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« Lève-toi, lui dit-il, regarde cette femme que l'on porte au tombeau. Que veux-tu qu'elle dise de toi à ton père, à tes ancêtres, à ces illustres morts, dont les images l'accompagnent; à ce Brutus, par qui ce peuple fut délivré de la domination des rois? A quoi, de quelle gloire ou de quelle vertu leur dira-t-elle que tu t'occupes? A augmenter ton patrimoine? cela serait peu digne de ta noblesse, à la bonne heure; mais pour la soutenir il ne te reste rien; ta débauche a tout dissipé. Dira-t-elle que tu t'appliques à l'étude du droit civil? ce serait imiter ton père; mais des débris des meubles de sa maison que tu as vendue, tu n'as pas même conservé le siége où il était assis lorsqu'on le consultait. A la science. militaire? tu n'as vu de ta vie un camp. A l'éloquence? mais tu n'en as aucune : tout ce que tu peux faire, et de ta voix et de ta langue, c'est de gagner quelque salaire à ce honteux métier de calomniateur. Et tu oses voir la lumière, envisager ce peuple, te montrer au forum, paraître dans la ville en présence des citoyens! Et tu ne frémis pas de honte en regardant cette femme morte, et les images de tes ancêtres, dont tu es non-seulement hors d'état d'imiter les exemples, mais de loger les simulacres (1)!» L'original de

(1) Tu illam mortuam, tu imagines ipsas non perhorrescis, quibus non modo imitandis, sed ne collocandis quidem tib ullum locum reliquisti?

ce morceau est dans le second livre de l'orateur; et l'un des interlocuteurs du dialogue, Antoine, en le citant, s'écrie: Proh di immortales! quæ fuit illa, quanta vis! quam inexpectata! quam repentina!

Long-temps avant Crassus, Galba avait montré une facilité prodigieuse à parler, sinon d'abondance, au moins avec très-peu de préparation. Voyez, au livre des orateurs célèbres, ce que Cicéron en raconte. Lælius, l'ami de Scipion, doué d'une éloquence douce et polie, mais peu nerveuse, avait plaidé deux fois une cause importante sans en décider le succès. Il eut la modestie de conseiller à ses clients de recourir à Galba: celui-ci se défendit d'abord de parler après Lælius; mais enfin cédant aux instances qu'on lui faisait, il employa, dit Cicéron, une demi-journée à étudier la cause. Le lendemain ses clients le trouvèrent au milieu de ses scribes, dictant à plusieurs à-la-fois, avec la même véhémence que s'il avait plaidé. C'était l'heure de l'audience. Il sortit tout ému; et en arrivant au barreau, il parla avec tant d'éloquence, que, d'un bout à l'autre de son plaidoyer il fut applaudi par acclamation (1). Ce coup de force, vanté par Cicé

(1) Quid multa? magná expectatione, plurimis audientibus, coram ipso Lælio, sic illam causam, tantá vi, tantáque gravitate dixisse Galbam, ut nulla ferè pars orationis silentio præteriretur.

ron, nous fait entendre cependant que de pareils exemples étaient rares chez les Romains.

Chez les Grecs, l'habitude de parler sur-lechamp devait être moins étonnante. Écoutons Démosthène, dans sa harangue pour la couronne, rappelant ce qui s'était passé, lorsqu'on avait appris que Philippe avait fait sa paix avec les Thébains. « Le héraut (dans l'assemblée du peuple et du sénat) demande à haute voix: Qui veut monter dans la tribune? Aucun de vous ne lui répond. Il répète à plusieurs reprises, la même invitation: personne encore ne se lève, quoique tous vos généraux et vos orateurs fussent là présents, et que la voix commune de la patrie les conjurât d'ouvrir un avis salutaire... Or celui qui dans cette conjoncture décisive se présenta, ce fut moi; je montai dans la tribune, etc. >>

Ainsi, toutes les fois qu'un événement imprévu obligeait d'assembler le peuple athénien, celui qui, à ce cri du héraut, qui veut parler? montait dans la tribune, y parlait d'abondance.

Cicéron, qui ne voyait pas sans frayeur le danger de parler ainsi, quoiqu'il en sentit l'avantage, voulait au moins qu'une partie du discours fût écrite avec soin; parce qu'alors, dit-il, ce qu'on ajoute prend le ton et le caractère de ce que l'on a préparé; et il compare le discours à un vaisseau une fois lancé, qui va long-temps encore lorsque les rameurs se reposent. Ut concitato navigio, cum remiges sustinuerunt, retinet

inter

tamen ipsa navis motum et cursum suum, misso impetu, pulsuque remorum: sic, in oratione perpetua, cum scripta deficiunt, parem tamen obtinet oratio reliqua cursum, scriptorum similitudine, et vi concitata. (De orat. l. 1.)

Quel fut, dans Rome et dans Athènes, le grand secret des orateurs, pour être prêts à parler surle-champ, quand l'occasion était pressante ou favorable? Cochin le savait parmi nous. Primùm silva rerum ac sententiarum comparanda est. « Il faut commencer par un grand amas de connaissances et de pensées. » (De orat. l. 1.)

ACCENT. Il y a dans la parole une espèce de chant, dit Cicéron. Mais ce chant était-il noté par la prosodie des langues anciennes? On nous le dit, on nous assure que, dans le grec et le latin, l'accent marquait l'intonation de la voix sur telle et sur telle syllabe; et c'est ce qu'on appelle l'accent prosodique, distinct de l'accent oratoire, ou des inflexions données à la parole par la pensée et par le sentiment. Il est pourtant bien difficile de concevoir cet accent prosodique adhérent aux syllabes, à moins que, dans la prononciation animée par les mouvements de l'éloquence, il ne cédât la place à l'accent oratoire; et voici la difficulté.

Qu'on donne à un musicien des paroles déja notées par l'accent de la langue : il est évident

que, s'il veut laisser aux syllabes leurs intonations prosodiques, il sera dans l'impossibilité de donner du naturel et du caractère à son chant ; et que, s'il veut au contraire plier le son des paroles à l'expression que l'idée ou le sentiment sollicite, il faut qu'il les dégage de l'accent prosodique, et se donne la liberté de les moduler à son gré. Or il en est de la prononciation oratoire comme de la musique.

L'accent prosodique qui nuirait à l'une, s'il était invariable, nuirait donc également à l'autre : des paroles déja notées par la prosodie, supplieraient et menaceraient avec les mêmes inflexions.

Il ne faut pas confondre ici la quantité avec l'accent. La durée relative des syllabes peut être fixe et immuable dans une langue, sans que l'expression en soit gênée, au moins sensiblement. Par exemple, que l'on prolonge la pénultième ou qu'on appuie sur la dernière, la différence n'est que dans les temps, et non pas dans les tons. La quantité peut donc être fixe et prescrite; mais les intonations, les inflexions de la parole doivent être libres, et au choix de celui qui parle ; sans quoi il ne saurait y avoir de vérité dans l'élocution.

Dans la langue française, telle qu'on la parle à Paris, il n'y a point d'accent prosodique. Il est vrai que la finale muette n'est jamais susceptible de l'élévation de la voix, et qu'on est obligé

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