Obrazy na stronie
PDF
ePub

ne souffrira jamais, tant que j'y présiderai, qu'aucun acte inconvenant de ses agens demeure impuni. »

Tels sont les principes de Washington: tolérance extrême dans les idées générales, adoption de toutes les tendances légitimes, recherche assidue pour trouver la ligne moyenne qui résulte de la combinaison des besoins, mais, une fois cette ligne trouvée, élévation dans le pouvoir, unité vigoureuse dans l'impulsion, susceptibilité jalouse dans l'exercice de l'autorité.

Tout cela ne prépare pas sans doute une existence bien douce et bien tranquille pour ceux qui acceptent le fardeau du gouvernement. Aussi M. Guizot se laisse-t-il entraîner un moment pour eux à une compassion affectueuse qui laisse deviner bien des blessures personnelles. Après avoir parlé de ce mélange de crainte et de foi que l'homme public doit porter dans les affaires, comme le chrétien devant Dieu, et de cette espérance inquiète et pleine de travail qui doit suffire à contenir son courage, M. Guizot laisse échapper ces mots :

« Le pouvoir est lourd à porter et l'humanité rude à servir, quand on lutte vertueusement contre ses passions et ses erreurs. Le succès même n'efface point les impressions tristes que le combat a fait naître, et la fatigue contractée dans cette arène se prolonge au-delà du repos. >>

Mais le découragement n'est pas un sentiment qui puisse durer long-temps dans cette ame forte et sereine, et M. Guizot reprend bientôt après, avec son expression habituelle de résignation mâle et de résolution austère : « Pour les hommes dignes de cette destinée, toute lassitude, toute tristesse, même légitime, est une faiblesse. Leur mission, c'est le travail; leur récompense, c'est le succès de l'œuvre, toujours dans le travail. Bien souvent ils meurent courbés sous le faix avant que la récompense arrive. Washington l'a reçue. Il a mérité et goûté le succès et le repos. De tous les grands hommes, il a été le plus vertueux et le plus heureux. Dieu n'a point, en ce monde, de plus hautes faveurs à accorder. » Ainsi se termine l'introduction aux lettres de Washington, et cette conclusion éloquente est le digne complément du début. Désormais l'idéal du citoyen dans un pays libre est tracé.

Si la lecture de cet écrit nous a laissé quelque regret, c'est qu'au lieu de paraître en tête d'une collection volumineuse, il n'ait pas été imprimé à part et vendu à bon marché. Il aurait servi de puissant contre-poids à toutes ces publications révolutionnaires qui se répandent en si grand nombre dans les masses, et qui en pervertissent les idées. La multitude y aurait appris à connaître et à sentir la vraie grandeur, le vrai patriotisme et le véritable amour de la liberté.

Tel qu'il est, il sera souvent relu et médité par quiconque saura le comprendre. On a dit que M. Guizot, en l'écrivant, avait eu de fréquens retours sur lui-même. Cela se peut. Quand on est capable d'écrire ainsi le portrait d'un homme vertueux à la tête d'une bonne cause, on est digne d'aspirer à lui ressembler.

LÉONCE DE LAavergne.

BULLETIN.

On prétend que le spirituel écrivain que la commission de la chambre des députés a choisi pour secrétaire, interrogé sur ce que serait l'adresse qui devait être lue le lendemain, répondit qu'elle ressemblerait à la situation et à tout le monde, qu'elle serait plate. M. de Rémusat parlait de son œuvre avec trop de modestie. Tout au contraire, rédigée avec un talent remarquable, l'adresse, sous les formes d'un langage élégant et noble, a su tracer avec art une espèce de champ-clos où toutes les opinions et tous les partis peuvent se mesurer en liberté. On peut dire qu'il n'y a dans l'adresse de préoccupation exclusive pour les intérêts de personne. On y trouve consignés des principes sur la généralité desquels tout le monde est d'accord, mais dont il est possible de se proposer des applications différentes; on y voit avec plaisir, sur notre attitude à l'extérieur, des vues généreuses qui ne préjugent l'adoption d'aucun système particulier; enfin le texte est d'autant plus habilement composé, qu'il se prête à plus de discussions et de commentaires.

