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esprits, ainsi que dans les belles ames,

quis plus de maturité; enfin une connaissance du cœur humain, une analyse des passions plus méditée et plus profonde; et nous ne serons plus surpris de trouver dans les ouvrages des Latins des beautés, des nuances, des développements, des traits d'un naturel exquis, que les Grecs ne connaissaient pas. On peut, je crois, dire avec assurance, que ni les plaidoyers pour Ligarius et pour Milon, ni la harangue pour Marcellus, n'avaient de modèle dans la Grèce; et l'on peut assurer de même que la Grèce ne fut jamais en état de produire un poëte galant comme Ovide, solide et brillant comme Horace, et accompli comme Virgile.

Le siècle même de Périclès ne concevait rien au-dessus d'Homère; et, du côté de l'invention et des belles formes poétiques, il n'a point encore son égal. Toutes les hautes conceptions qui appartiennent au génie, la grandeur de l'action, celle des caractères, leur variété, leur contraste, leur vérité frappante, l'abondance et l'éclat des images, la rapidité des peintures, le mouvement, la chaleur et la vie répandue dans les récits, ont fait d'Homère le premier des poëtes, et Virgile lui-même ne l'a point détrôné. Mais du côté du gout, combien n'a-t-il pas sur lui d'avantages! quelle dignité dans les mœurs de ses dieux, quelle noblesse dans leur langage, quel sentiment délicat et juste des convenances, des bien

séances, dans les harangues de ses héros! quel choix dans tous les traits qui expriment la douleur de la mère d'Euryale et les regrets d'Évandre sur la mort de leurs fils! quelle supériorité d'intention et d'intelligence dans tous les moyens qu'il a pris d'annoncer les destins de Rome et de flatter Auguste et les Romains! quel art dans le bouclier d'Énée que d'y faire tracer, de la main d'un dieu, l'histoire future de sa patrie, et de manière à pouvoir dire, lorsque Énée a reçu de la main de sa mère ce divin bouclier et qu'il le charge sur ses épaules,

Attollens humero famamque et fata nepotum!

Quel art plus merveilleux encore et quel sublime accord du génie et du goût dans la description des enfers! Tu Marcellus eris, his dantem jura Catonem, ne sont pas du siècle d'Homère.

Homère a pu trouver dans la nature la scène des adieux d'Hector et d'Andromaque, et celle de Priam aux pieds d'Achille; il aurait pu imaginer de même celle d'Euryale et de Nisus; mais il fallut toute l'éloquence du théâtre et de la tribune pour préparer Virgile à peindre le caractère de Didon. Euripide lui-même n'avait pas fait encore des études assez savantes de la passion de l'amour pour l'exprimer comme Virgile : la preuve en est le rôle de Phèdre, dans lequel Racine a laissé Euripide si loin de lui. Virgile devait être égalé, peut-être surpassé dans l'art de faire par

ler une amante; mais ce ne pouvait être que dans un siècle où le sentiment de l'amour serait encore plus développé, plus exalté que dans le sien; et entre Virgile et Racine, il devait s'écouler de longs siècles de barbarie.

A la renaissance des lettres, l'Italie moderne eut le même bonheur qu'avait eu l'Italie ancienne, d'être voisine de la Grèce, et d'en tirer immédiatement ses lumières et ses exemples.

L'Orient, sous les empereurs jusqu'à l'invasion des Turcs, n'avait jamais été barbare; les muses y étaient endormies, mais n'en étaient pas exilées (1). Les lettres n'y fleurissaient pas, mais elles y étaient cultivées. Ce fut de là que l'Italie en tira comme les semences. Un siècle avant la chûte de l'empire, on voit déja les Grecs venir les répandre à Venise, à Florence, à Pavie, à Rome. Pétrarque et Boccace furent les disciples d'un savant de Thessalonique; mais à la prise de Constantinople par Mahomet II, ce fut une émigration de gens de lettres, échappés des ruines de leur patrie et refugiés en Toscane, où l'immortel Laurent de Médicis les reçut comme dans

son sein.

Il ne faut donc pas s'étonner de l'avantage que l'Italie eut, au quinzième et au seizième siècles, sur tout le reste de l'Europe; de plus, elle avait

(1) Photius est du neuvième siècle, et Suidas est du dixième.

eu celui d'être le centre de l'église, dont le latin était la langue, corrompue à la vérité, mais assez analogue encore à celle du siècle d'Auguste pour en faciliter l'étude et en accélérer l'usage. L'italien lui-même en était dérivé, et son affinité avec elle la rendait comme populaire. Enfin, pour l'Italie, la lumière des lettres n'eut jamais d'éclipse totale.

Le commerce avec l'Orient, les relations des deux églises, leur rivalité, leurs querelles, le mouvement que donnaient aux esprits les hérésies et les conciles, la lecture habituelle des livres saints, l'étude des pères de l'église, dont le plus grand nombre étaient nourris d'une saine littérature, et dont quelques-uns ne manquaient ni d'éloquence, ni de goût; d'un autre côté, le souvenir, l'exemple de l'ancienne Rome, les monuments de ses beaux-arts, et je ne sais quelle ombre de son génie qui errait toujours sur ses débris, n'avaient cessé d'entretenir une communication d'idées entre l'Italie et la Grèce, entre la Rome d'Auguste et la Rome de Léon X. Ainsi tout s'accorda pour hâter les progrès des lettres, renaissantes en Italie.

A Rome, on couronnait Pétrarque; Dante et Boccace fleurissaient; et nous en étions à Joinville. Jodelle, Ronsard et Garnier, faisaient l'admiration et les délices de la France; et ses seuls écrivains en prose, au moins dans la langue vulgaire, étaient Commine et Rabelais, tandis que

l'Italie avait déja produit Léonard l'Arétin, l'historien de Florence, Ange Politien, Machiavel, Paul Jove, Guichardin, Jovian Pontanus; et en poëtes, Fracastor, Sannazar, Vida, l'Arioste, Lasca, le Rusante, Dolcé; enfin le Tasse avait précédé Brébeuf et Chapelain de soixante à quatrevingts ans; et le siècle des Médicis, qui fut pour l'Italie le règne le plus, florissant des lettres et des arts, était pour nous à peine le faible crépuscule d'un siècle de lumière.

Ce n'est pas qu'il n'y eût en France des hommes très-instruits et très-judicieux : dans aucun temps on n'en a vu à côté desquels on ne pût nommer l'Hôpital, Turnébe, Muret, Amiot, Montaigne, Bodin, Charon, la Boétie, d'Ossat, de Thou, Duvair, Jeannin, les deux Étiennes; mais le savoir était isolé, la raison presque solitaire : ni l'esprit de la nation n'était encore assez débrouillé, ni ses mœurs assez dégrossies, ni sa langue assez défrichée, pour que les lettres, transplantées dans un climat si nouveau pour elles, y pussent de long-temps prospérer et fleurir.

La France avait de bons esprits, d'habiles politiques, de grands jurisconsultes, et même quelques philosophes; mais le public y était encore superstitieux et fanatique.

L'astrologie, la magie, les possédés, les revenants, les sortiléges, les maléfices, les combats judiciaires, les lois qui les autorisaient, la théologie des écoles, la morale des casuistes, le ba

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