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mettre aux juges le crime irrémissible de sa condamnation. Voyez PATHÉTIQUE. Mais Démosthène, pour entraîner la volonté d'un peuple libre, pouvait employer le reproche, la menace, la plainte, intéresser l'orgueil, jeter la honte et l'épouvante dans l'ame des Athéniens de même Cicéron, soit qu'il parlât au peuple, ou au sénat, ou à César lui-même, pouvait exciter à son gré la colère et l'indignation, la compassion et la clémence. Ainsi la tyrannie et la liberté ouvrent également un champ libre à l'éloquence pathétique. De même enfin nos orateurs chrétiens, ayant à persuader aux hommes, non-seulement la vérité, mais aussi la bonté, peuvent, pour attendrir, pour élever les ames, employer les grands mouvements d'une éloquence véhémente et sublime.

<< Il arrive souvent, dit Plutarque, que les passions secondent la raison et servent à roidir les vertus, comme l'ire modérée sert la vaillance, la haine des méchants sert la justice, l'indignation à l'encontre de ceux qui sont indignement heureux car leur cœur élevé de folle arrogance et insolence, à cause de leur prospérité, a besoin d'être réprimé; et il n'y a personne qui voulût, encore qu'il le pût faire, séparer l'indulgence de la vraie amitié; ou l'humanité, de la miséricorde; ni le participer aux joies et aux douceurs, de la vraie bienveillance et dilection. » Ainsi, selon Plutarque, l'éloquence, qu'il fait consister à pro

voquer la passion où elle est, à la mêler où elle n'est pas, à mettre la sensibilité en jeu à la place de l'entendement, et la volonté à la place de la raison et du jugement, peut trouver dans l'école d'un philosophe, ou dans les assemblées d'un peuple libre, à s'exercer utilement.

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Mais au barreau il n'en est pas ainsi. Le juge ne porte point à l'audience une ame libre il n'y est que l'organe des lois; et les lois ne connaissent ni l'amour, ni la haine, ni la crainte, ni la pitié. Si le juge a reçu de la nature un cœur sensible, un naturel passionné, c'est un ennemi de l'équité, qui le suit à l'audience, et qu'il serait à souhaiter qu'il pût laisser à la porte du sanctuaire des lois.

Dans l'aréopage, nous dit Aristote, on défendait aux orateurs de rien dire de pathétique et qui pût émouvoir les juges: un orateur qui eût parlé à l'ame, intéressé les passions, en eût été chassé comme un vil corrupteur. Cependant l'exemple de Phryné fait bien voir qu'on n'était pas toujours aussi sévère; et Socrate, dans son apologie, n'eût pas eu besoin de dire à ses juges qu'il n'emploierait aucun moyen de les toucher, si ces moyens lui avaient été rigoureusement

interdits.

Lorsqu'on voit paraître au barreau cette enchanteresse publique, cette éloquence piperesse, comme l'appelle Montaigne, on croit revoir Phryné dévoilée par Hypéride aux yeux de ses juges.

Que leur demandez-vous? d'être justes? de prononcer comme la loi? Vous n'avez pas besoin d'intéresser leurs passions: le cœur que vous voulez toucher doit être immobile et muet. Il en est donc de l'éloquence pathétique comme des sollicitations et si l'orateur ne veut pas se dégrader lui-même, et offenser les juges, en employant, pour les gagner, les manéges honteux d'une éloquence corruptrice, il ne plaidera devant ceux qui doivent être la loi vivante, que comme il plaiderait devant la loi, si, telle que l'imagination se la peint, incorruptible et inaltérable, elle résidait dans son temple. Or on voit bien qu'il serait absurde d'employer devant elle les mouvements passionnés.

Le principe de l'éloquence du barreau est donc que le juge a besoin d'être éclairé, non d'être ému.

Cette règle a pourtant quelques exceptions. La première, lorsqu'il s'agit d'apprécier la moralité des actions, d'en estimer le tort, l'injure, le dommage, de déterminer leur degré d'iniquité ou de malice, et de décider à quel point elles sont dignes devant la loi de sévérité ou d'indulgence, de châtiment ou de pardon. Dans ces causes, la loi, qui n'a pu tout prévoir, laisse l'homme juge de l'homme; et les faits étant du ressort du sentiment, le cœur doit les juger. Alors il est permis, sans doute, à l'orateur de parler au cœur son langage; de solliciter la pitié

en faveur de ce qui en est digne, l'indulgence en faveur de la fragilité; de faire servir la faiblesse d'excuse à la faiblesse même, et l'attrait naturel d'une passion douce, d'excuse à ses égarements, et au contraire, de présenter les faits odieux dans toute la noirceur qui les caractérise; de développer les replis de l'artifice et du mensonge; de peindre sans ménagement la fraude ou l'usurpation, l'ame d'un fourbe démasqué, ou d'un scélérat confondu.

. Mais alors même, en tirant de sa cause les preuves, les moyens pressants, qui la rendent victorieuse, on doit éviter le ridicule d'en exagérer l'importance, et d'y employer des mouvements outrés, ou des secours empruntés de trop loin.

Lisez dans le plaidoyer de le Maître, pour une fille désavouée, le parallèle d'Andromaque avec Marie Cognot. Dans le plaidoyer de ce même avocat pour une servante séduite par un clerc, parce que le clerc a voulu se piquer avec son canif, pour signer de son sang une promesse de mariage, vous attendez-vous à le voir comparé à Catilina, qui fit boire du sang humain à ses complices?

Mais que le Maître se réduise aux moyens propres à sa cause, vous allez voir comme il est éloquent.

Une femme qui, dans sa servante, cachait sa fille, la désavoue; mais il lui est échappé de dire

qu'elle voudrait que ce fút sa fille, et qu'elle se propose de lui faire du bien.

Qu'ici l'on se demande quelle induction l'avocat de la fille a pu tirer de ces paroles; et après y avoir bien pensé, on sera étonné encore de l'éloquence de le Maître dans cet endroit de son plaidoyer. « Quoi, dit-il à la mère, serait-il bien possible que vous désirassiez d'avoir pour fille celle qui vous aurait accusée de désavouer votre fille? désireriez-vous d'avoir donné la vie à celle qui aurait voulu vous ôter l'honneur; et d'être mère d'une personne qui aurait voulu vous rendre odieuse à toutes les mères? désireriez-vous que Dieu eût beni votre mariage, de la naissance d'une créature à qui vous auriez sujet de désirer toutes les malédictions du monde? désireriezvous d'avoir enfanté un monstre d'imposture, et qui aurait voulu vous faire passer pour un monstre d'inhumanité? Mais vous n'avez pas dit seulement que vous désireriez qu'elle fût votre fille, vous avez encore ajouté, dans votre interrogatoire, que vous lui aviez toujours promis de la récompenser en mourant... De récompenser! qui? une personne, laquelle, à votre compte, vous a des obligations infinies, envers qui vous avez été plutôt magnifique que libérale... Mais quoi! vous lui réservez encore, dites-vous, votre bonne volonté! Et ne l'avez-vous point perdue après ce qui s'est passé, entre vous deux, devant la justice? Sans doute vous aviez oublié, lorsqu'on

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