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délicatesse qu'on témoignait hier n'a plus lieu aujourd'hui, c'est que la vanité du spectateur n'y est plus intéressée; on ne veut que le divertir sans rien prétendre à ses éloges; son amour-propre est à son aise même en applaudissant, il pourra mépriser.

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Il s'agit maintenant de voir lequel de ces deux goûts nous voulons préférer car les concilier ensemble, et laisser germer le mauvais sans qu'à la fin le bon soit étouffé, c'est ce que je crois impossible. Il n'est que trop aisé de voir, dès-àprésent, ce qui résulte de leur mélange. Il fut un temps où le petit nombre influait sur la multitude; alors le progrès de l'exemple était en faveur du bon goût; aujourd'hui c'est la multitude qui domine le petit nombre; et la contagion du mauvais goût se répand dans tous les états. Que la révolution s'achève, c'en est fait des arts et des lettres; tous les soins que l'on aura pris de les faire fleurir et prospérer seront perdus; c'est ce que leur patrie ne peut voir sans quelque regret.

Pour tout le reste, la France a des émules : c'est dans les arts d'agrément et de goût, c'est sur-tout dans les belles-lettres qu'aucune nation ne lui dispute cette supériorité, cette célébrité brillante, qui, d'un côté, répand sa langue, ses usages, ses productions industrieuses aux extrémités de l'Europe; et qui, de l'autre, attire dans son sein ces étrangers dont l'affluence ajoute à

sa richesse, et contribue à sa splendeur. Il serait donc intéressant pour elle d'examiner comment ce goût national, ce goût du beau, du vrai, de l'exquis en tous genres, se pourrait ranimer encore, et s'il serait possible de le perpétuer.

Ce goût existe en sentiment dans la plus saine partie du public, et il existe en spéculation dans la partie la plus nombreuse. Peut-être même est il encore au fond des ames, comme ces germes de vertu que le vice enveloppe et qu'il ne peut détruire.

Mais l'habitude est comme un ruisseau auquel il faut tracer son cours, si l'on ne veut pas qu'il s'égare; et les moyens de diriger nos inclinations et nos goûts se réduisent presqu'à deux points: l'un, de nous présenter l'attrait du bien; l'autre, plus essentiel encore, de ne jamais nous exposer à la tentation du mal. C'est l'abrégé de l'éducation des peuples comme de celle des enfants; et c'est d'abord par celle des enfants que commence celle des peuples. La source du goût sera donc la même que celle des mœurs publiques, une première institution; et le succès dépend du soin de pourvoir les écoles de professeurs habiles, et de les y attacher par de solides avantages. Un Porée, un Rollin, un Le Beau, sont des hommes dont il est juste d'honorer la vieillesse, et de couronner les travaux.

Une école plus solennelle est celle du théâtre: car il y a pour les esprits une électricité rapide,

dont chacun, au sortir d'une grande assemblée, remporte chez soi l'impression, et dont il est presque impossible que le sens intime, le sens du goût, ne soit pas habituellement et profondément affecté. Si donc un monde poli s'accoutume aux divertissements du peuple, il est à craindre qu'il ne finisse par devenir peuple lui-même. Heureusement ce qui peut le sauver de la contagion, est aussi simple que salutaire; c'est de rendre exclusivement populaires les spectacles faits pour le peuple; de ne les donner que les jours de repos, afin, sur-tout, que la dissipation ne prenne rien sur le travail; de les tenir à un prix très-modique, enfin, de n'y laisser aucune distinction de places, et de réduire les gens du monde, ou à s'en abstenir, ou à s'y voir mêlés et confondus avec la foule, moyen que je crois infaillible pour les en éloigner sans violence et

sans retour.

Quant aux spectacles destinés pour un public au-dessus du peuple, ce public lui-même y fera justice de ce qui blessera le goût et la décence, et l'on peut s'en fier à lui, lorsqu'il ne viendra plus de voir et d'applaudir ailleurs l'indécence et le mauvais goût. Mais en attendant qu'il ait perdu des habitudes qui le dégradent, le plus sûr, à ce qui me semble, serait d'exclure de nos grands théâtres ce qui est indigne d'y paraître; et surtout de ne pas souffrir que, pour favoriser des genres méprisables, on y prodiguât sans mesure

tout ce qui peut les décorer. Car en déguiser la bassesse et la grossièreté par toute espèce d'embellissements, c'est, pour nous faire avaler à longs traits un poison qui nous abrutisse, renouveler l'art de Circé.

Enfin, la sauve-garde et en même temps le fléau du goût, c'est la critique. Impartiale, juste et décente, rien de plus utile sans doute: aussi modeste dans ses censures, que mesurée dans ses éloges, elle éclaire sans offenser. Mais passionnée, insultante, sans discernement, sans pudeur, elle fait plus qu'importuner et que rebuter les talents, elle accrédite la sottise; elle ôte au goût naturel du public sa candeur et sa rectitude; et à la place d'un sentiment naïf et juste qu'il aurait eu, s'il n'eût consulté que lui-même, il reçoit d'elle une impression fausse, qui lui altère le sens intime et lui déprave le jugement.

Mais comme le remède à ce mal est encore infaillible, lorsqu'on daignera l'employer, rien n'est désespéré pour le salut du goût et la prospérité des lettres; et si depuis près de deux siècles, la poésie et l'éloquence semblent avoir tari les sources du génie, au moins ce règne peut-il être celui d'une raison solide et lumineuse, parée des fleurs de l'imagination, et revêtue avec décence de toutes les grâces du style.

Peut-être même y aura-t-il encore dans cette mine que l'on croit épuisée, quelques veines d'or échappées aux recherches et aux travaux

de ceux qui nous ont devancés; et le jeune homme que la nature aura doué d'un esprit pénétrant, d'une ame active, élevée et sensible, se souviendra de ces vers de Voltaire :

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