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XX

Comment notre Bienheureux souffrait le tourment de la soif.

Plus frère Henri se torturait par ces cruelles mortifications, plus son âme désirait ardemment trouver quelques nouveaux moyens de souffrir davantage. Sachant que la soif est le plus terrible des supplices, il commença par diminuer ce qu'il buvait ordinairement, et se réduisit à une très-minime quantité de vin. Pour ne point outre-passer la mesure qu'il s'était fixée, il se procura une petite tasse qu'il portait toujours avec lui. Quand la soif devenait intolérable, il s'humectait la bouche avec quelques gouttes d'eau, comme le font les malades et les fiévreux. Mais augmentant peu à peu son abstinence, il finit par se priver entièrement de vin, et n'en but pendant longtemps que le jour de Pâques; il s'accordait un peu d'eau, et encore au dîner seulement. Cette mortification lui fut très-pénible, et il la pratiqua avec tant de sévérité, qu'il ne voulut jamais soulager sa soif en s'accordant quelques gouttes de plus. Dieu voulut bien le soutenir par sa grâce toute-puissante. Un jour qu'il levait les yeux vers le ciel, il entendit une voix d'en haut qui disait dans son cœur : « Rappelle-toi, <«< Henri, combien fut terrible ma soif lorsque j'étais « sur la Croix, dans les dernières angoisses de la mort. Quoique je fusse le créateur de toutes les fontaines, je n'ai pu obtenir alors pour me soulager que du fiel

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<«<et du vinaigre. Supporte encore avec patience la soif « que tu éprouves, si tu veux suivre mes traces. »>

Le Bienheureux, pour imiter Jésus-Christ et lui obéir, passa encore tout le jour sans boire, quoiqu'on fùt au fort de l'été. Le soir, il ressentit une soif ardente; son corps, affaibli et haletant, soupirait après un peu d'eau; ses lèvres se desséchaient à l'intérieur et à l'extérieur; sa langue s'entr'ouvrait, se crevassait, et sa soif devenait si violente, qu'au moment où on jette à l'Office de l'eau bénite sur les religieux, il ouvrait avidement la bouche pour en recueillir quelques gouttes. A souper, il quitta la table sans toucher le vin qu'on servait, et au milieu des ardeurs qui le tourmentaient, il levait les yeux au ciel en disant: « Recevez, ô Père « céleste, ce vin en sacrifice, comme si c'était le sang « de mon cœur, et offrez-le à votre cher Fils altéré et « mourant sur la Croix. »

Quelquefois il s'arrêtait à la fontaine du couvent, et contemplait cette eau qui jaillissait claire et limpide et s'écoulait en mille ruisseaux; il gémissait et soupirait en sentant augmenter sa peine, et il disait à Dieu : « O « Bonté éternelle! que vos jugements sont cachés! je << suis près du lac de Constance et du Rhin; je touche à <«< cette fontaine, et de toute cette eau il n'y en a pas <«< une goutte pour moi!» Il continua longtemps cette mortification, et jamais elle n'aurait été adoucie, si Dieu ne l'avait adoucie lui-même.

Le dimanche des Noces de Cana, frère Henri étant à table et ne pouvant rien manger à cause de la sécheresse de sa bouche, quitta le réfectoire des religieux, et

alla se cacher dans sa cellule; là, vaincu par la violence de la soif, il pleura amèrement sur lui-même, et ne pouvant davantage supporter son supplice, il cria vers Dieu «Seigneur tout- puissant, vous qui connaissez <«<les peines et les douleurs de ceux qui vous servent,

:

« prenez pitié de la soif qui me dévore, et voyez comme je souffre sur cette terre. J'aurais pu me procurer tout « ce qui me fallait pour vivre, et me voilà réduit à un «tel état de besoin et de misère, que je ne puis rien

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prendre, pas même une petite goutte d'eau pour cal<«< mer ma soif brûlante. » Au milieu de ses gémissements, il entendit une voix divine qui disait à son âme : « Du courage, frère Henri, cesse tes gémisse«ments et ranime ton cœur et les forces: tu touches à « la fin de tes peines; voici venir les jours de joie et de a rafraîchissement. >>

XXI

Frère Henri est consolé par notre Seigneur Jésus-Christ
et par sa sainte Mère.

