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vain de l'esprit de parti, le pire des esprits. En général, dans le Midi comme ailleurs, il y a peu de convictions, mais beaucoup de passions politiques. Quoi qu'il en soit, la société nîmoise, riche, spirituelle, luxueuse dans.. l'occasion, est restée scindée en deux parts. Eh! qui pourra jamais rejoindre les deux moitiés de l'orange? Qui persuadera jamais à celui-ci qu'il a tort, à celui-là qu'il n'a pas raison? Quel apôtre prendra la main protestante et la main catholique, et les mettra l'une dans l'autre? Tous ceux qui vivent aujourd'hui ne verront pas naître, probablement, l'aurore calme et limpide de ce jour de réconciliation. Juillet de 1830 rouvrit les plaies de 1815. Le malade était mal guéri; il avait, sous la restauration, des retours fâcheux, des crises accidentelles, mais du moins il allait et venait sans trop souffrir, et souvent même il espérait tant qu'il ne souffrait plus. Depuis dix ans les blessures saignent de nouveau. C'est déplorable. Les violences des journaux ne contribuent pas peu à perpétuer le malaise moral de ce beau pays. Ici, monsieur, il y a des gens très spirituels, très sensés, et qui oublient de l'être en lisant les journaux. Le méridional a une spécialité incontestable; c'est une foi de granit dans le journal de sa couleur. Dites, par exemple, à un Nîmois: Vos oliviers porteront des oranges l'année prochaine. Peut-être vous répondra-t-il : C'est possible. Mais essayez de douter de l'infaillibilité du journal à qui il donne quatre-vingts ou quarante francs par an; vous verrez son visage s'allumer, et dans quel style il vous répondra. Les emportemens de la presse de Paris ont des échos énormes dans les journaux de la localité déjà très ardens par eux-mêmes. Quelqu'un demandait un jour, devant moi, à un habitant de Nîmes pourquoi on le voyait toujours dans un état d'enthousiasme ou de colère à propos de politique. Comment voulez-vous que je tue le temps? repondit celui-ci. Il est certain que le désœuvrement chez les hommes est la grande plaie du Midi. Les femmes, au contraire, y sont d'une activité pour le travail qu'on ne retrouve nulle part; ce sont des Pénélope, moins les poursuivans.

En Provence le type de physionomie qui domine est le type grec-ionien; mais dans le Bas-Languedoc c'est le gallo-romain, quelquefois avec un alliage mauresque, il n'y a pas moyen d'en douter. Les dames de Nîmes sont en général de taille médiocre, mais bien prise, svelte; elles ont l'oeil spirituel et doux, chargé d'un sourcil très marqué; chez elles le nez mince et bien formé annonce la finesse; la bouche est légèrement bombée; le front peu élevé est racheté par d'assez belles saillies; la main est petite mais peu allongée; quant au pied, il est admirable, c'est un pied arabe de première race, et attaché avec une perfection capable de faire le désespoir des plus merveilleuses jambes de l'Opéra. Leur démarche est vive, et leurs manières sont un peu brusques. Elles parlent vite et avec un accent gascon très franc, mais qui ne manque pas d'une certaine grace quand l'oreille s'est accoutumée à ce diapason. Du reste, cet accent est ici en harmonie avec une animation mimique qui soutient et colore la parole. A tout prendre, une Nîmoise est une jolie femme dont on aime même les défauts. Il en est un cependant qui la gâte un peu, et dont un étranger qui a

