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CHAPITRE XII.

De l'objet de l'idée du beau absolu. - Opinions de Platon, de Plotin, de saint Augustin, de Hegel sur la nature du beau en soi. Tous le définissent également la manifestation sensible de l'être infini. La beauté en tout genre n'est en effet qu'une manifestation de l'infini par le fini. — Du sublime. En quoi sa nature est semblable à celle du beau, et en quoi elle en diffère. - Réfutation de quelques objections contre cette définition de la nature du beau et du sublime.-Identité de l'idée du beau avec l'idée de l'infini. • Unité de toutes les idées de la raison.

Il n'y a qu'une seule espèce de beauté. Toute beauté réside dans l'invisible manifesté par le visible. Quel est cet invisible objet dont la manifestation sensible éveille en nous l'idée du beau absolu? qu'est-ce que le beau en soi principe de toute beauté imparfaite, de toute beauté terrestre et périssable? Quel est le rapport du beau en soi, avec l'ordre en soi, le bien en soi, avec l'objet de toutes les autres idées absolues? De la question psychologique nous passons à la question ontologique, selon la marche que nous avons constamment suivie pour toutes les autres idées de la raison. Je n'ai pas la prétention d'apporter une solution nouvelle à cette question difficile de la nature de la beauté, je m'en tiens à celle en laquelle se sont accordés tous les grands méta

physiciens qui ont médité sur le beau; je m'en tiens à celle de Platon, de Plotin, de saint Augustin, de Hegel; car diverse par la forme, et plus ou moins précise, leur opinion sur la nature du beau est au fond identique, et elle se trouve en une harmonie complète avec les solutions que nous avons déjà données sur la nature de la cause, du temps, de l'espace, de l'ordre, du bien en soi. J'exposerai d'abord rapidement les idées de ces philosophes sur le beau en soi pour en montrer l'identité et les confirmer ensuite par quelques considérations. Je commence par Platon.

Avant d'être tombée dans le corps qu'elle traîne comme l'huître traîne sa prison, l'âme, dit Platon dans le Phèdre, avait des ailes et s'était transportée à la suite des dieux dans la région des essences. Au milieu de ces essences divines et immuables qu'elle a plus ou moins contemplées, brillait entre toutes l'essence de la beauté. Tombés en ce monde, nous la reconnaissons plus distinctement que toutes les autres. A la vue de ses terrestres images, nous nous sentons émus et transportés, et celui qui n'a pas perdu tout souvenir de la céleste patrie se reporte vers l'essence divine, éternelle et immuable de la beauté; car le beau, le vrai, le bien sont quelque chose de divin.

Si nous pénétrons dans le sens transparent de cette belle allégorie, si nous l'éclairons par une foule de passages épars dans les dialogues de Platon, nous y voyons que l'objet et le principe de la beauté est une essence divine et immuable, que toute beauté réelle est une beauté de reflet et d'emprunt, qu'il n'y a de choses belles que celles qui participent à cette essence divine. D'ailleurs, le beau est une idée, et dans la langue de Platon, toutes les idées sont les essences immuables, éternelles des choses, et toutes découlent de l'idée mère, de l'idée souveraine du bien. Donc, selon Platon, l'objet de l'idée du beau, comme l'objet de l'idée du bien et du vrai, est un objet divin, et c'est au sein de l'Éternel, de l'immuable, c'est-àdire de Dieu, qu'il faut le placer.

Le plus grand philosophe de l'école d'Alexandrie, Plotin, a traité cette même question de la nature du beau avec autant de poésie et d'inspiration et avec plus de rigueur systématique que Platon. Il y a consacré tout le livre sixième de la première Ennéade. La beauté, selon Plotin, même dans les corps, est quelque chose d'intellectuel, et provient toujours de l'idée. Une chose n'est belle que lorsqu'en elle la matière est vaincue et l'idée domine. Plus elle a triomphé de la matière, plus elle ressemble à notre âme, et plus

nature;

elle est belle. Si notre âme se réjouit à l'aspect des choses belles, c'est qu'elle y reconnaît sa propre nature, c'est-à-dire une nature spirituelle. L'âme n'aime que ce qui est analogue à sa propre il faut donc avoir l'âme belle pour aimer la beauté. Or, pour que l'âme soit belle, il faut qu'elle se dégage, autant qu'il est en elle, du corps et de tout ce qui s'y rapporte; il faut qu'elle se rapproche, autant que possible, de l'état de pur esprit. Mais s'affranchir du corps par la vertu, triompher de la matière au sein de laquelle nous sommes plongés, c'est nous élever vers l'unité suprême, seul pur esprit, et en conséquence principe et source de toute beauté. Le beau et le bien doivent être cherchés par la même voie, car ils sont le même Dieu sous deux aspects différents, c'est-à-dire l'unité suprême (to ev, TO Tρτоv). Toutes les autres choses ne sont belles que par elle, et à proportion qu'elles participent avec elle. Nous nous élevons donc vers le beau à mesure que nous nous dépouillons de toutes les souillures matérielles que notre âme a contractées en s'éloignant de l'unité suprême. La beauté en soi ne descend pas dans les choses, de peur d'être vue par les profanes. Qui veut la contempler, doit s'élever jusqu'à elle. Celui qui, au lieu de tendre vers la beauté absolue, tend vers les beautés périssables, court après la vaine image que

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les eaux réfléchissent; il ne peut l'atteindre, et il se noie. Telle est l'analyse rapide des principales idées de Plotin sur la beauté. Quel est le principe, quelle est la source de la beauté, selon Plotin? C'est l'unité suprême, c'est-à-dire Dieu; le beau et le bien, dit-il expressément, doivent être cherchés par la même voie, car le bien et le beau sont Dieu lui-même, envisagé sous deux aspects différents. Ainsi donc Plotin, de même que Platon, place dans l'être infini l'essence de la beauté et l'objet auquel correspond l'idée du beau qui est en notre intelligence.

Selon saint Augustin, le caractère distinctif de la beauté dans les choses est le rapport exact des parties d'un tout entre elles, rapport qui constitue son unité. Si vous demandez, dit-il, à un architecte pourquoi, ayant élevé une arcade à une des ailes de l'édifice qu'il construit, il élève une autre arcade à l'aile opposée, il répondra que c'est pour établir la symétrie entre toutes les parties; si l'on insiste et si l'on demande pourquoi cette symétrie lui paraît nécessaire, il répondra parce qu'elle est belle, parce qu'elle plaît, et on l'amènera à trouver la raison de sa beauté dans l'unité qui résulte de la symétrie et de l'harmonie des parties. Mais saint Augustin ne s'arrête pas à cette définition de la beauté, et il remonte jus

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