Obrazy na stronie
PDF
ePub

après une frèle créature; la honte au grand jour, le front levé, visage découvert; les intentions les plus pures interprétées par l'immoralité la plus odieuse; les lettres les plus chastes violées, livrées, prostituées par la société la plus dépravée, c'est là, dites-vous, le grand monde? Eh bien! le petit vaux mieux, je vous jure, et la preuve, c'est qu'encore une fois, il ne veut pas vous croire, c'est qu'il ne vous croit pas plus qu'il n'a cru M. de Custines. Non, vous avez beau dire, ce n'est point là l'école du monde, ou s'il est un monde pareil, celui-là vit dans l'ombre des mystères équivoques et n'a rien à faire au théâtre. Imaginez une jeune et douce créature élevée loin de Paris, dans le silence des chastes solitudes. Tout en elle est grace et beauté, c'est une de ces fleurs charmantes qui n'éclosent qu'à l'ombre des bois. Elle se nomme Émilie; elle est nièce de M. de Cormon; son cœur, autant que son oncle, la destine pour épouse à M. Charles de Sérigny. Ces deux jeunes gens s'aiment de cet amour discret qui ose à peine s'avouer à lui-même. M. de Cormon et le père de Charles, M. de Sévigny, les attirent doucement l'un vers l'autre, et rien dans l'avenir ne semble devoir contrarier leur bonheur. Mais la fatalité a placé près d'Émilie an cousin, M. de Dampré, qui s'est promis, non pas d'épouser, mais de séduire sa cousine. M. de Dampré demande un rendez-vous, Émilie l'accorde innocemment; M. de Dampré s'en vante à M. Charles de Sérigny, qui, sans plus de façons, se retire et laisse à son père le soin d'épouser sa fiancée.

Que vous semble déjà de ce M. de Dampré? Cet homme est tout simplement un méchant, un lâche et un sot. Eh bien! non; les jeunes gens du monde ne sont point ainsi faits. Quelque pervertis qu'ils soient, ils ne s'amusent point à séduire et à compromettre les jeunes filles de bonne maison; c'est un jeu trop dangereux dont ils s'abstiennent, sinon par vertu, du moins par calcul. Il est vrai que tout ceci se passe à la campagne, et que l'ennui champêtre excuse bien des petits méfaits. Mais si telles sont les fleurs dont vous couronnez vos idylles, quelles mœurs allons-nous respirer dans l'atmosphère des salons de Paris? En bonne conscience, ce qui s'y fait et ce qui s'y dit ne saurait se croire ni se redire. Mariée à M. de Sérigny, Émilie est demeurée cette chaste et sage jeune fille que nous avons connue, au premier acte, sous les ombrages du Val; tendre et dévouée, elle soigne son vieil époux qu'elle vénère, et c'est à peine si elle entend parfois un souvenir des espérances évanouies remuer et se plaindre en son cœur. Quelles haines, quelles rivalités, quelles intrigues, quels soupçons malveillans pourront ameuter autour de cette douce figure tant de vertus modestes et de résignation touchante? Mais l'auteur de ce drame est impitoyable pour la victime et pour les bourreaux. Ce n'est point assez de M. de Dampré acharné à sa profe, il faudra que la société tout entière se ligue avec lui pour la déchirer. Vit-on jamais tant de vautours se disputant une pauvre colombe qui n'a pour se défendre que son bec rose et ses blanches ailes? Il y a dans tout ceci une duchesse de Sarran dont le langage et les manières feraient rougir une de ces femmes qui n'ont point de nom dans le vocabulaire des femmes honnêtes. Molière, qui n'était pas un grand seigneur, faisait parler autrement son