habité le nord de la France et de l'Europe peut seul s'apercevoir : c'est un goût de toilette qui se révèle comme par accès, dans certaines circonstances, et qui tient alors de la folie. A mon avis la femme la mieux mise est celle qui, chez elle ou dans la rue, n'a rien de tranché dans son élégance, et qui n'est remarquée que par la simplicité, le fini et la grace de ses vêtemens. On peut être une femme parfaitement mise avec un chapeau de paille de chez Herbault, une robe de chez Victorine, et des gants de Boivin, le tout ne dépassant pas une valeur de dix louis, surtout si vous jetez sur les épaules de cette femme un châle de mille écus, sombre et large, mais qui n'ait ni les palmes hyperboliques ni les couleurs miroitantes d'un cachemire de cent écus. Hélas! nous n'en sommes point encore là dans le Midi, et la frénésie pour la toilette a ici bien d'autres ambitions. Par exemple, les fureurs de chapeaux sont poussées fort loin à Nîmes et en général dans le département du Gard. Paris, ce roué qui sait son monde, connaît parfaitement le travers particulier à ce pays-ci; aussi lui envoie-t-il avec une atroce perfidie tantôt de véritables jardins, tantôt des niches extravagantes de plumes et de dentelles, qu'il a l'impertinence d'appeler chapeaux et qu'il se garde bien de risquer ailleurs. En vérité les Nîmoises et les dames des environs de Nîmes devraient bien se rappeler un peu plus souvent qu'elles ont de beaux visages, et que pour être belle il ne faut jamais paraître riche. L'élégance est dans la sobriété des ornemens et le fini de la forme. Je sais que je touche là un sujet fort délicat, que je mets la main sur du feu, et que je puis soulever contre moi de très menaçantes irritations. Mais je sais aussi qu'il est à Nîmes comme partout de charmantes exceptions en fait de bon goût et que ces esprits d'élite auront la bonté de se placer dans le cercle privilégié tracé au milieu de la généralité. Cette idée me rassure un peu et me donne presque envie de me fâcher contre les toilettes effrénées dont on surcharge ici les petites filles, un jour de dimanche ou de fête. Que les mères de ce pays-ci sont folles d'imaginer que des cheveux noirs ou blonds retombant en boucles abondantes et soyeuses sur les épaules de leurs enfans ne valent pas des paquets de roses artificielles, des marabouts, des collerettes de dentelles et toute cette riche friperie qui ne sied qu'à de vieilles joueuses assises à une table de pharaon! Eh quoi! votre fille n'a pas encore atteint sa huitième année, elle a des yeux noirs et des cheveux blonds cendrés (rare et merveilleuse beauté); elle a un teint doré, diaphane; elle est élégante et souple, légère comme une abeille; elle a un rire éclatant, une joie toujours épanouie; elle est née sous le ciel bleu et velouté du Midi, et vous lui mettez un corset, une robe à volans, une dentelle ébouriffante autour du cou? Vous accablez d'un châle ses jolies épaules? Vous écrasez d'un chapeau orné sa tête vive comme celle d'un oiseau? Vous donnez à cet enfant une chaîne d'or, une montre, un éventail, un sac, un flacon, un manchon, que sais-je encore? Eh! de grâce! n'attristez pas la jeunesse de votre fille; ne faussez pas ses idées, et laissez-lui croire avec juste raison que la plus modeste marguerite des champs, le plus petit rayon de soleil se jouant dans sa chevelure, valent mille fois les boutiques de marchandes de modes et de joailliers.

Cependant, il faut en convenir, ces mêmes femmes, si folles d'atours par occasion, sont en général les meilleures ménagères de France. Une habitante du département du Gard dans sa maison est l'économie et l'ordre incarnés. Cette passion vaniteuse dont nous parlions n'est que passagère; elle meurt au bout de six à sept ans de mariage et fait place à une sévérité de costume qui va jusqu'au rigorisme. Tout est extrême dans le Midi.Une Languedocienne à trente ans abdique ordinairement toute prétention aux succès avec une résignation qui va jusqu'à l'héroïsme. Une fois engagée dans cette voie de privations et de renoncemens, elle ne connaît plus de bornes; l'éducation des enfans, les soins du ménage, les réformes, les améliorations deviennent des tribulations de tous les instants; ce n'est plus une femme, c'est un martyr avec toutes les ardeurs du sacrifice. Aussi sa beauté s'en va-t-elle bien vite, fanée sous le vent desséchant de l'inquiétude, et son caractère enjoué et vif se voile de tristesse ou s'aigrit de douleur. C'est vers cette époque aussi que la dévotion vient la saisir pour ne plus la quitter jusqu'au tombeau qu'elle prévoit de loin, dont elle parle souvent comme d'un lieu de repos, et où elle arrive avant l'âge. Voilà, monsieur, une singulière et bien triste fin pour de charmantes créatures nées sous le plus riant des climats et avec tous les instincts de l'intelligence et du bonheur. Vous aurez la bonté, n'est-ce pas, en ceci comme en toutes choses, de faire la part de l'exception, et de supposer qu'il y a quelques exemples dans le Bas-Languedoc de femmes long-temps belles, long-temps admirées, long-temps heureuses; car si vous vous refusiez à croire cela, vous pourriez m'engager ici dans de terribles querelles.

