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CHAPITRE IV.

De l'idée d'espace. De ses caractères. De son antécédent. - De l'objet de l'idée d'espace. - Exposition des principales opinions sur la nature de l'espace. - Opinion vulgaire. - Opinion de Descartes. - Opinion de Leibnitz. - Opinion de Newton, de Clarke, de Malebranche, de Fénelon. Opinion de Kant. Criterium à l'aide duquel on doit juger de la vérité ou de la fausseté de ces diverses opinions sur la nature de l'espace.

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L'existence de l'idée absolue d'espace dans la conscience n'est pas moins évidente que l'idée absolue de cause. Notre raison conçoit un espace infini au sein duquel toutes choses sont placées. Elle conçoit cet espace comme nécessaire et absolu; elle peut comprendre que tous les corps un jour soient anéantis, mais non l'espace au sein duquel ils sont placés. Elle le conçoit comme infini, c'est-à-dire comme excluant d'une manière absolue, et non pas seulement au regard de notre imagination, l'idée de toute limite. Il faut répéter ici sur l'infinité de l'espace la même remarque que j'ai faite sur l'infinité de l'être. Ce n'est pas de l'impuissance de notre imagination à le terminer par une limite dernière que nous concluons l'infinité de l'espace: une telle conclusion serait illégitime. En effet, en vertu de quel prin

cipe pourrions-nous conclure avec certitude que l'espace n'a pas de limites, parce que notre imagination ne peut se les représenter, parce que notre esprit ne peut les atteindre? Cette infinité ne se révèle pas à nous successivement par suite de l'addition et de la généralisation progressive d'étendues particulières et limitées, elle se découvre à priori tout à la fois et tout d'un coup à la raison. Lorsque la raison pense à l'espace, elle voit actuellement que son objet est infini; elle ne voit pas qu'il est infini parce qu'elle ne peut en trouver le terme, mais au contraire c'est parce qu'elle le sait infini qu'elle juge que jamais elle ne pourra en découvrir le terme. L'espace que nous concevons est donc infini, absolu.

Suivant la loi générale que nous avons posée en commençant, la conception de l'espace absolu et infini a pour antécédent en notre esprit quelque chose de fini et de contingent. C'est à l'occasion de notre substantialité et de notre causalité finie que nous concevons l'être et la cause infinis; à quelle occasion concevons-nous l'espace infini? Cet antécédent de la notion d'espace n'est pas un fait de réflexion, un fait purement subjectif. Dans nous-mêmes et dans le sentiment que nous avons de nous-mêmes, il n'y a rien qui nous suggère l'idée de l'espace infini. Réduits au

pur sentiment de nous-mêmes, nous demeurerions dans une ignorance éternelle de l'existence de l'espace. C'est dans un autre ordre de faits, dans l'ordre des faits de la perception extérieure matérielle, dans l'idée d'une étendue matérielle limitée, dans l'idée de corps que se trouve l'antécédent que nous cherchons. L'idée d'une étendue limitée nous étant donnée par les sens, aussitôt notre raison conçoit l'espace infini. Entre ces deux faits il y a une connexion tellement étroite et une succession tellement rapide, qu'on la prendrait pour une simultanéité. Mais quelque rapide que soit cette succession, c'est l'idée du corps qui précède, et il faut que nos sens soient entrés en exercice pour que notre raison conçoive l'espace. L'idée d'une étendue finie et limitée est donc l'antécédent chronologique de l'idée d'espace; mais, à son tour, l'idée d'espace en est l'antécédent logique. En effet, dans l'ordre de la réalité, l'étendue suppose évidemment l'espace; il est impossible de concevoir une étendue quelconque, si petite qu'on l'imagine, en dehors de l'espace, et qui n'ait l'espace pour fondement. Ainsi, au point de vue de la connaissance, c'est toujours le fini qui précède l'infini, et au point de vue de la réalité, l'infini qui précède le fini.

Les caractères de l'idée d'espace étant déter

minés, il faut rechercher quelle est la nature de cet espace conçu par la raison, quel est l'objet auquel dans la réalité correspond l'idée que nous en avons. Quelle est la valeur objective de cette notion universelle et nécessaire d'un espace infini? Cet espace au sein duquel nous nous représentons tous les phénomènes extérieurs est-il quelque chose de réel en dehors de nous? est-il une substance, un attribut, un rapport, ou bien n'est-il qu'une forme, qu'une chimère de notre esprit? Telle est la question. Je n'invente pas cette question, elle se présente naturellement à l'esprit de quiconque médite sur la vraie nature des choses; il est impossible de spéculer sur l'infini, sur Dieu, sur l'univers même, sans arriver à la question que je viens de poser. Elle entre donc nécessairement dans la série des questions dont la métaphysique ou l'ontologie se compose. Aussi tient-elle sa place dans l'histoire de la philosophie, où elle a été plus d'une fois discutée et résolue en des sens divers par de grands métaphysiciens. Toutes les diverses solutions dont elle est susceptible se sont produites dans la philosophie moderne, et ont été défendues ou combattues par Descartes, Leibnitz, Newton, Clarke et Kant. Exposons successivement ces diverses solutions, puis nous rechercherons si parmi elles il n'en est pas une qui seule est vraie, qui seule peut rendre compte

des caractères avec lesquels la raison conçoit l'espace.

Toutes les opinions sur la nature de l'espace peuvent se résumer ainsi : L'espace est distinct du monde et de Dieu; il existe par lui-même ; L'espace se confond avec l'étendue matérielle; l'espace n'est pas une réalité, mais seulement la propriété, l'attribut d'une réalité; l'espace n'est qu'un rapport entre les choses; l'espace n'a aucune espèce de réalité, il n'est qu'une idée, une forme de notre esprit.

Exposons rapidement chacune de ces solutions en les développant.

La première solution doit être attribuée aux philosophes qui, comme les philosophes écossais, se sont bornés à affirmer la réalité de l'espace, sans chercher à déterminer en quoi consiste cette réalité. On peut dire qu'elle représente aussi l'opinion du vulgaire sur la nature de l'espace. En effet, en général les hommes qui n'ont pas réfléchi sur cette question conçoivent l'espace comme n'étant précisément ni une substance ni un attribut, mais néanmoins comme existant par lui-même, comme ayant une réalité propre ; ils se le représentent comme le contenant de toutes

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