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saisir, ou quelques défauts à reprendre; ce goût de parodie et de dénigrement, qui s'applaudit d'avoir trouvé le faux jour d'une allusion, ou d'une grossière équivoque; l'à-propos d'un méchant bon mot, ou quelque moyen de travestir un caractère noble ou une scène intéressante. Elle a ce sens droit et naïf des convenances de la nature, qui dans Mérope, dans Idamé, dans Inès, dans Zaïre, saisit avidement la vérité des mouvements du coeur humain.

Pourquoi donc, me dira quelqu'un, les gens du monde n'auraient-ils pas au moins ce goút naturel qui est donné même au peuple? Parce que le goût naturel est réservé à des ames neuves, et que les leurs ne le sont pas; qu'en eux le goût est aussi factice que les manières et les mœurs; que leur esprit n'ayant aucune consistance, il obéit comme une cire molle aux impressions de l'exemple; et qu'à moins de s'instruire, et de se prémunir de lumières et de principes qui donnent à leur jugement un peu de rectitude et de solidité, ils seront toujours à la merci de l'opinion du moment.

Cependant, au milieu de tant de variations, de contrariétés et d'inconséquences, que deviendra le goût des gens de lettres? Dans quelquesuns il restera fidèle à la nature, et aux vrais modèles de l'art, au risque même de n'obtenir que les suffrages du petit nombre: dans tous les autres il sera incertain, étourdi, égaré, variable au

gré de la mode, et se contentera de succès pas

sagers.

Ce qui rend l'art si difficile, comme l'a dit Voltaire, c'est que dans le temps même où l'on est le plus avide de nouveautés, il semble qu'il n'y ait presque plus rien de nouveau à produire dans aucun genre. Environné de toutes parts de modèles inimitables, chacun veut être original. Mais l'originalité doit être dans le génie et non pas dans le goût. C'est l'idée, le sentiment, l'image, la pensée, qui doit distinguer l'écrivain; c'est l'invention des traits de caractère, des mouvements de l'ame, de l'accent des passions, des moyens d'instruire et de plaire, de séduire et d'intéresser, de persuader et d'émouvoir; c'est aussi l'invention du mot piquant, du mot sensible, du mot juste dans sa nuance, du mot rare et propre à-la-fois, du tour élégant et précis, de l'expression vive et saillante, souvent inattendue, mais toujours naturelle; enfin, c'est l'invention du style, mais d'un style analogue au sujet que l'on traite, et dont le ton et la couleur répondent à l'objet que l'on peint.

C'est ainsi que sans rien outrer, sans forcer l'art ni la nature, Virgile a su se rendre original après Homère; Horace, après Pindare; Cicéron, après Démosthène; Racine, après Euripide et Corneille; Voltaire, après Racine; et que Molière, La Fontaine et la Bruyère, ont passé de si loin tout ce qui dans leur genre les avait précédés.

Aucun d'eux ne s'est donné la peine de sortir de son caractère : chacun a obéi à son propre génie; et par la raison même qu'ils étaient naturels, ils ne se sont point ressemblés, c'est ce qui n'est donné qu'au vrai talent; mais c'est ce que le vrai talent sera sûr d'obtenir toujours, s'il résiste à l'ambition d'être mieux que naturel et simple.

L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a.

Ce vers dit ce qui est arrivé par-tout, à la décadence des lettres; chez les Grecs, du temps des sophistes; chez les Romains, après le beau siècle d'Auguste; en Italie, après le siècle de Léon X; en France, dès la fin du règne de Louis XIV; et je n'ai pas besoin de rappeler à combien d'excellents esprits a nui l'envie de renchérir sur les autres et sur eux-mêmes.

Mais c'est sur-tout lorsqu'on n'a pas à soi un talent propre et véritable, et qu'on veut se donner, à force d'art, une originalité factice; c'est, dis-je, alors qu'il faut que l'on épuise les raffinements d'un faux goût, et les inventions d'une fausse industrie.

De-là ce fard, ce vernis, cette enluminure du style, qu'on donne pour du coloris; cette manière de contourner une idée commune, ou de l'entortiller d'une expression fausse, qu'on appelle de la finesse; ce vain fracas de mots incohérents et de métaphores outrées qu'on fait passer pour de l'éloquence; enfin, cette prétention de créer

des genres nouveaux, et de passer pour inventeur, en ramassant tout ce qui jusqu'à nous avait été le rebut de l'art.

Mon dessein n'est pas de faire une satire. J'observe seulement qu'il n'est aucune de ces ressources des hommes sans talent, qui n'ait eu et qui n'ait encore des partisans et des succès; et c'est ce qui les encourage. Par exemple, puisque Molière ne nous attire plus, ou ne nous fait que faiblement sourire, qui sait si quelques facéties, quelque grossière caricature, quelque scène bouffonne et triviale, ne nous fera pas rire avec le peuple des guinguettes? Si un public, dès longtemps fatigué de son admiration pour les beautés sublimes, ne daignera pas s'occuper d'un amas d'incidents pris dans les mœurs des halles? Si le tableau de l'indigence, de la mendicité, n'aura pas quelque attrait? Si le pathétique des galetas, des prisons et des hôpitaux n'aura pas ses succès comme de viles bouffonneries? On n'osera pas dire, on ne croira pas même que ces spectacles soient préférables à ceux qu'on aura désertés pour y courir en foule, trois mois de suite, et avec plus d'ardeur qu'on ne courut jamais à Cinna, au Tartuffe, à Britannicus, au Glorieux, à Zaïre, à Mérope; mais on dira que ce sont là des amusements d'une autre espèce; qu'il ne faut rien exclure; qu'à la fin tout vieillit; que dans les plaisirs du public il faut de la variété; et que sans renoncer aux goûts et aux passe6

Élém. de Littér. I.

temps de nos pères, on se permet d'en avoir de nouveaux. En un mot, toutes les raisons dont l'homme blasé s'autorise pour excuser de mauvaises mœurs, il les alléguera de même pour jus tifier de mauvais goûts.

Voilà comment s'explique bien naturellement cette soudaine métamorphose du public, en passant d'un lieu dans un autre. On n'a qu'à l'observer, lorsqu'il va quelquefois encore admirer d'anciennes beautés. Aucun trait de génie, aucune finesse de l'art, aucune délicatesse de pensée, de sentiment, ou d'expression ne lui échappe; il en saisit la vérité dans ses éclairs les plus rapides; et j'oserais bien assurer que de leur temps, Corneille, Racine et Molière, auraient été flattés d'avoir un parterre aussi clairvoyant.

Est-ce donc là, me direz-vous, le même public qui va se délecter cent fois de suite à des spectacles si différents de ceux-là? C'est le même, mais son goût change, ou, pour mieux dire, il a deux goûts. Là, c'est un goût traditionnel qui s'est épuré d'âge en âge, et qui se rend sévère et difficile jusqu'au dernier scrupule, lorsqu'on lui donne à juger des ouvrages qui prétendent à son estime. Ici, c'est un goût de complaisance et d'indulgence qui s'interdit tout examen, qui réduit l'ame à l'usage des sens, en intercepte la lumière, met en oubli toutes les règles de bienséance et de vraisemblance, et ne veut que de l'émotion. Que si l'on demande pourquoi cette

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