Aussi les interprétations abondent; chacun d'ailleurs dit son avis avec pleine franchise, et les avis sont bien divergens. L'an dernier, les forces parlementaires étaient divisées en deux camps; de chaque côté, le mot d'ordre était simple et précis; l'intérêt de l'attaque, comme celui de la défense, avait groupé, de part et d'autre, des bataillons nombreux qui suivaient leur chef et leur drapeau avec ensemble et dévouement. Aujourd'hui, tout est morcelé, fragmentaire, individuel; les minorités semblent se multiplier, et cette dispersion a pour conséquence naturelle une grande bigarrure d'opinions et de langage. Cela était facile à prévoir et n'a rien qui doive trop décourager les amis du gouvernement constitutionnel. L'intérêt de tous est d'épuiser cette situation anarchique et de lui trouver un dénouement qui replace sur leurs bases véritables le pouvoir et l'opposition. Il s'agit de reconstituer une majorité. On ne peut atteindre ce but qu'avec des explications sincères où soient abordées de front les difficultés qui font obstacle. Le ministère cherche cette majorité, c'est son devoir et son besoin; il sent qu'il y a nécessité pour lui d'être en mesure de la montrer dans quelques jours à ses amis comme à ses ennemis.

Quand dans la chambre des pairs M. Molé, avec autant d'à-propos que de fermeté, annonçait que le ministère si imparlementaire du 15 avril trouverait, dans les deux chambres, des amis qui sauraient le défendre dans l'une et l'autre enceinte, non-seulement il maintenait sa position par cette heureuse dignité; mais il jetait indirectement au cabinet du 12 mai le défi de montrer ses amis. Où sont vos amis, vous qui êtes si éminemment parlementaires? Quelle est leur couleur, leur nombre, leur drapeau, leur but? Avez-vous des amis? Tout cela était contenu dans les deux phrases que M. Molé prononçait de sa place, et qui excitèrent l'approbation de quelques hommes politiques de l'autre chambre, que la curiosité avait amenés dans les couloirs du Luxembourg. Maintenant la question de savoir où sont les amis du ministère et quelle est leur force sera-t-elle résolue par l'adoption de l'adresse? Il est permis d'en douter. L'adresse ne blesse personne et offre à tous des causes plausibles d'adhésion : elle sera votée sans doute à une très grande majorité; mais cette majorité ne résoudra pas la question, car elle sera le résultat de plusieurs minorités faisant d'un même texte des interprétations différentes.

C'est donc plus dans les débats de l'adresse que dans le vote qui les fermera qu'il faut chercher l'indication des tendances politiques de la chambre. Pendant les deux jours qui viennent d'être consacrés à la discussion générale, on a pu remarquer l'effort que faisaient les partis politiques pour se reconstituer et relever leur drapeau. Au nom des 221, M. Desmousseaux de Givré a pensé que le nouveau ministère, que les circonstances avaient rendu nécessaire au 12. mai, aurait dû sortir de l'ancienne majorité faisant alliance avec le centre gauche. Voilà, selon l'honorable député, ce qui aurait été normal et durable. Malheureusement, les choses ne se sont pas ainsi passées : l'administration nouvelle a pris pour point d'appui, non pas les véritables forces de la chambre, mais une petite fraction d'hommes votant tantôt avec un parti, tantôt avec un autre, et prétendant toujours n'avoir pas changé. C'étaient quelques lieutenans passant dans un autre camp pour devenir généraux. A ce mot, M. Passy a vivement demandé la parole. On eût dit qu'il voulait s'expliquer sur un fait personnel. Il a bien été obligé de convenir qu'après les dernières élections la partie de la chambre qui avait soutenu le ministère était revenue en majorité; mais, selon lui, la longueur et les diverses phases de la crise ministérielle ont prouvé qu'on ne pouvait espérer la majorité ni pour un ministère tiré de cette partie de la chambre, ni pour un ministère tiré exclusivement des diverses fractions qui avaient renversé le 15 avril. Les murmures nombreux et les dénégations bruyantes de la chambre ont dû montrer à M. Passy qu'elle n'admettait pas cette impossibilité, qui est aux yeux du ministre des finances la raison d'être du ministère, car le lieutenant devenu général a tiré cette conséquence, qu'au milieu de tant de fractionnemens il n'y avait lieu qu'à un ministère encore plus fractionné que la chambre. Mais où se placera ce ministère si singulièrement composé? M. Dufaure s'est chargé de nous l'apprendre. Le cabinet n'ignorait pas, a-t-il dit, qu'il se trouverait en présence de deux oppositions: la première était facile à définir, c'est celle qui a arboré le drapeau de la réforme électorale;

