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DU LANGAGE FIGURÉ.

Tome I, page 279.

MARMONTEL a donné, dans ses Élémens de littérature, une dissertation fort intéressante sur les figures du langage, sur leur origine et leur usage; il les a ressemblées avec beaucoup d'esprit dans un discours de quelques lignes, qu'il met dans la bouche d'un homme du peuple en colère contre sa femme.

Presque tout est figuré dans la partie morale «et métaphysique des langues; et comme le Bour«<geois gentilhomme faisait de la prose sans le «< savoir, sans le savoir aussi, et sans nous en aper« cevoir, nous faisons continuellement des figures «de mots et des figures de pensées.

« Le moyen, par exemple, de parler de l'action, « des facultés, des qualités de l'âme, de ses affec«<tions, sans y employer des mots primitivement «< inventés pour exprimer les objets sensibles? « Lorsqu'on s'est fait des idées abstraites, et que « d'une foule de perceptions, transmises par les << sens et isolées à leur naissance, on a formé successivement le système de la pensée, on ne s'est « pas fait une nouvelle langue pour exprimer cha«< cune de ces conceptions. On a pris, au besoin, << et par analogie, l'expression de l'objet qui tom<< bait sous les sens, et l'on en a revêtu l'idée pour laquelle on manquait de terme. Cet usage des

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« métaphores, ou translation de mots, est devenu << si familier, si naturel par l'habitude, que Rollin, << en recommandant de ne pas s'en servir trop fré« quemment, en a fait une à chaque ligne. Il est vrai qu'il ne comptait pas celles qui avaient passé << dans la langue usuelle; et en effet celles-ci sont <«< au nombre des mots simples et primitifs.

<< L'indigence a donc été la première cause de «ces translations de mots, dont on a fait un orne«ment de luxe.

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« La négligence et la commodité ont fait prendre « un mot pour un autre, comme la cause pour « l'effet, le signe pour la chose, l'instrument pour « l'ouvrage, etc. Ainsi l'on dit qu'un homme est « dans le vin, pour dire qu'il est dans l'ivresse ; on << dit la plume et le pinceau, pour l'écriture et la peinture; on dit la charrue et l'épée, pour le << labourage et la guerre; on dit des voiles pour « des vaisseaux, et cela s'appelle métonymie. On « fait donc une métonymie, en disant tant par « tête, tant par homme, tant par feu, tant par << maison, tant de charrues pour tant de terre; car « métonymie, en français, veut dire changement « de nom.

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« Est venu ensuite la délicatesse, qui, pour << adoucir des idées indécentes ou déplaisantes, a « évité le mot obscène, le mot dur et choquant, et « a pris un détour. C'est ainsi qu'on a dit avoir « vécu, pour être mort; n'être pas jeune, pour « être vieux; qu'on dit d'un homme qu'il a Églé,

qu'il vit avec Glicère, qu'il est bien avec Sempronie, qu'il a séduit, charmé Lucrèce, qu'il a « désarmé sa rigueur, qu'il en a triomphé, etc. « C'est ce qu'on appelle euphémisme, ou vulgai<< rement beau langage.

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« La paresse, ou l'impatience de s'exprimer en << peu de mots, a introduit l'ellipse. Elle a aussi « fait qu'on est convenu de s'entendre lorsqu'on dirait, en parlant des espèces collectivement prises, l'homme, le cheval, le lion, le chêne, << la vigne, l'ormeau; lorsqu'on dirait, en parlant « des peuples, le Français, l'Anglais, le Germain, << la Seine, le Tibre, l'Euphrate; ou lorsqu'en par<< lant des armées, on ne ferait que nommer leur général, où l'état, ou le roi qu'elles auraient « servi. César, défit Pompée; Rome conquit le « monde; Louis XIV prit Namur. Ce tour s'appelle synecdoque, réunion de tous en un seul.

« Les figures de pensées ne sont guère moins « familières; ce sont, pour ainsi dire, les attitudes, « les mouvemens de l'esprit et de l'âme; et comme « l'âme et l'esprit en action varient, sans s'en aper«< cevoir, leurs mouvemens et leurs attitudes, et << d'autant plus qu'ils sont plus libres et plus vive«<ment affectés, il a dû naturellement arriver ce « que le philosophe Dumarsais a observé dans son « livre des Tropes, que les figures de rhétorique « ne sont nulle part si communes que dans les « querelles des halles. Essayons de les réunir toutes « dans le langage d'un homme du peuple; et pour

« l'animer, supposons qu'il est en colère contre sa << femme.

« Si je dis oui, elle dit non; soir et matin, nuit « et jour elle gronde ( antithèse). Jamais, jamais de <<< repos avec elle (répétition). C'est une furie, un « démon (hyperbole). Mais, malheureuse, dis-moi « donc (apostrophe), que t'ai-je fait (interroga<< tion)? O ciel ! quelle fut ma folie en t'épousant (exclamation)! Que ne me suis-je plutôt noyé (optation)! Je ne te reprocherai ni ce que tu me « coûtes, ni les peines que je me donne pour y « suffire (prétérition); mais, je t'en prie, je t'en conjure, laisse-moi travailler en paix (obsécra« tions), ou que je meure, si.... Tremble de me « pousser à bout (imprécation et réticence). Elle

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pleure! Ah, la bonne âme! Vous allez voir que << c'est moi qui ait tort (ironie). Eh bien! je sup« pose que cela soit. Oui, je suis trop vif, trop << sensible (concession). J'ai souhaité cent fois que « tu fusses laide. J'ai maudit, détesté ces yeux per« fides, cette mine trompeuse qui m'avait affolé « (astéisme ou louange en reproche). Mais dis<< moi si par la douceur il ne vaudrait pas mieux «< me ramener (communication)? Nos enfans, nos <«< amis, nos voisins, tout le monde nous voit faire « mauvais ménage (énumération); ils entendent a tes cris, tes plaintes, les injures dont tu m'ac«< cables ( accumulation); ils t'ont vue les yeux égarés, le visage en feu, la tête échevelée, me « poursuivre, me menacer (description); ils en

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parlent avec frayeur : la voisine arrive, on le lui « raconte; le passant écoute, et va le répéter (hy<< potypose). Ils croiront que je suis un méchant, « un brutal, que je te laisse manquer de tout, que je te bats, que je t'assomme (gradation). Mais <«< non, ils savent bien que je t'aime, que j'ai bon « cœur, que je désire de te voir tranquille et con« tente (correction). Va, le monde n'est pas injuste; << le tort reste à celui qui l'a (sentence). Hélas! ta pauvre mère m'avait tant promis que tu lui res« semblerais. Que dirait-elle? que dit-elle? car elle « voit ce qui se passe. Oui, j'espère qu'elle m'é«<coute, et je l'entends qui te reproche de me « rendre malheureux. Ah! mon pauvre gendre! « dit-elle, tu méritais un meilleur sort (proso« popée).

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« Voilà toute la théorie des rhéteurs sur les figures de pensées, mise en pratique sans aucun « art; et ni Aristote, ni Carénade, ni Quintilien, << ni Cicéron lui-même n'en savaient davantage. Ce << sont des armes que la nature nous a mises dans « les mains pour l'attaque et pour la défense. « L'homme passionné s'en sert aveuglément et par instinct; le déclamateur s'en escrime; l'homme éloquent à l'avantage de les manier avec force, << adresse et prudence, et de s'en servir à propos. >>

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