monde. Quelle grace, quel esprit, et de combien de charmes ne savait-il pas envelopper la coquetterie de Célimène! Quelle élégance, quel doux parfum de savoir-vivre autour de toutes ces élégantes perversités qu'il met en scène ! Mais jamais duchesse de Sarran osa-t-elle s'exprimer de la sorte? Jamais le dernier des hommes comme il faut osa-t-il tenir à la dernière des femmes le langage que tient M. de Dampré à Mme de Sérigny? Dans quels repaires de loups cerviers les choses se passent-elles ainsi? Poussée à bout par cet exécrable Dampré, harcelée, effrayée par cet homme qui ne lui laisse ni paix ni trève, la malheureuse enfant se résigne à lui écrire pour le rappeler à des sentimens meilleurs. Elle lui écrit, dans la naïveté de son cœur alarmé, une lettre simple et touchante. Savez-vous ce que devient cette lettre, que reçoit M. de Dampré chez la marquise de Miremont? M. de Dampré met trois personnes dans la confidence d'un bonheur qu'il n'a pas, et la lettre de Mme de Sérigny passe de mains en mains jusqu'à la duchesse de Sarran. Mais quelle scène! mais comment dire la curiosité effrontée de ces trois personnages, tandis que M. de Dampré lit ce billet avec une fatuité hypocrite! Il est vrai que cette pauvre lettre a été présentée par un laquais galonné sur un plateau d'argent. Dans notre petit monde, c'est le commissionnaire qui nous remet nos lettres, et quand nous les avons lues, nous les jetons au feu ou les mettons dans notre poche. Cependant c'est fête chez Mme de Miremont. Les invités arrivent; M. et Mme de Sérigny se présentent; mais à l'aspect d'Émilie, la foule s'éloigne et se retire; des bruits étranges ont déjà circulé, déjà M. de Sérigny est instruit de tout; il croit Émilie coupable, et provoque M. de Dampré, qui aime mieux se battre que de désavouer son bonheur, de telle sorte que son courage est la plus lâche de ses lâchetés.

Au cinquième acte, nous sommes chez M. de Dampré. Il attend ses témoins et prépare ses armes; mais il est écrit qu'il ne se battra pas avec M. de Sérigny. C'est Charles qui vient d'abord réclamer sur son père un droit de priorité; puis c'est Me de Sérigny elle-même qui vient déclarer à M. de Dampré qu'il ne se battra pas. Ici la jeune opprimée se relève de toute sa vertu outragée; elle foule aux pieds de son mépris cet homme digne du mépris de tous, et lorsque M. de Sérigny, éclairé et abusé en même temps par les soins de M. de Miremont, vient rendre à Émilie et à M. de Dampré l'estime que l'un n'a jamais méritée et que l'autre n'a jamais cessé de mériter, personne ne doute plus de l'innocence de la jeune femme, car Charles a tout entendu, caché qu'il était dans cet éternel cabinet qu'il serait bien temps de faire murer, afin qu'il n'en soit plus question désormais.

S'il est un monde où la vie est ainsi faite, il faut en plaindre les acteurs, quel que soit le rôle qu'ils y jouent. Mais j'aime mieux croire que l'auteur de cette comédie, homme d'esprit et de belles manières, n'a point pris son œuvre au sérieux, ou qu'il s'est trop laissé préoccuper par quelques observations partielles qu'il a eu le tort de généraliser. L'école du monde est un titre trop général; ce ne peut être que l'école d'un certain monde; celui-là ne se nomme

pas. Toutefois, s'il est vrai qu'ainsi va le grand monde, j'en reviens toujours à notre petit monde à nous; on y change moins souvent de gilets et de pantalons; mais on y vit mieux, j'imagine. On y laisse le grand se calomnier luimême, on se contente d'en médire; c'est encore assez pour la folle gaieté et la bonne satire.

Je parle de gilets et de pantalons; c'est qu'il s'en fait dans cette pièce une consommation inouie, et l'auteur s'est évidemment trop préoccupé du costume de ses personnages, pour que nous ne nous en préoccupions pas un peu nous-mêmes. Jamais, en effet, on n'avait vu dans la même pièce tant de gilets et de pantalons; tous ne sont pas d'un goût irréprochable. Il est au théâtre une vérité de convention qui exclut nécessairement les fantaisies de la fashion; ce qui serait à peine remarqué à la ville devient aussitôt ridicule sur la scène. Ainsi, par exemple, M. Menjaud porte au premier acte un costume du matin, qui peut être de mise à la campagne, mais qui n'est point admissible au théâtre. Nous ne serons pas plus indulgens pour le costume de Mlle Plessis, au deuxième acte; les duchesses s'habillent plus simplement et ne s'affublent point ainsi d'ornemens de catafalque. Mlle Anaïs nous a semblé affectionner une mode de robes qui semble taillée tout exprès pour monter à cheval ou pour danser la mazurque. Enfin, nous regrettons que M. Périer ait emprisonné son cou dans une cravate orange, et M. Mirecour ses jambes dans un pantalon bleu à blouse. Ces petits comptes une fois réglés, nous dirons que l'École du Monde est jouée avec beaucoup de verve et d'esprit par les acteurs de la Comédie-Française. Mlle Plessis a eu toute l'impertinence que comporte son rôle, sinon son rang; M. Menjaud a bien été le jeune homme du monde tel qu'il n'en existe pas; M. Geffroy est voué au duel, et s'acquitte merveilleusement de sa mission; Mlle Anaïs, qui a eu tous les honneurs de la soirée, s'est montrée chaste, jeune et charmante, et, si elle a manqué d'énergie dans sa grande scène du dernier acte, c'est que l'énergie qu'il eût fallu est sans doute exclue par la grâce.

