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avons vus couronnés ! Quels monuments de goût, que les Éloges de Bossuet, de Massillon, de Destouches, par d'Alembert! Quel monument de goût que cet ouvrage que Thomas a eu la modestie d'intituler: Essai sur les éloges, et auquel nul ouvrage de critique, soit ancien, soit moderne, à la réserve du livre de Cicéron sur les illustres orateurs, n'est digne d'être comparé! Enfin, quel monument de goût que les notes de Voltaire sur le théâtre de Corneille!

Mais, ce qui est plus rare encore que ce goût de critique et de spéculation, quels modèles de goût dans les écrits de ce grand homme! Depuis le ton le plus familier, jusqu'au ton le plus héroïque, qui jamais a eu comme lui ce sentiment délicat et fin des propriétés du style, et de ses différences; et qui jamais avec plus de justesse nous en a marqué les degrés? Quelle élégance et quelle aisance noble dans ses poésies fugitives! Quelle belle simplicité dans le style attrayant dont il écrit l'histoire! Quelle grâce et quel enjouement il prête à la philosophie! Quelle majesté, quel éclat, quelle diversité de tons et de couleurs il donne au langage tragique! moins fini que cine, moins châtié, moins pur, moins attentif, ou, si l'on veut, moins adroit à lier ensemble tous les ressorts de l'action; mais plus véhément, plus fécond, plus varié, plus profondément pathétique, et plus fidèle aux mœurs locales, auxquelles Racine, quelquefois, avait trop melé de

nos mœurs.

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Je ne dis pas que dans le poëme épique, du côté de l'invention, il ait égalé ses rivaux. Le dessin de la Henriade avait été conçu dans un âge où la pensée n'a pas encore acquis tout son accroissement, ni le génie toutes ses forces : l'ouvrage s'en est ressenti. Mais du côté du goút, y a-t-il rien de plus achevé? Récits, descriptions, images, comparaisons, portraits, détails de toute espèce, emploi du merveilleux et de l'allégorie, discours et scènes dramatiques, tout dans ce poëme est aujourd'hui d'une correction presque irrépréhensible. S'il n'a pas l'intérêt du Tasse, le charme de Virgile, la magnificence d'Homère, au moins n'a-t-il aucun de leurs défauts.

Mais le goût de Voltaire a-t-il été le goût du siècle où Voltaire a fleuri? D'abord, il a été le goût de presque tous les écrivains célèbres; et si on m'oppose cette foule de critiques ineptes, de satires obscures, de productions éphémères, dont le public a été inondé, je répondrai qu'une douzaine de bons auteurs ont décidé le caractère et la réputation du siècle de Louis XIV; qu'il n'en reste pas même autant du beau siècle d'Auguste, ni de celui de Périclès, qu'il en reste encore moins du temps des Médicis; et qu'il est juste de ne compter de même du siècle où nous vivons, que ce qui est digne de mémoire.

Si, de loin, nous jetons les yeux sur une prairie émaillée, nous n'en voyons que la surface; elle nous paraît toute en fleurs si nous

la traversons, nous y trouvons à chaque pas des chardons hérissés et des ronces rampantes; les fleurs, plus clair-semées, ne nous enchantent plus. C'est là notre façon de voir les siècles passés et le nôtre. Mais supposons-nous à la même distance où seront nos neveux, de ce champ que nous parcourons. Et de ce temps si décrié par des gens qui se vantent de n'être d'aucun siècle, et qui en effet ne seront d'aucun, ne voyons plus que ce qui domine, et ce qui seul en restera: au Barreau, les Cochins, les le Normands, les de Gènes, et les élèves qu'ils ont formés: en Chaire, non pas des émules de Bossuet et de Massillon, mais des hommes qui, par le goût, et quelques-uns par l'éloquence, sont dignes d'être appellés leurs disciples: sur la scène tragique, un Voltaire (j'ajouterais un Crébillon, si je parlais seulement de génie) et sur les traces de Voltaire, d'heureux talents qu'il a cultivés de ses mains sur le théâtre de Molière, le Philosophe marié, le Glorieux, la Métromanie, les Dehors trompeurs, le Méchant, et un grand nombre de petites pièces comiques d'une touche fine et légère, riants tableaux, qui attesteront des mœurs frivoles, mais un goût épuré : dans le genre lyrique, un Rousseau, aussi harmonieux que Malherbe, et supérieur à lui pour l'éclat des images, la richesse, la majesté, et la pompe de l'expression dans le didactique, des poëmes d'un style pur, mélodieux, sensible, d'un coloris brillant

Élém. de Littér. I.

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et vrai, tels que Racine les eût écrits, tels que Boileau eût voulu les écrire, s'il eût célébré la campagne et les saisons, s'il eût enseigné l'art d'embellir les jardins, s'il eût traduit les Géorgiques des poésies familières, du tour le plus ingénieux, du naturel le plus aimable, moins négligées que celles de Chaulieu, et d'un sel plus fin, plus piquant que les poésies de Deshoulières et que celles de Pavillon : des romans d'un goût aussi pur que ceux de la Fayette, et d'un style plus animé, les uns brillants d'un coloris qui était inconnu à la prose, les autres brûlants de passion, et d'un intérêt déchirant: des morceaux d'histoire aussi dignes d'être comparés à Salluste, que le chef-d'œuvre de SaintRéal des traductions, dont quelques-unes ont effacé les originaux enfin dans presque tous les genres, des ouvrages du meilleur ton et du meilleur esprit voilà, du côté des gens de lettres, ce qui dit assez. marquera notre siècle; et je n'en ai Voltaire a loué Bossuet d'avoir appliqué l'éloquence à l'histoire: ne peut-on pas le louer luimême, et un grand nombre d'écrivains après lui, d'avoir associé l'éloquence avec la philosophie, et celle-ci avec l'art des vers? Dans quel autre siècle a-t-on vu les idées morales et politiques si abondamment répandues, si éloquemment exprimées? La prose avait-elle autrefois cette précision, cette rapidité, ce mouvement, cette couleur, cette ame enfin, qu'elle a reçue

pas

de nos modernes écrivains? Le siècle de Louis XIV a-t-il un ouvrage philosophique à mettre à côté de l'Emile? Et si le goût par excellence consiste à réunir l'utile et l'agréable, dans quel temps l'un a-t-il donné à l'autre plus d'attrait et plus d'influence? Les sciences même les plus abstraites ne doivent-elles pas au goût cette facilité d'accès qui nous les rend familières, ce charme qui de leur étude nous a fait un amusement? Le siècle de Louis XIV a-t-il entendu parler des lois avec une précision aussi énergique et aussi lumineuse que l'a fait Montesquieu? de l'homme et de ses facultés intellectuelles, avec un intérêt plus doux, plus attrayant que Vauvenargue? avec une sagacité plus pénétrante qu'Helvétius? avec une clarté plus limpide que Condillac? A-t-il entendu parler de la nature avec la verve, l'élégance et la majesté de Buffon? des progrès de l'esprit humain dans les sciences, avec la supériorité de lumières, et la noble simplicité d'élocution de d'Alembert? des talents, des travaux, des vertus des grands hommes, avec la splendeur, l'abondance, la force et l'élévation de l'éloquence de Thomas? des qualités, des fonctions, des devoirs de l'homme public, avec la chaleur, la noblesse, l'ingénuité d'ame et de langage de celui qui a loué Colbert, et qui nous a rappelé Sully? Et quel est de ces écrivains, celui qui, pour la pureté du goût, n'est pas digne d'être classique?

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