Dès la nuit suivante, frère Henri reçut les consolations promises. Étant en oraison, il fut ravi en extase, et la vierge Marie lui apparut ayant à ses côtés son cher Fils sous la forme d'un enfant de sept ans. Cet enfant tenait à la main un petit vase rempli d'une eau céleste; alors la vierge Marie prit des mains de son Fils le vase, et l'offrit à frère Henri en lui disant d'y boire;

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frère Henri le prit avec une sainte avidité, et Y liqueur d'une saveur, d'une douceur, d'une vertu si grandes, que sa soif se calma, et qu'il se trouva, selon son désir, tout rafraîchi, tout consolé.

Le Saint, revenu à lui, conserva la plus vive reconnaissance d'une si grande grâce; il bénissait sans cesse Marie avec amour, et pensait à elle toutes les fois qu'il voyait une femme. Le jour suivant il en rencontra une dans la rue la plus sale de la ville, et il se mit aussitôt dans la boue pour la laisser passer par le seul endroit sec qu'il y avait. La femme remarqua cet acte d'humilité et lui dit : « Mon Père, que faites-vous! vous êtes prêtre et religieux: pourquoi me céder le chemin à <«< moi qui ne suis qu'une pauvre femme? pourquoi me « traiter ainsi et me faire rougir de confusion? » Frère Henri répondit: «Ma sœur, j'ai l'habitude d'honorer « et de vénérer toutes les femmes parce qu'elles rap<«< pellent à mon cœur la puissante Reine du ciel, la « Mère de mon Dieu, envers qui j'ai tant d'obliga

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tions. » La femme leva les mains et les yeux au ciel en disant: « Je supplie cette puissante Reine que vous << honorez en nous autres femmes de vouloir bien, avant « votre mort, vous favoriser de quelque grâce parti«< culière. >>

Peu de temps après, frère Henri étant sorti du souper sans boire, revint à sa cellule tourmenté par la soif, comme à l'ordinaire; la nuit, une femme belle et majestueuse lui apparut et lui dit : « Je suis la Vierge « Mère que tu aimes. C'est moi qui ai déjà soulagé ta « soif en t'abreuvant d'une liqueur céleste, et doré

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<< navant toutes les fois que tu souffriras ce tourment, j'aurai compassion de toi et je te soulagerai. » Frère Henri s'écria: «< Auguste Souveraine, je ne vois dans vos << mains ni tasse, ni vase d'eau ou de vin, comment soulagerez-vous ma soif? — Je te donnerai, répondit << la sainte Vierge, une liqueur salutaire, et cette liqueur découlera du fond de mon cœur même. » Ces paroles troublèrent le Saint; et tout accablé de son indignité il tremblait et n'osait plus rien dire. Alors la sainte Vierge le consola avec bonté en ajoutant : Puisque Jésus-Christ a bien voulu t'accorder les « douceurs de l'amour et se reposer dans ton âme pour récompenser la sécheresse de cette soif dévorante que « tu souffres pour lui, ne puis-je pas aussi te consoler «<et te rafraîchir? Ce ne sera ni de l'eau, ni du vin que

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je te verserai; mais de mon cœur s'épanchera dans « ton cœur une liqueur précieuse, une liqueur spiri<«<tuelle d'une pureté incomparable et divine. » Alors le Saint goûta cet ineffable breuvage dont lui parlait Marie; sa soif fut soulagée, et il lui resta dans la bouche un grain de manne d'un goût délicieux et d'une blancheur semblable à celle de la neige. Le bonheur qu'il éprouva le fit fondre en larmes, et son àme s'épuisait à remercier la sainte Vierge d'une si grande grâce.

Marie ne s'arrêta pas à cette faveur : la même nuit, elle apparut à un grand serviteur de Dieu et lui commanda d'aller trouver frère Henri et de lui dire de sa part : « Jadis, j'ai allaité saint Jean Chrysostome, lorsqu'il était enfant, une fois qu'il priait devant une de ames images; je l'ai pressé dans mes bras et je lui ai

«

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