Obrazy na stronie
PDF
ePub

CHAPITRE XI.

Je l'idée du beau absolu. De ses caractères. Elle est universelle.

Elle est absolue.

--

Réfutation des objections contre l'universa

lité et le caractère absolu de l'idée du beau.

l'idée du beau.

de beauté.

[ocr errors]

· Antécédent de La beauté est une. - Identité de tous les genres

La beauté physique n'est qu'un reflet de la beauté immatérielle. Toute beauté de la nature et de l'art consiste dans l'expression d'une idée ou d'un sentiment, dans une manifestation de l'invisible par le visible.

Il ne me reste plus qu'à montrer dans l'idée de beau une autre face de l'idée d'infini, et dans son objet une autre face de l'être infini, pour achever la démonstration de l'unité des idées de la raison.

L'existence de l'idée du beau dans l'intelligence humaine n'est pas moins incontestable que l'existence de l'idée du bien. Mais cette idée est-elle universelle? est-elle absolue comme les autres idées de la raison? n'y a-t-il pas des intelligences grossières qui jamais ne l'ont conçue? et n'a-t-elle pas varié, ne varie-t-elle pas encore dans son essence d'époque en époque, de peuple à peuple, et même d'individu à individu?

Je crois qu'il n'est pas d'intelligence tellement grossière à laquelle, en certaines occasions plus

ou moins rares, l'idée du beau absolu ne se soit révélée. Sans doute elle ne s'y révèle pas aussi pure, aussi vive que dans l'intelligence de l'artiste; mais elle s'y manifeste plus ou moins confuse, et cela suffit pour établir son universalité. Par l'observation on peut facilement s'assurer de cette universalité, et se convaincre que l'homme le plus grossier aperçoit et sent quelquefois la beauté, de même que l'artiste. En effet, quel est l'homme si grossier qui ne se soit trouvé en présence de ces grandes scènes de la nature dont le spectacle n'est refusé à personne? Quel est l'homme qui, en présence des hautes montagnes, de l'Océan, du soleil à son lever ou à son couchant, de la voûte étoilée, n'a pas éprouvé dans son âme le sentiment du beau? Quel est encore celui auquel la beauté ne s'est pas révélée dans la figure humaine?

Le sauvage comme l'homme civilisé est sensible à la beauté. Un voyageur raconte qu'il descendait le Niger dans une barque conduite par des nègres. Depuis quelque temps le fleuve était resserré entre des rives étroites et escarpées; tout

à

coup, au sortir d'un brusque détour du fleuve, la barque entre dans un lac immense tout resplendissant des feux du soleil couchant. A la vue de ce magnifique spectacle, les nègres lais

sent tomber leurs rames, se lèvent tous à la fois et battent des mains. Lorsque dans nos fêtes publiques, aux yeux de la foule qui se presse, l'horizon s'embrase tout à coup de mille feux étincelants de couleurs diverses, qui n'a pas entendu s'échapper spontanément de toutes les bouches. cette exclamation expressive: Que c'est beau! II n'est pas besoin de multiplier les exemples, il suffit d'avoir attiré l'attention sur quelques-unes de ces manifestations spontanées de l'idée et du sentiment de la beauté par l'homme grossier, par le sauvage, par la multitude, pour mettre en évidence l'universalité de cette idée.

Mais si l'idée du beau est universelle, est-elle invariable? est-elle absolue?

Si dans toutes les intelligences il y a une idée du beau, est-ce le même beau que toutes les intelligences conçoivent? L'idée du beau ne changet-elle pas d'époque à époque, de peuple à peuple, d'individu à individu, suivant les conventions arbitraires, suivant les caprices de la mode, suivant les organisations et les tempéraments divers des peuples et des races? Ne pourrait-on pas dire à bon droit de la beauté ce que Pascal a dit de la justice? Ce qui est beauté en deçà des Pyrénées est laideur au delà; le méridien change la beauté. Celui qui jugerait ainsi la na

ture de la beauté s'arrêterait aux apparences et n'irait pas jusqu'au fond des choses. L'objection contre l'universalité et l'immutabilité de la beauté est la même que l'objection contre l'universalité et l'immutabilité de la justice, et elle se résout de la même manière. Sans nul doute les jugements que les hommes portent sur la beauté sont divers et même contradictoires; mais, comme le dit Reid dans son Essai sur le goût, la diversité infinie des jugements sur le beau ne prouve pas plus qu'il n'existe pas un beau absolu que la diversité des jugements sur le vrai, la multitude des erreurs et des préjugés ne prouve qu'il n'existe pas un vrai absolu. En effet, dans le jugement esthétique comme dans le jugement moral, il y a deux éléments à distinguer. Le premier est l'idée du beau absolu qui entre nécessairement dans tout jugement esthétique comme l'idée du bien absolu entre dans tout jugement moral. Le second est le sentiment, le fait, l'objet, en un mot, la matière à laquelle on applique cette idée. Le premier élément est invariable, il est donné à priori par la raison; le second varie d'un jugement à l'autre, il est donné à posteriori par l'expérience. Tous les hommes sont d'accord sur la conception du beau absolu; où les diversités et les contradictions commencent, c'est lorsqu'il s'agit des applications de cette idée. L'idée du beau absolu

ne varie donc pas; le principe demeure toujours le même, ce sont les applications du principe qui varient. Partout où les hommes aperçoivent la qualité essentielle, constitutive de la beauté, qualité que je déterminerai plus tard, ils s'accordent à reconnaître la beauté. Mais par une cause ou par une autre, tous ne voient pas cette qualité où elle réside, et quelquefois ils croient l'apercevoir là où dans la réalité elle n'est pas, et ils ne jugent pas beau ce qui est beau, ou ils jugent beau ce qui n'est pas beau. Car cette qualité essentielle qui constitue la beauté ne se découvre pas toujours facilement en toutes choses; quelquefois elle ne peut être aperçue qu'à la condition d'un certain développement de l'esprit, d'une certaine science qui n'est pas le partage de toutes les intelligences. Elle n'est pas partout aussi manifeste que dans les grandes scènes de la nature, et souvent elle échappe aux uns là où elle se découvre aux autres. L'inégalité du développement intellectuel, les préjugés, les associations d'idées, telles sont en général les causes les plus actives qui contribuent à égarer dans ses applications l'idée de la beauté absolue, comme l'intérêt général d'une tribu ou d'un peuple, comme la compétition des devoirs entre eux, sont les causes les plus actives qui faussent les applications de l'idée du bien.

« PoprzedniaDalej »