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crystal, à la moindre difficulté. Combien l'esprit didactique, si on voulait l'en croire, ne rétrécirait-il pas la carrière du génie?«< Allez au grand, vous dira un critique supérieur, il n'importe par quelle voie. » Non qu'il permette de négliger l'étude des modèles anciens, ni qu'il la néglige lui-même il vous dira avec Horace :

Vos exemplaria græca

Nocturna versate manu, versate diurná.

Mais avec Horace il vous dira aussi :

O imitatores, servum pecus!

Il ne vous dira pas : Que l'action de votre pièce ne change point de lieu; mais il vous dira: Que le changement de lieu soit possible d'un acte à l'autre. Il ne vous dira pas : Que l'action de votre poëme ne dure pas moins de quarante jours, ni plus d'un an, car celle de l'Iliade dure quarante jours, et l'on peut borner à un an celle de l'Odyssée; mais il vous dira: Que votre narration soit claire et noble; que le tissu de votre poëme n'ait rien de forcé; que les extrémités et le milieu se répondent; que les caractères annoncés se soutiennent jusqu'au bout. Écartez de votre action tout détail froid, tout ornement superflu. Intéressez par la suspension des événements ou par la surprise qu'ils causent; parlez à l'ame, peignez à l'imagination; pénétrez-vous pour nous toucher. Puisez dans les modèles le sentiment du

vrai, du grand, du pathétique; mais en les employant, suivez l'impulsion de votre génie et la disposition de vos sujets. Dans la tragédie, l'illusion et l'intérêt, voilà vos règles; sacrifiez tout le reste à la noblesse du dessein et à la hardiesse du pinceau. Laissez louer les Grecs de n'y avoir pas employé l'amour, et prenez soin seulement que l'amour y soit souffrant, passionné, terrible. Dans le poëme épique, passez-vous du merveilleux comme Lucain, si comme lui vous avez de grands hommes à faire parler et agir; imitez l'élévation de son style, évitez son enflure, et laissez dire que celui qui a peint César, Cornélie, et Caton, comme il l'a fait, n'était pas né poëte. Faites durer votre action le temps qu'elle a dû naturellement durer pourvu qu'elle soit une, pleine, et intéressante, elle finira trop tôt. Fondez la grandeur de vos personnages sur leur caractère, et non sur leurs titres; un grand nom n'ennoblit point une action commune; une action héroïque ennoblira le nom le plus obscur. En un mot, tâchez de réunir les qualités de ces grands génies, d'après lesquels on a fait les règles, et qui n'ont acquis le droit de commander, que parce qu'ils n'ont point obéi. Il en est tout autrement en littérature qu'en politique; le talent qui a besoin de subir des lois n'en donnera jamais.

C'est ainsi que le critique supérieur laisse au génie toute sa liberté; il ne lui demande que de

grandes choses, et l'encourage à les produire. Le critique subalterne l'accoutume au joug des règles; il n'en exige que l'exactitude, et il n'en tire qu'une obéissance froide et qu'une servile imitation. C'est de cette espèce de critique, qu'un auteur, que nous ne saurions assez citer en fait de goût, a dit: Ils ont laborieusement écrit des volumes, sur quelques lignes que l'imagination des poëtes a créées en se jouant. (VOLT.)

Qu'on ne soit donc plus surpris si, à mesure que le goût devient plus difficile, l'imagination devient plus timide et plus froide, et si presque tous les grands génies, depuis Homère jusqu'à Lucrèce, depuis Lucrèce jusqu'à Corneille, semblent avoir choisi, pour s'élever, les temps où l'ignorance leur laissait une libre carrière. Je ne citerai qu'un exemple des avantages de cette liberté. Corneille eût sacrifié la plupart des beautés de ses pièces, comme le dénouement de Rodogune; il eût même abandonné quelquesuns de ses plus beaux sujets, tels que celui des Horaces, s'il eût été aussi timide dans sa composition qu'il l'a été dans ses examens; mais heureusement il composait d'après lui, et se jugeait d'après Aristote.

Le bon goût, nous dira-t-on, est donc un obstacle au génie? Non, sans doute; car le bon goût est un sentiment courageux et mâle, qui aime sur-tout les grandes choses, et qui échauffe le génie en même temps qu'il l'éclaire. Le goût

qui le gêne et qui l'amollit, est un goût craintif et puéril, qui veut tout polir et qui affaiblit tout. L'un veut des ouvrages hardiment conçus, l'autre en veut de scrupuleusement finis; l'un est le goût du critique supérieur, l'autre est le goût du critique subalterne.

Mais autant que le critique supérieur est audessus du critique subalterne, autant celui-ci l'emporte sur le critique ignorant. Ce que ce dernier sait d'un genre, est, à son avis, tout ce qu'on en peut savoir : renfermé dans sa sphere, sa vue est pour lui la mesure des possibles: dépourvu de modèles et d'objets de comparaison, il rapporte tout à lui-même : par-là tout ce qui est hardi lui paraît hasardé, tout ce qui est grand lui paraît gigantesque. C'est un nain contrefait, qui juge d'après ses proportions une statue d'Antinoüs ou d'Hercule. Les derniers de cette dernière classe sont ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, et qui font, de la noble profession des lettres, un métier aussi láche et aussi méprisable qu'eux-mêmes. (VOLT.) Cependant, comme ce qu'on méprise le plus n'est pas toujours ce qu'on aime le moins, on a vu le temps où ils ne manquaient ni de lecteurs, ni de Mécènes. Les magistrats eux-mêmes, cédant au goût d'un certain public, avaient la faiblesse de laisser à ces brigands de la littérature une pleine et entière licence. Il est vrai qu'on accor

dait aux auteurs poursuivis la liberté de se défendre, c'est-à-dire d'illustrer leurs critiques, et de s'avilir; mais peu d'entre les hommes célèbres ont donné dans ce piége. Le sage Racine disait de ces petits auteurs infortunés (car il y en avait aussi de son temps): Ils attendent toujours l'occasion de quelque ouvrage qui réussisse, pour l'attaquer; non point par jalousie, car sur quel fondement seraient-ils jaloux? mais dans l'espérance qu'on se donnera la peine de leur répondre, et qu'on les tirera de l'obscurité où leurs propres ouvrages les auraient laissés toute leur vie. Sans doute ils seront obscurs dans tous les siècles éclairés mais dans les temps où régnera l'ignorance orgueilleuse et jalouse, ils auront pour eux le grand nombre et le parti le plus bruyant; ils auront sur-tout pour eux cette espèce de personnages stupides et vains, qui regardent les gens de lettres comme des bêtes féroces destinées à l'amphithéâtre pour leur amusement; image qui, pour être juste, n'aurait besoin que d'une inversion. Cependant si les auteurs outragés sont trop au-dessus des insultes pour y être sensibles, s'ils conservent leur réputation dans l'opinion des vrais juges, au milieu des nuages dont la basse envie s'efforce de l'obscurcir; la multitude n'en recevra pas moins l'impression du mépris qu'on aura voulu répandre sur les talents; et l'on verra peu-à-peu s'affaiblir dans les esprits cette considération universelle, la

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