir altérée par les abus de l'analyse.

On publie en ce moment une traduction nouvelle des ouvrages du médecin de Cos, et je m'en réjouis (1). Je sais même que la belle et savante introduction qui précède ce livre a été lue avec le plus vif intérêt par tous ceux qui ne restent pas étrangers à l'art de guérir. A mon sens, c'est un progrès; car si quelque esprit droit, fort, et par conséquent indépendant, ne craignait pas d'aller se retremper dans la source antique de la science, je ne doute pas qu'il n'en sortît plus lucide et plus vigoureux encore. Je finirai donc ce morceau comme je l'ai commencé, en recommandant l'étude de l'antiquité. Quoi qu'on en puisse penser dans ce siècle, qui ne perdrait rien de son éclat et de sa grandeur en gagnant quelque chose en modestie, j'oserai dire que l'habitude de ne se repaître que des idées exclusivement accréditées par ses contemporains, blase et use l'esprit, énerve et engourdit les ames; que les génies naturellement doués d'élévation et d'énergie dégénèrent dans cette espèce de prison, où la température, se viciant faute d'être renouvelée, transforme leur puissance en une activité fébrile et nerveuse; je dirai que cette communauté d'idées souvent éphémères, fruit d'une espèce de conversation scientifique à laquelle toute l'Europe prend part à la fois, met de la diffusion dans les esprits, délaye la pensée, et qu'enfin, au milieu de ce commérage intellectuel qui ne permet plus à personne de reconnaître ses pensées, chacun reste, à l'égard des idées livrées à la circulation, dans cet état d'indifférence et d'insensibilité qu'auraient sans doute éprouvé pour leurs enfans les habitans de la république rêvée par Platon.

Je ne le dissimulerai donc pas : dans l'intérêt même des sciences, je redoute la diffusion indéfinie des études et surtout des études sans but, parce qu'elles font naître promptement la satiété et le dégoût.

Pour éviter ce mal, pour retremper l'ame et l'esprit, l'expérience indique deux moyens l'étude de l'antiquité, et des voyages entrepris dans des contrées que la civilisation n'a pas encore nivelées sous son laminoir bannal. Dans l'une comme dans l'autre de ces entreprises, les impressions que l'on reçoit sont vives, nettes, et laissent des traces profondes; maître de régler sa lecture ou ses courses, l'homme peut faire un choix entre les objets et les idées qui s'offrent à lui; loin de toute société préoccupée et bruyante, vous

(1) M. E. Littré a déjà fait paraître le premier volume de la traduction des œuvres complètes d'Hippocrate avec le texte en regard. L'introduction, qui remplit presque entièrement ce premier volume, est un travail doublement scientifique sous les rapports philologique et médical. On ne saurait trop vivement recommander la Jecture et l'étude de cet excellent ouvrage à ceux qui cultivent la médecine.

laissez prendre à vos réflexions le cours qui leur est naturel, vous reconnaissez les idées qui vous sont propres, et pouvez en apprécier au juste la valeur, en les comparant avec celles d'hommes plus simples ou plus forts que vous. Enfin, en étudiant l'antiquité ou en parcourant des pays jeunes encore, on apprend à se connaître, à savoir précisément ce que l'on vaut, et si réellement on a une vocation assez forte pour que l'on doive se décider à la suivre.

Ces conseils présentés sous la forme d'une proposition générale, je ne craindrai pas de les adresser plus particulièrement aux jeunes gens qui se destinent à l'art de la médecine. Qu'ils essayent donc de consacrer leurs instans de loisirs à la méditation des écrits des anciens. Dans ces vieux livres composés chez les Grecs, chez les Romains, par les Arabes et leurs premiers successeurs modernes, ils trouveront une foule d'embryons d'idées fortes qui n'attendent elles-mêmes qu'une fécondation vigoureuse pour se développer.

On a répété souvent, et rien n'est plus vrai, « que, chez tous les peuples, l'art de guérir doit être considéré comme une branche de la philosophie qui s'est développée chez eux. » Aussi, comme chaque système philosophique contient en soi un certain nombre de vérités et d'erreurs diversement réparties, de même chaque théorie médicale renferme-t-elle ces deux élémens dans des proportions inégales. C'est donc une étude de la plus haute importance que de connaître et de comparer ces systèmes dans l'intention de revenir au meilleur ou d'en établir un plus parfait encore.

C'est ce qu'Hippocrate fit en compulsant les écrits amassés dans les asclépions; c'est ce qu'Hérophile d'Alexandrie renouvela d'après les ouvrages d'Hippocrate; c'est ce que Galien entreprit avec une ardeur nouvelle en profitant de l'expérience de tous ses prédécesseurs; c'est ce que les Arabes s'efforcèrent d'imiter jusqu'au XIIIe siècle de notre ère; c'est enfin la voie qu'a si heureusement retrouvée le grand anatomiste André Vésale dont j'ai essayé de faire connaître le génie et les travaux.

