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ÉLÉMENTS

DE LITTÉRATURE.

A.

ABONDANCE. Il y a dans le style une abondance qui en fait la richesse et la beauté; c'est une affluence de mots et de tours heureux pour exprimer les nuances des idées, des sentiments et des images.

Il y a aussi une abondance vaine, qui ne fait que déguiser la stérilité de l'esprit et la disette des pensées par l'ostentation des paroles.

Soit qu'on veuille toucher ou plaire, ou même instruire simplement, l'abondance du style suppose l'abondance des sentiments et des idées que produit un sujet fécond, digne d'être développé. C'est alors que la pensée et l'expression coulent ensemble à pleine source, rerum enim copia verborum copiam gignit. (CIC.)

Dans les sujets qui demandent l'ampleur et la magnificence de l'expression, le même orateur regarde la brièveté comme un vice; mais il ap

pelle de vains sons, des paroles vides de sens. Sonitus inanis, nullá subjecta sententiá.

La peine qu'on se donne pour enrichir des sujets stériles, pour agrandir de petits objets, est au moins inutile, souvent importune.

Chapelain, qu'on a voulu donner pour un homme de goût en fait de poésie, et qui n'avait pas même l'idée de la grâce et de la beauté poétique, emploie, à décrire les charmes et la parure d'Agnès Sorel, quarante vers dans le goût de

ceux-ci :

On voit, hors des deux bouts de ses deux courtes manches, Sortir, à découvert, deux mains longues et blanches, Dont les doigts inégaux, mais tout ronds et menus, Imitent l'embonpoint des bras longs et charnus.

L'art de peindre, en poésie, est l'art de toucher avec esprit; et l'abondance consiste alors à faire beaucoup avec peu, c'est-à-dire à donner à l'imagination, par quelques traits jetés légèrement, de quoi s'exercer elle-même.

Voyez, dans trois vers de Virgile, comme Vénus est peinte en chasseresse, l'arc sur l'épaule, les cheveux épars, la jambe nue jusqu'au genou, et un simple noeud relevant les plis de sa robe flottante:

Namque humeris de more habilem suspenderat arcum
Venatrix, dederatque comam diffundere ventis,
Nuda genu, nodoque sinus collecta fluentes.

Cependant, lorsque la poésie est du

genre de

ces petits tableaux qui veulent être vus de près, et que le mérite essentiel en est dans les détails, comme dans les métamorphoses d'Ovide et dans les sonnets de Pétrarque, l'abondance du style peut s'y répandre. Il en est de même dans l'épopée, quand le sujet et l'action principale n'attachent pas assez pour exclure l'amusement d'une description détaillée : ainsi, dans son poëme héroïcomique, l'Arioste s'est permis une peinture de la beauté d'Alcine, que le Tasse et Virgile n'ont pas osé ou n'ont pas daigné faire de la beauté d'Armide et de Didon.

Une sage abondance a lieu, non-seulement dans la poésie descriptive, mais dans l'expression des sentiments où l'ame se répand, dans les réflexions où elle se repose. Virgile et Racine son rival en offrent mille exemples.

C'est une précieuse abondance que celle qui, réunie avec la précision, dont on la croirait ennemie, rassemble dans le plus petit espace tous les traits d'un riche tableau, comme dans ces vers d'Horace, qu'on ne traduira jamais :

Quà pinus ingens albaque populus
Umbram hospitalem consociare amant
Ramis, et obliquo laborat

Lympha fugax trepidare rivo (1).

(1) « C'est là que le haut pin et le blanc peuplier, mariant leurs rameaux, aiment à réunir leur ombre hospitalière ; c'est là qu'une onde fugitive roule avec peine ses flots tremblants dans les replis de son lit tortueux. »

Un nouveau charme de l'abondance, c'est l'air de négligence et de facilité dans celui qui prodigue les richesses du style avec celles de la pensée. Cette rare félicité, si j'ose m'exprimer ainsi, règne dans le style de La Fontaine et dans celui d'Ovide; mais l'abondance de La Fontaine est celle de la nature dans sa beauté simple, naïve et variée à l'infini; elle est d'autant plus merveilleuse, qu'elle naît de sujets que l'on croirait stériles, et qu'elle en naît sans l'effort du travail : celle d'Ovide, sans être plus pénible, tient de l'art et va jusqu'au luxe. Des différentes faces sous lesquelles Ovide présente une pensée, ou des nuances variées qu'il démêle dans un sentiment, chacune plairait, si elle était seule; mais la foule en est fatigante; et à côté de la richesse on aperçoit enfin l'épuisement.

La poésie allemande surabonde en détails dans les peintures physiques; la poésie italienne, dans l'analyse des sentiments, donne souvent dans le

même excès.

La passion donne lieu à l'abondance du style dans les moments où l'ame se détend et se soulage par des plaintes :

Les faibles déplaisirs s'amusent à parler.

Mais lorsque le cœur est saisi de douleur, enflé d'orgueil ou de colère, la précision et l'énergie en sont l'expression naturelle. Il arrive cependant quelquefois que l'abondance contri

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