Il y a à Nîmes une promenade publique dont Paris serait très fier; on la nomme la Fontaine. On la doit au maréchal duc de Richelieu, gouverneur du Languedoc vers le milieu du XVIIIe siècle, et qui jetait partout autour de lui ses prodigalités fastueuses, mais de bon goût. Évidemment, l'idée première du jardin de la Fontaine se rattache aux traditions qui nous restent des thermes antiques. Avant d'arriver dans des bassins larges et profonds, l'eau de la source s'épand en nappes limpides sous des galeries pavées de granit et soutenues par un quadruple rang de colonnettes de marbre. Néron lui-même ne dédaignerait pas, au mois d'août, de se promener dans ce délicieux Nympheum, un trident à la main et la tête couronnée d'iris et de roseaux. Ces bains, que l'imagination voluptueuse du plus voluptueux des maréchaux de France s'était plu à créer, n'ont cependant aucune destination. C'est à peine si pendant la canicule quelques enfans du peuple se plaisent à courir tout nus sous les fraîches galeries, troublant l'eau de leurs ébats et la rêverie du lieu de leurs acclamations criardes. Le jardin est fort beau, dans le goût du XVIIIe siècle, avec des charmilles taillées en éventail, des vases gigantesques, des allées de marronniers aboutissant à des groupes de marbre blanc ou de bronze. Mais le merveilleux de cela, c'est que chaque compartiment de ce jardin est entouré par les eaux des bassins, et forme autant d'îlots de verdure et de fleurs. C'est là, près de la source, que se trouvent les ruines du temple de Diane, à qui probablement cette eau était consacrée. Il ne reste de l'édifice que le sanc

tuaire qui est dans un assez bon état de conservation. On y a réuni une grande quantité de blocs mutilés et de fragmens de statues retrouvés lors des excavations faites pour les bassins de la fontaine. Ce temple devait être fort petit; c'était plutôt une sorte de chapelle appelée sacrarium par les anciens. Si la colline à laquelle il est adossé était couverte de bois, comme tout fervent Nîmois doit le croire, le lieu devait être d'un mystère charmant, et il ne serait pas improbable qu'il eût servi souvent de rendez-vous à la blanche Phœbé et au Grec Endymion. En créant le jardin de la Fontaine dans cette mythologique solitude, M. de Richelieu aurait-il eu la pensée de renouveler quelquefois, à son profit, les nocturnes galanteries de la déesse? L'inscription que la ville de Nîmes reconnaissante lui a fait graver en ce lieu n'en dit pas un mot. Mais pourquoi la ville, si polie au XVIIIe siècle envers M. le gouverneur de la province, l'a-t-elle été si peu depuis 1830 envers un de ses anciens préfets, M. le baron d'Haussez, qui, hélas! je le sais, a fatalement signé les ordonnances de juillet, mais qui n'en avait pas moins doté Nîmes du premier bois dont peut-être ses collines aient jamais été couronnées. Ce bois, planté miraculeusement sur l'escarpement de rocher qui fait face au jardin, est aujourd'hui de la plus belle venue; c'est un jardin anglais toujours vert. Jamais massif de verdure n'a mieux égayé un paysage, et jamais aussi arbres et plantes n'ont exigé de l'art plus de soins et d'intelligence. La reine Sémiramis elle-même admirerait les beaux terrassemens de ce jardin suspendu. Or, cette colline enchantée fut nommé le Mont d'Haussez, par un vote général de reconnaissance. Pourquoi la ville ingrate veut-elle aujourd'hui changer ce nom? Serait-ce parce que son ancien préfet est un homme déchu du pouvoir? Voilà bien la mobilité méridionale, toujours la même et toujours nouvelle depuis l'ostracisme athénien jusqu'à nous.