E.-J. DELÉCLUZE.

TOME XIII. JANVIER.

14

LE MECKLEMBOURG.

Il y a trois ans que je traversais le Mecklembourg par un de ces mauvais jours d'avril qui n'ont ni la sévérité de l'hiver, ni la gaieté du printemps. La neige était déjà fondue, mais nulle vallée n'avait encore reverdi et nulle fleur n'était éclose. Au bord des larges mares d'eau amassées dans le creux de la prairie, les vieux saules balançaient tristement leurs rameaux noirs et desséchés, et le ciel avait une teinte monotone et grise qui alourdissait la pensée et fatiguait le regard. Et pourtant, en m'en allant le long de ma route silencieuse, au milieu de ces plaines ternes et jaunies, en me rappelant ce que j'avais lu sur cette province du Nord, sur cette ancienne retraite des Slaves, j'éprouvais pour cette contrée si distincte des autres contrées de l'Allemagne, pour cette terre peuplée de mythes guerriers et d'héroïques traditions, je ne sais quel mystérieux attrait. Je me disais : j'y reviendrai ; et j'y suis revenu après avoir étudié de nouveau tout ce qui nous reste de son antique mythologie et de ses fables populaires. J'ai revu à loisir ces lieux où je n'avais fait que passer, et toute cette excursion s'est gravée profondément dans mon souvenir.

En traversant la partie du Mecklembourg située sur la grande route de Berlin à Hambourg, on n'aurait qu'une très fausse idée de ce pays. C'est une terre plate et monotone, couverte d'une épaisse couche de sable et parsemée de pins comme nos landes du Midi. Mais un peu plus loin, à l'est et au nord, commence un autre paysage qui console bien vite le voyageur de la monotonie du premier. Là sont les fertiles vallées où les épis de blé ondoient au souffle du matin comme les flots d'une mer dorée par le soleil. Là sont les verts enclos remplis d'arbres fruitiers comme ceux de Normandie, les lacs bleus et limpides comme ceux de la Suède, les riches métairies avec leur couronne de saules et leur vaste grange comme celles de la Flandre, et les collines du

haut desquelles l'étranger ne se lasse pas de voir ce panorama si agreste et si riant, si pittoresque et si varié. Là sont les vieilles villes dont le nom se retrouve souvent au milieu d'un récit de combat dans les sagas islandaises, au milieu d'une légende religieuse dans les chroniques du moyen-âge : Rostock, forteresse terrible d'où le Viking s'élançait avec sa hache et sa lance, comme un oiseau de proie altéré de sang, douce retraite où les lettres et les sciences trouvèrent de bonne heure un refuge, port superbe où l'on voyait arriver à la fois les navires du Nord et du Sud; Wismar, autre cité de commerce dont les fières corporations luttaient comme celles de Gand contre les princes et les rois; Doberan, où les flots de la mer baignent le tombeau des anciens ducs, et Schwerin, dont l'imposante cathédrale et le château chargé de tourelles attestent encore l'antique splendeur.

Doberan était autrefois un lieu consacré par de pieuses traditions, et visité par une foule de pèlerins. Un des premiers princes chrétiens de cette contrée longtemps dévouée au paganisme, s'en alla un jour à la chasse, disant qu'il fonderait un cloître à l'endroit où il abattrait un cerf. Au milieu d'une forêt épaisse, il aperçoit un cerf d'une blancheur éclatante, il le tue, et, sur l'herbe ensanglantée, pose la pierre fondamentale de l'édifice religieux. Mais le sol où ce cloître fut bâti était souvent inondé par les vagues de la mer. Un soir, après un de ces débordemens qui ravageaient toute la vallée, les moines se mirent à genoux dans l'église, passèrent la nuit à invoquer la clémence de Dieu, et le lendemain matin, la mer, obéissant à la voix de son maître, s'était retirée à une longue distance, et à la place de la grève aplatie où elle roulait la veille encore ses flots impétueux, on apercevait une digue de rochers qu'on appelle encore aujourd'hui la digue sainte ( Der heilige damm ). Un autre miracle donna encore à Doberan une plus grande célébrité. Un pauvre pâtre, nommé Steffen, était depuis long-temps victime d'un sort funeste. Chaque semaine il voyait son troupeau diminuer : tantôt c'était le loup qui lui enlevait ses brebis les plus grasses, tantôt l'épidémie qui faisait périr ses jeunes agneaux. Puis, les pâturages même semblaient avoir perdu leurs sucs nutritifs; l'herbe de la colline ne fortifiait plus son troupeau languissant, et le ruisseau de la vallée ne le rafraichissait plus. Un jour que Steffen était assis à l'écart, rêvant avec douleur à la misère qui le menaçait, il vit venir à lui un homme qu'à son manteau de drap noir, à sa barrette blanche, il pouvait prendre pour un digne échevin, et qui lui dit : « Tu ne me connais pas, Steffen, mais moi je te connais depuis long-temps, je sais tout ce que tu as perdu depuis quelques années. J'ai pitié de toi, et je viens t'indiquer un moyen de faire cesser le fléau qui te poursuit. La première fois que tu iras communier, garde l'hostie que le prêtre te donnera, mets-la dans ton bâton de pâtre, et va-t-en bravement conduire ton troupeau dans la vallée; tu n'auras plus à craindre ni loups, ni contagion. » Le pâtre frémit d'horreur à cette proposition, car il était bon chrétien, et il savait que ne pas recueillir pieusement sur ses lèvres l'hostie consacrée était un sacrilege. Puis cet homme qui lui parlait avait une figure étrange et un regard sous lequel le pauvre pâtre se sentit frissonner. Il le repoussa donc comme un

