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pas incapable de remords; il éprouve même pour nos premiers parens un intérêt qui l'oblige à se justifier, et à rejeter sur l'impérieuse nécessité de sa situation l'horreur des projets qu'il a formés contre eux. Il agit moins par méchanceté que par ambition et ressentiment. Enfin, le Satan de Milton ne se montre pas plus odieux que la plupart des conspirateurs et des chefs de factions qui jouent un rôle dans l'histoire. Les caractères de Beelzebuth, de Moloch, de Bélial, sont admirablement peints dans les éloquens discours du livre second. Les anges du Seigneur, quoique représentés sous les traits les plus nobles, ont cependant quelque chose de plus uniforme que les esprits infernaux, quoique Raphaël et Abdiel montrent des caractères bien prononcés, le premier, par sa douce soumission, l'autre, par sa fidélité inaltérable. Peindre Dieu au milieu de sa gloire, rapporter les entretiens du Père et du Fils, était une entreprise difficile et hardie; et, comme on pouvait s'y attendre, c'est effectivement celle où le poète a obtenu le moins de succès. Quant aux caractères humains, l'innocence et les amours de nos premiers parens sont exprimés avec une grâce et une délicatesse infinies. Adam, eu égard à sa situation, est peut-être trop recherché dans les discours qu'il adresse à Ève et à Raphaël. Ève a mieux le caractère qui lui convient; elle a toute la douceur, toute la modestie et toute la faiblesse d'une femme.

Mais c'est dans le sublime que Milton a montré surtout un génie supérieur; peut-être même l'emporte-t-il sur Homère; du moins il est incontestable qu'il laisse

loin derrière lui Virgile et tous les poètes connus. Les premier et second livres du Paradis perdu sont presque tout entiers sublimes. La description de l'enfer et des légions d'anges déchus, le tableau du conseil infernal, l'apparition et la conduite de Satan, le vol de ce prince des démons à travers le chaos jusqu'aux limites de notre monde, sont les conceptions les plus grandes, les plus élevées qu'ait formées le génie poétique. Au sixième livre, quelle majesté surtout dans l'intervention du Messie! Il est vrai que, dans ce même livre, il se trouve aussi des fautes graves, et que les plaisanteries des démons sur l'effet de l'artillerie qu'ils ont inventée sont d'un mauvais goût insupportable. Il ne faut pas confondre le sublime de Milton avec celui d'Homère : celui d'Homère est ardent, impétueux; celui de Milton est plus calme, mais il a aussi plus de grandeur; Homère nous échauffe et nous entraîne, Milton nous ravit ďadmiration; le premier est sublime lorsqu'il décrit des actions, l'autre lorsqu'il peint des objets d'une nature étrange et merveilleuse.

C'est par le sublime, sans doute, que Milton est essentiellement remarquable; cependant l'on trouve dans son poëme un grand nombre de passages dans lesquels il exprime d'une manière admirable les sentimens les plus doux et les plus tendres. Lorsque la scène se passe dans les jardins d'Eden, les tableaux sont toujours rians et gracieux. Ses descriptions annoncent une imagination étonnante; ses comparaisons, presque toujours extrêmement heureuses, sont partout placées à propos, et il n'en est qu'un bien petit nombre que l'on pourrait

reprendre comme trop basses ou trop rebattues; elles ne nous présentént, en général, que des images empruntées à des objets agréables ou sublimes; le seul reproche à leur faire, c'est qu'elles font trop souvent allusion à des matières scientifiques et aux fables de l'antiquité. Il faut avouer que le poète ne s'est pas soutenu dans la dernière partie de son ouvrage; il semble qu'après la chute de nos premiers parens, son génie tombé pour ne plus se relever. Si l'on trouve encore quelques beautés, elles sont d'un genre qui appartient à la tragédie. Le repentir et les remords du couple déchu, ses regrets de quitter le paradis terrestre, ses plaintes et ses gémissemens lorsqu'il en sort, sont extrêmement touchans. Le dernier épisode de l'ange qui découvre au premier homme le sort de sa postérité est une idée singulièrement heureuse; malheureusement l'intérêt ne s'y soutient pas toujours.

Le style et la poésie de Milton sont dignes des plus grands éloges. L'un, plein de grandeur et de majesté, est toujours parfaitement assorti au sujet; l'autre, harmonieuse et variée, nous montre quelle élévation la mesure et le nombre peuvent donner à notre langue. Ses vers blancs n'ont pas cette mélodie douce, régulière et uniforme des vers français qui fatigue bien vite l'oreille; mais, faciles et rapides, quelquefois âpres et durs, variés dans leur cadence, souvent même dédaignant l'harmonie, ils prennent tour à tour la grâce et la force qui conviennent dans une composition épique. Quelquefois, il est vrai, l'on en rencontre de négligés et de prosaïques, mais ils sont bien excusables dans

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un ouvrage si long et presque toujours si harmonieux.

Considéré dans son ensemble, le Paradis perdu est un poëme qui renferme un grand nombre de beautés de tous genres, et qui, malgré ses inégalités, place Milton au premier rang parmi les poètes. Le génie, dans sa hardiesse et son élévation, ne peut pas être toujours régulier et correct. Milton s'égare trop souvent dans la théologie et la métaphysique; souvent son style est trop dur, souvent il pousse jusqu'à l'abus l'emploi des expressions techniques, et fait trop parade de son érudition; mais la plupart de ses défauts doivent être attribués au siècle où il vivait. Il montre une vigueur de génie, une étendue de conception capables d'atteindre à tout ce qu'il y a de plus grand; quelquefois il s'élève au-dessus de tous les poètes, quelquefois aussi il tombe même au-dessous des plus médiocres.

LECTURE XLV.

POÉSIE DRAMATIQUE. TRAGEDIE.

CHEZ tous les peuples civilisés, on a regardé la poésie dramatique comme un amusement raisonnable, utile; et, sous ce rapport, elle est digne d'être ici l'objet d'une discussion régulière et attentive. La poésie dramatique comprend la comédie, qui représente des incidens de la vie gais et légers, et la tragédie, qui rappelle des événemens graves et touchans. Mais comme un événement sérieux et d'une grande importance commande plus l'attention que celui qui n'est que plaisant ou original; comme la catastrophe d'un héros présente plus d'intérêt que le mariage d'un simple particulier, la tragédie a toujours été considérée comme un amusement plus noble que la comédie. La première a pour sujets les grandes passions, les vertus, les crimes et les malheurs auxquels sont exposés les rois et les personnages qui jouent un grand rôle sur la scène de la vie; l'autre est le tableau des faiblesses, des travers et des folies des hommes. La première agit essentiellement par la terreur et la pitié; le seul instrument de la seconde, c'est le ridicule. Aussi, nous nous arrêterons plus long-temps sur la tragédie; nous y consacrerons cette Lecture et celle qui suit, puis nous traiterons particulièrement de la comédie.

TOME III.

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