Je ne quitterai pas Nîmes, monsieur, sans féliciter quelques jeunes gens de la résolution tout artistique qu'ils ont prise dernièrement, et qu'ils ont eu la fermeté d'exécuter. Le théâtre de Nîmes (comme le sont tous les théâtres de province) était la proie d'un spéculateur qui administrait cet établissement comme il eût dirigé une usine. Des jeunes gens d'intelligence et de goût se sont réunis pour demander la gestion du théâtre, et ils l'ont obtenue. Leur but était noble, et grace au ciel ils l'ont atteint. Aujourd'hui la troupe de Nîmes est fort bonne; elle a des voix charmantes pour l'opéra, et de vrais talens pour le drame et la comédie. Les jeunes gens directeurs ne gagneront pas un sou à leur gestion, mais le public, les acteurs, l'art et le bon goût leur devront des progrès, du bien-être et des remerciemens.

JULES DE SAINT-FÉLIX.

Critique Littéraire.

Vie, Correspondance et Écrits de Washington, AVEC UNE INTRODUCTION PAR M. GUIZOT (1).

Jamais peut-être M. Guizot ne s'était aussi complètement résumé que dans la notice sur Washington qu'il vient de publier. Si nous appliquons à cet écrit de deux cents pages les procédés de l'analyse mathématique, il nous sera facile de le réduire à un petit nombre d'axiomes, de principes généraux, dont la réunion constitue, sous la forme d'une application spéciale aux États-Unis et à Washington, tout l'ensemble de la doctrine politique de M. Guizot. Telle est la tâche que nous voulons entreprendre ici. Quand il s'agit d'un travail comme l'essai sur Washington, où un esprit éminent donne l'exposé complet de ses idées politiques, une analyse impartiale et fidèle n'a peut-être pas moins d'intérêt qu'une discussion.

<< Deux choses grandes et difficiles, dit M. Guizot, sont de devoir pour l'homme et peuvent faire sa gloire : supporter le malheur et s'y résigner avec fermeté; croire au bien et s'y confier avec persévérance. Il y a un spectacle aussi beau et non moins salutaire que celui d'un homme vertueux aux prises avec l'adversité, c'est le spectacle d'un homme vertueux à la tête d'une bonne cause et assurant son triomphe.

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C'est par ces belles paroles que débute l'illustre publiciste, et nous trouvons déjà dans ces quelques lignes d'une éloquence si calme et si nerveuse une des pensées fondamentales de toute sa vie. La notice sur Washington ne sera que le développement de ce principe: le premier devoir d'un homme public est la vertu, le second est le succès.

Qui ne s'associerait de toute son ame à cette fière et virile déclaration? Dans la société antique, si brutale et si violente, le sage n'avait à donner aux dieux que le spectacle de sa lutte contre l'adversité. Dans la société moderne, plus humaine et plus juste, le sage a mieux à faire que souffrir, il doit vaincre.

Si le succès obtenu hors de la vertu est un attentat à la moralité même de la constitution sociale, la vertu paresseuse et indifférente, qui ne cherche pas le succès, a bien aussi quelque chose de coupable. La foi ne suffit pas, il faut encore les œuvres : ce que la religion a dit, la raison le dit aussi.

(1) 4 vol. in-8°, chez Gosselin.

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