mais la seconde, quelle est-elle dans la pensée de M. Dufaure? l'ancienne majorité elle-même, dont M. Desmousseaux de Givré s'était fait l'organe. C'est entre ces deux oppositions que le cabinet du 12 mai plante son drapeau, en appelant à lui tous ceux qui voudront s'y réunir.

Mais cette prétention n'est pas admissible; mais M. Dufaure n'y songe pas, non plus que M. Passy avec sa théorie des fractionnemens, non plus que M. Teste, qui garde au surplus sur toutes les questions politiques un silence vraiment politique. Il ne peut leur être donné de rien créer, de former un parti quelconque; ils ont passé dans le camp des 221, voilà tout on a accepté leur conviction nouvelle et leur dévouement. C'est seulement ainsi qu'ils ont pu avoir une valeur, une utilité. Quant à l'ambition de fonder un nouveau parti intermédiaire, ils doivent y renoncer: s'ils l'avaient eue sérieusement, ils auraient dû commencer par ne pas se séparer de leur véritable chef. Ce n'est pas en se trouvant décapités, comme on leur a dit à gauche, qu'ils pouvaient espérer de se faire la tête de quelque chose. L'honorable M. de Salvandy, dans un discours tout-à-fait politique, a très judicieusement dit à ces trois ministres que, si au 12 mai ils avaient eu l'intention de rendre un service au pays, il dépendait d'eux en effet de lui en rendre un bien grand, c'était, en entrant au pouvoir, de n'y pas entrer seuls, et de réclamer avec énergie l'honneur de marcher à la suite de leur chef naturel. Tout ce qu'a dit l'ancien ministre du 15 avril portait l'empreinte d'un esprit élevé et conciliateur. Il n'a pas fait difficulté de convenir que l'administration dont il faisait partie, tout en s'appuyant sur l'incontestable sympathie du parlement et du pays, comptait parmi ses causes de faiblesse l'absence dans son sein des grandes notabilités de la chambre, qui avaient combattu jusqu'en 1837 pour défendre et fonder le gouverne

ment nouveau.

Si l'on pouvait douter encore combien les passions qui agitaient si violemment les partis il y a un an, manquent aujourd'hui d'écho, on aurait pu s'en convaincre en assistant à la lecture qu'a faite à la chambre un des plus ardens promoteurs de la coalition. M. Duvergier de Hauranne ne parle pas, il écrit ; il apporte tous les ans à la tribune un article qui a la prétention d'expliquer la situation et de servir de préliminaire aux travaux de la chambre. Cette année, M. Duvergier se déclare parfaitement satisfait des résultats de la coalition c'est amour-propre d'auteur; il tient le ministère pour parlementaire uniquement parce qu'il est venu après elle; il ne s'oppose pas à des rapprochemens dans l'avenir, pourvu qu'on veuille en exclure les ministres du 15 avril. L'indifférence avec laquelle la chambre a reçu ce laborieux échafaudage de petites rancunes a dû prouver à M. de Hauranne qu'à un parlement qui se trouve aux prises avec un présent difficile et compliqué, il faut présenter autre chose que des préoccupations individuelles et des réminiscences inutiles. Les débats ont repris une physionomie plus animée avec l'apparition de M. Barrot à la tribune. Évidemment, le chef de la gauche n'a eu qu'une pensée; ç'a été de refaire son thême, de relever son drapeau, et pour ainsi dire de constater son identité. Il a affirmé n'avoir pas changé, être le même qu'il y a dix ans,

