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un jeune homme qui portait une armure de chevalier, et qui l'en revêtit en disant : « Tu as assez combattu « comme soldat, désormais Dieu veut que tu le serves « comme un généreux chevalier. »- Le Bienheureux regardait ces armes, et disait dans son étonnement:

Que faites-vous de moi? pourquoi ce changement et «< comment devenir chevalier? comment vais-je être «< chevalier, moi qui jouis maintenant du repos et de <«< la tranquillité? Je me soumets, puisque Dieu l'ordonne; mais ma noblesse me serait plus chère, si << j'avais pu la gagner dans quelque glorieux combat. >>

Le jeune homme lui répondit en souriant : « Ne te «tourmente pas de cela; les occasions de bien com« battre ne te manqueront pas; les soldats de Jésus« Christ ont à soutenir des guerres plus terribles, et à « remporter des victoires plus brillantes que les Hec« tor, les Achille, les César, que tous les capitaines et « les héros que les poëtes et le paganisme ont tant « célébrés. Si tu crois que Dieu t'a déchargé de tes pénitences pour que tu suives tranquillement ton plaisir et tes aises, tu es dans une grande erreur. « Dieu t'a délivré non pas pour que tu sois ton maître, <«< mais pour remplacer tes mortifications par des «< chaînes plus lourdes et plus douloureuses. >>

Ces paroles ébranlèrent frère Henri et l'épouvantèrent. « Seigneur, dit-il à Dieu, à quoi me destinez« vous donc? Je pensais avoir fini, et je n'ai pas com« mencé. Vous voulez me faire souffrir et appesantir « votre main sur moi. Serais-je le seul pécheur dans « le monde, le seul misérable indigne de consolation?

« Les autres scraient-ils justes et saints, puisque vous « les épargnez et que vous tournez contre moi toute « votre colère? Ne suffit-il pas de m'avoir accablé d'in« firmités et de tentations pendant ma jeunesse, « d'avoir combattu de tant de manières ma chair déli<«< cate? Il me semble pourtant, Seigneur, que vingt«deux ans de souffrance devraient vous satisfaire. << Non, répondit le Seigneur, tu n'es point assez éprouvé; si tu veux que les choses aillent bien pour <«< toi, il faut que tu sois tourmenté de mille façons, « et jusque dans les parties les plus intimes de ton <«< cœur. — Mais au moins, répliqua Suso, je vous prie « en grâce d'être assez bon pour me découvrir quelles « sont les croix que vous me préparez. »

Le Seigneur répondit: «< « Lève les yeux au ciel, et «si tu peux compter les étoiles, tu sauras le nombre « des afflictions qui t'attendent; et de même que les « étoiles sont immenses et qu'elles paraissent petites <«< aux yeux des hommes, de même les croix que tu << porteras paraîtront légères à ceux qui ne les connais«sent point, tandis que tu sentiras combien elles sont «dures et pesantes. Seigneur, dit Suso, faites-les« moi connaître d'avance, pour que je puisse m'y

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préparer. » — Et Dieu répondit : « Il vaut mieux

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« pour toi que tu les ignores, parce qu'elles te décou

<< rageraient. Pourtant je veux bien t'en découvrir trois

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parmi toutes celles que je te prépare.

« La première croix sera celle-ci: Autrefois tu te

frappais de tes propres mains tant que tu voulais, et

<«tu t'arrêtais quand tu avais pitié de toi-même. Main

« tenant tu seras entre les mains des autres, tu seras « maltraité et frappé sans pouvoir te défendre. De plus << tu perdras l'estime et la considération de beaucoup, « et cela te sera plus pénible que cette croix pleine de « clous qui déchirait ta chair et tes épaules. On te <«<louait, on t'admirait dans tes mortifications volon<< taires; mais désormais, quand tu souffriras, tu seras « abaissé, méprisé et tourné en ridicule par tout le « monde.

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<«<La seconde croix sera celle-ci : Quoique tu te sois martyrisé par de nombreuses et cruelles tortures, tu « as conservé ton cœur d'homme et ta nature aimante; « tu jouis de l'affection de beaucoup de monde. Mais

là où tu avais trouvé de la confiance, de l'estime et « de l'amour, tu rencontreras désormais une insigne déloyauté; tu seras tellement joué et accablé, que tu deviendras le chagrin et le désespoir du petit « nombre qui te restera fidèle.