J. S.

F. BONNAIRE.

LE BONHOMME

DE PAIN D'ÉPICES.

I.

Grande représentation d'un petit opéra. — Les mouches de Tielbourg.

Vers la fin d'avril 18.., la célèbre ville de Tielbourg était dans un émoi extraordinaire par l'arrivée d'une troupe de chanteurs italiens qui traversait la province en revenant d'une cour du Nord dont elle avait fait les délices. La salle de spectacle de Tielbourg, qui n'était pas ouverte quatre fois l'an, se trouva en moins de trois jours débarrassée des toiles d'araignées et de la poussière, comme par enchantement. On retrouva dans les armoires plusieurs costumes échappés aux vers. Deux décors furent remis à neuf par le vitrier, qui avait des connaissances en peinture; c'étaient un salon d'architecture gothique et un jardin avec bosquets et pavillons. Il restait même encore la moitié d'une forêt, dans laquelle on avait joué les Brigands de Schiller, et dont le directeur promit de tirer un grand parti, en remplaçant les groupes d'arbres effacés par le temps au moyen d'une toile verte. Il n'en fallait pas davantage pour monter un opéra dont un fameux maestro en etti avait composé la musique. L'orchestre, éparpillé dans les guinguettes où il faisait danser les têtes-rondes de la campagne et les grisettes de Tielbourg, fut rassemblé à son de trompe,

TOME XIII. JANVIER.

11

et au bout de quelques répétitions l'opéra du maître en etti marcha sur les roulettes de la bonne volonté.

Le jour de la représentation, la façade du théâtre était magnifiquement illuminée de douze lampions, et vers sept heures du soir les carrosses formèrent sur la place une longue file dont le roulement fit sortir les marchands de leurs boutiques. Tous les notables de la ville avaient retenu des loges, et la cour entière avait promis d'arriver après le lever du rideau. La jeunesse laborieuse interrompit ses études et dîna sur le pouce pour courir au parterre. Au moment où les trois coups furent frappés, la salle était remplie jusqu'aux cintres. On voyait au premier rang de loges l'élite de la bonne compagnie, la haute banque et la magistrature de Tielbourg; aux avant-scènes parurent bientôt le prince Fandango de Belle-Cuisse et le jeune marquis Arabesque de Prime-Abord. L'ouverture fut écoutée religieusement, au milieu du bruit des portes qui se fermaient et des chaises qui cherchaient leur aplomb. Le chœur d'introduction fut à peine interrompu par l'entrée de la comtesse Blanc-d'OEil et celle de la baronne Falbala. Un silence profond régnait enfin sur l'assemblée au moment où la prima donna descendait d'un pied mélancolique le sentier pittoresque suspendu au flanc du rocher de carton.

Cinquante-un printemps formaient l'âge de la cantatrice; on ne lui en aurait pas donné plus de quarante-neuf, tant le fard et l'optique de la scène sont favorables à la beauté! Elle possédait tous les secrets de son art, maniait admirablement le trille, feignait à ravir d'être émue, composait dans son cabinet des mouvemens imprévus d'inspiration, se jouait des traits les plus difficiles sans qu'on remarquât d'autres indices du travail intérieur que les grimaces du visage et l'obligation d'avaler à chaque mesure les flots de la muqueuse salivaire; elle savait en outre se peindre les yeux à l'encre de Chine pour les faire paraître plus grands, et se jetait par terre dix fois dans chaque opéra. En un mot, c'était ce qu'on eût jamais vu de plus artiste dans l'enceinte de Tielbourg.

La prima donna vint donc se poser comme une blanche colombe devant le trou du souffleur, et commença aussitôt cette même cavatine placée en tête de tous les opéras italiens, et qu'on ne se lasse pas d'entendre depuis si long-temps. L'orchestre n'aurait pas osé frapper un accord sur la dominante sans s'arrêter pendant trois minutes pour laisser à la cantatrice le loisir de folâtrer dans les agrémens et la fantaisie. Les transports et les bravos éclataient alors dans la salle, et le morceau arrivait ainsi à la fin après une dizaine de re

« PoprzedniaDalej »