même; car l'image d'un jeu d'enfant ne répond pas assez à l'action d'une furie. Si la comparaison peint vivement son objet, c'est assez; il n'est pas besoin qu'elle le relève : ainsi, pourvu que les fourmis et les abeilles nous donnent une juste idée de la diligence des Troyens et de l'industrie des Tyriens, on n'a plus rien à demander: ainsi, pourvu que la présence d'un homme sage, au milieu d'un peuple séditieux et mutiné, produise l'effet que Virgile attribue à la voix de Neptune, lorsqu'il impose silence aux vents; l'objet familier rend lui-même l'objet merveilleux plus sensible, et enrichit le style et la pensée d'un tableau que l'esprit aime à se re tracer. At veluti magno in populo quum sæpè coorta est Jamque faces et saxa volant: furor arma ministrat. (AEneid. 1. 1.) Un vice de la comparaison, c'est l'ambiguité du rapport; car si l'image peut également s'appliquer à deux idées différentes, elle n'a plus cette justesse qui en fait le mérite et le charme. Un moyen de s'assurer qu'il n'y ait point d'équivoque, c'est de cacher le premier terme, et de demander à ses juges à quoi ressemble le second. Par exemple, qu'on donne à lire à un homme intelligent ces beaux vers de l'Enéide: Qualis, ubi abruptis fugit præsepia vinclis, Ou ces beaux vers de la Henriade: Tel échappé du sein d'un riant pâturage, Au bruit de la trompette animant son courage, Ou ceux-ci du même poëte: Tels au fond des forêts précipitant leurs pas, carnage, Le cor excite au loin leur instinct belliqueux. On n'aura pas besoin de dire que ce coursier est un jeune héros, et que ces chiens sont des combattants réunis contre un ennemi terrible. Il peut arriver cependant que le rapport soit si éloigné, que, tout juste qu'il est, on ait besoin d'être conduit pour passer d'une idée à l'autre. Alors plus le rapport sera imprévu, plus la surprise ajoutera au plaisir de l'apercevoir. Rien, par exemple, de plus éloigné que le rapport d'une galère à demi-fracassée, avec un serpent sur le Élém, de Littér. I. 33 quel la roue d'un char a passé; et quoi de plus juste et de plus frappant que la ressemblance de l'un à l'autre dans ces vers de Virgile? Qualis sæpè viæ deprensus in aggere serpens, La comparaison s'emploie quelquefois à rassembler en un tableau circonscrit et frappant une collection d'idées abstraites, que l'esprit, sans cet artifice, aurait de la peine à saisir. Ainsi Bayle compare le peuple aux flots de la mer, et les passions des grands au vent qui les soulève : ainsi Fléchier, dans l'éloge de Turenne, dit, en s'adressant à Dieu : « Comme il s'élève du fond des vallées des vapeurs grossières, dont se forme la foudre qui tombe sur les montagnes, il sort du cœur des peuples des iniquités dont vous décharle châtiment sur la tête de ceux qui les gougez vernent et qui les défendent. » De même Lucain, pour exprimer l'inclination des peuples à suivre Pompée, quoique sur le point de céder à l'ascendant de César, se sert de l'image des flots qui obéissent encore au premier vent qui les a poussés, quoiqu'un vent opposé se lève et s'empare.des airs: Ut quum mare possidet Auster Flatibus horrisonis, hunc æquora tota sequuntur. Si rursus tellus, pulsu laxata tridentis AEolii, tumidis immittat fluctibus Eurum; Quamvis icta novo, ventum tenuere priorem Dans la comparaison c'est le plus souvent, comme je l'ai dit, une idée, un sentiment, une vérité abstraite, qu'on veut rendre sensible par une image; mais il arrive aussi quelquefois que la comparaison est inverse, je veux dire qu'elle emploie le terme abstrait pour mieux peindre l'objet sensible. Ainsi, dans une ode au printemps, le poëte lui dit : « Ton sourire fait fleurir la rose, qui, belle comme les joues de l'innocence, répand une odeur embaumée. » On voit là une image commune rendue nouvelle, délicate et piquante, par le renversement du rapport usité. Dans la Henriade, Voltaire a dit de l'ame de Henri : Semblable à l'Océan qui s'appaise et qui gronde. Cette comparaison est l'inverse de celle-ci dans le Télémaque : « Les vents commencèrent à s'appaiser, et la mer mugissante ressemblait à une personne qui ayant été long-temps irritée, n'a plus qu'un reste de trouble et d'émotion. Elle grondait sourdement, etc. » Il est de l'essence de la comparaison de cir conscrire son objet tout ce qui en excède l'image est superflu, et par conséquent nuisible au dessein du poëte. La comparaison doit finir où finissent les rapports. Homère, emporté par le talent et le plaisir de peindre, oubliait souvent que le tableau qu'il peignait avec feu n'était destiné qu'à exprimer une ressemblance; et dans la chaleur de la composition, il l'achevait comme absolu, et intéressant par lui-même. C'est un beau défaut, si l'on veut; mais c'en est un grand que d'introduire dans un récit des circonstances et des détails qui n'ont aucun trait à la chose. Le bon sens est la première qualité du génie; et l'à-propos, la première loi du bon sens : aussi, quoiqu'on ait excusé la surabondance des comparaisons d'Homère, aucun des poëtes célèbres ne l'a-t-il imitée, non pas même dans l'ode, qui, de sa nature, est plus vagabonde que le poëme épique. Lorsque Boileau défendait si hautement, contre Perrault, les comparaisons prolongées, si quelqu'un lui avait dit : Faites-en donc vousmême, et imitez ce que vous admirez; eût-il accepté le défi ? Toute comparaison un peu développée est elle-même une excursion du génie du poëte, et cette excursion n'est pas également naturelle dans tous les genres. Plus l'ame est occupée de son objet direct, moins elle regarde autour d'elle plus le mouvement qui l'emporte est rapide, plus il est impatient des obstacles et des |