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« Voici la troisième croix: Jusqu'à présent je t'ai « nourri comme un petit enfant du lait de ma divine

grâce, et cela avec tant d'abondance, que tu te sen<< tais souvent plongé dans un océan de délices. Désor«< mais je retirerai mes grâces et mes consolations; je << te livrerai à la pauvreté, à l'aridité spirituelle; tu << seras abandonné de Dieu et des hommes, tourmenté << de toutes les manières par tes amis et tes ennemis, «<et ce que tu rechercheras, ce que tu tenteras pour «te consoler et te soulager dans tes angoisses, tour<< nera toujours contre toi. »>

Cette extase glaça Henri d'épouvante et le fit trem

bler de tous ses membres. Il se leva et se précipita par terre en étendant les bras en croix. Il cria vers Dieu, le cœur tout déchiré et la voix pleine de larmes, conjurant sa Bonté de vouloir, s'il était possible, lui épargner tant de misères; mais se soumettant humblement, s'il le fallait, à l'accomplissement de son éternelle volonté. Pendant qu'il était ainsi prosterné dans les soupirs et les pleurs, il entendit une voix qui lui disait intérieurement: «< Aie bon courage, car je serai avec toi et je « te rendrai victorieux dans tous tes combats. » Alors il se releva et se remit entièrement entre les mains de Dieu.

Quelque temps après, se tenant un matin dans sa cellule, toujours triste et préoccupé des peines qui l'attendaient, une voix lui dit : « Ouvre la fenêtre, regarde et << apprends. » Il obéit et vit à l'entrée du couvent un chien qui avait dans sa gueule un mauvais morceau d'étoffe. L'animal jouait avec ce lambeau, le jetait en l'air, le reprenait, le mordait et le mettait en pièces avec ses pattes et ses ongles. A cette vue, frère Henri comprit toutes ses douleurs dans l'avenir; il tourna les yeux au ciel et gémit profondément. Alors une voix lui dit: « C'est ainsi que tu seras traité par la bouche et <«<les langues de tes frères. » Comme je ne puis éviter ces croix, pensa frère Henri, que mon âme se confie en Dieu et qu'elle souffre sans se plaindre comme ce morceau d'étoffe. Il quitte la fenêtre et va à la porte du couvent ramasser le chiffon, qu'il conserva pendant plusieurs années; et lorsque dans ses peines il était tenté d'impatience, il le plaçait sous ses yeux en se rappelant

le silence qu'avait gardé cet être insensible entre les dents du chien; il rentrait en lui-même et portait patiemment sa croix sans parler et sans se plaindre.

XXIV

Le Bienheureux se prépare dans la solitude à bien souffrir.

Les croix arrivèrent bientôt, et lorsque Henri était injurié par les siens et qu'il détournait la tête par dégoût et par indignation, il entendait au fond de son âme les reproches de Jésus-Christ, qui lui disait : « Ai-je dé« tourné la tête quand les hommes m'injuriaient et me <«< crachaient au visage?» Il se corrigeait alors, allait trouver ceux qui l'avaient maltraité et leur parlait avec douceur. Au commencement de ces épreuves, il s'adressait à Dieu et le suppliait de vouloir bien le délivrer.

Jésus-Christ, qui voulait l'instruire, lui apparut le jour de la Purification sous la forme d'un enfant, et le reprit ainsi : «< Henri, tu n'as pas encore appris la véri«<table manière de souffrir. Quand, pour mon amour, <«< tu supportes une croix, ne pense point à l'instant où «<tu la quitteras et où tu te reposeras, mais endure-la << avec patience, supporte-la avec courage; qu'elle te << soit une expérience pour l'avenir, et que la constance « te prépare à en recevoir une autre lorsque celle-là

sera passée. La jeune fille qui, dans un champ, «cueille des roses pour sa parure ne se contente point << d'en prendre une seulement, mais elle retourne chez

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