méchant esprit, en faisant le signe de la croix et en invoquant le secours de son saint patron. Mais voilà que le soir même deux de ses plus beaux moutons périssent encore à ses pieds; le lendemain, un autre se noie dans l'étang, un quatrième devient la proie des bêtes féroces. Le désespoir s'empare de Steffen; l'idée fatale que le démon lui a jetée dans l'esprit le domine. Il va à l'église, garde l'hostie, la met dans son bâton, et voyez à partir de ce moment-là, sa vie inquiète et misérable devint une vie de joie et de prospérité. Ses brebis languissantes reprirent en un instant toute leur force, et ses agneaux grandirent d'une façon merveilleuse. Partout où il promenait son bâton, l'herbe semblait reverdir, la source d'eau devenait plus limpide et plus belle; le rocher même, le rocher nu et sec se couvrait de plantes salutaires, et du plus loin que les loups apercevaient Steffen, ils prenaient la fuite. En peu de temps le berger devint l'un des plus riches habitans du pays, et quand les autres bergers lui demandaient d'où lui venait tant de bonheur, il les regardait d'un air dédaigneux et ne leur disait pas son secret. Mais sa femme savait ce secret terrible, elle l'avait confié à une de ses voisines, et un jour la voisine, poursuivie par le cri de sa conscience, alla tout révéler à l'abbé du cloître de Doberan. A l'instant même, l'abbé, saisi d'une sainte horreur, revêtit son aube et son étole, et s'en alla, suivi de deux religieux, vers la demeure du pâtre. Au moment où il franchit le seuil de cette maison profanée par un sacrilége, elle parut tout à coup éblouissante de lumière, et le bâton qui renfermait l'hostie brillait comme un candelabre et semblait entouré d'une auréole céleste. Les religieux l'emportèrent dans le tabernacle de l'église, et dès ce jour une foule innombrable de pèlerins accourut à Doberan pour adorer la sainte hostie. Quant à Steffen, on dit qu'il passa le reste de sa vie dans les jeûnes et les macérations, et qu'au dernier moment le prieur du cloître, qui avait été témoin de son repentir et de sa pénitence, lui donna l'absolution de son crime.

La réformation a dissipé le prestige de ces légendes de cloîtres. Le merveilleux bâton de Steffen a été enlevé à l'église de Doberan, et les pélerinages de la mode ont succédé à ceux de la religion. Près de la digue consacrée par un miracle, on a bâti une maison de bains, une salle de bal. En été, une foule d'étrangers se réunissent dans cette ville, les danses joyeuses tourbillonnent à la place où l'on voyait autrefois passer les processions, et l'écho de la colline, qui s'ébranlait jadis au son plaintif des litanies, répète maintenant des mélodies d'opéra.

Schwerin, l'une des plus anciennes villes du Mecklembourg (1), avait été dépouillé pendant près d'un siècle de son titre et de ses priviléges de capitale. Le grand-duc actuel les lui a rendus, et le retour de la famille régnante dans cette antique cité, la réunion de tous les grands fonctionnaires de l'état, tous les gens attachés au service des princes, de tous les riches et les nobles qui suivent les migrations de la cour, a donné à Schwerin une nouvelle ère

de

(1) En l'an 1018, elle servait déjà de forteresse aux Vendes. Elle est désignée alors sous le nom de Zwerin, et dans les chroniques latines sous celui de Suerinum.

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