avoir conservé les mêmes esperances, ou, pour parler plus juste, les mêmes illusions. A quel entraînement fatal ou à quelles exigences secrètes a donc obéi M. Barrot, quand il a pris plaisir à se montrer immobile et insensible à tous les avertissemens que le temps et l'expérience envoient aux hommes politiques? Il s'est défendu d'avoir l'esprit libre et progressif, comme si quelques hommes de son parti lui eussent fait un crime d'en pouvoir être soupçonné; et au même moment, par un retour singulier de bon sens qui lui fait honneur, il avouait que la réforme électorale devait encore attendre long-temps l'adhésion et les convictions du pays!

M. Villemain a saisi avec une grande habileté tous les avantages qu'avait faits M. Odilon Barrot non pas au ministère, mais au parti gouvernemental. Il lui a montré combien il était impolitique de vouloir clouer les hommes à des opinions invariables; il lui a demandé s'il fallait tirer immédiatement toutes les conséquences d'un grand mouvement politique qui régénérait la France en menaçant l'Europe entière; il a fait voir que le progrès politique ne dépendait pas seulement de l'accumulation des suffrages d'un plus grand nombre de citoyens, mais que le progrès se trouvait surtout dans l'expérience des assemblées politiques qui deviennent plus mûres et plus prudentes, dans les hommes d'état qui deviennent plus calmes, moins impatiens de l'avenir, moins ardens à se précipiter dans les améliorations, et d'autant plus capables de les opérer, qu'ils ont su attendre. Dans sa réplique, car M. Villemain a occupé deux fois la tribune, et il était en veine; le ministre de l'instruction publique, rétorquant les mots d'héroïque confiance dont s'était servi M. Barrot, s'est écrié que pour lui l'homme qui faisait preuve d'une héroïque confiance était celui qui osait remuer la question de la réforme électorale, non pour la résoudre, mais pour la montrer au pays comme une curiosité publique. Un rire immense s'est élevé dans toute l'assemblée. Après cette puissante ironie est venue cette démonstration sérieuse, que, parmi toutes les causes qui peuvent affaiblir le gouvernement parlementaire, il n'y en a pas de plus grave que d'avertir incessamment l'opinion publique que la base sur laquelle repose ce gouvernement est défectueuse, et qu'il faut la blâmer aujourd'hui pour la changer demain.

Ce qui nous frappe ici, ce n'est pas tant le talent oratoire de M. Villemain que l'esprit vraiment politique dont il a fait preuve dans ces débats. Personne n'ignore avec quel art le ministre de l'instruction publique sait manier la parole, et donner aux saillies naturelles et aux vivacités de l'improvisation les formes précises du style écrit : mais on pouvait n'être pas convaincu au même degré de son aptitude gouvernementale et de sa compétence pour les grandes discussions politiques. Le début de M. Villemain dans la chambre élective résout cette question. Un journal de l'opposition lui jette aujourd'hui la qualification de rhéteur; le mot n'est pas moins injuste qu'impoli. L'éclat de la forme n'a pas nui à la solidité du fond, et la pensée de l'orateur a été avant tout positive et pratique.

Cependant par ce succès, M. Villemain n'a pas tant fait les affaires du ministère que les siennes et aussi celles du parti gouvernemental. Il n'a pas tant

« PoprzedniaDalej »