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leur réponse, qu'ils le sont peu dans leurs décisions. Qu'on leur demande où ils ont observé tous les reflets, tous les mélanges, toutes les gradations de la couleur, tous les jeux, tous les tons, tous les effets de la lumière, étude sans laquelle on est hors d'état de parler du coloris. Et si un artiste accoutumé à épier et à surprendre la nature, a tant de peine à l'imiter, quel est le connaisseur qui peut se flatter de l'avoir assez bien vue pour en critiquer l'imitation? C'est une chose étrange que la hardiesse avec laquelle on se donne pour juge de la belle nature, dans quelque situation que le peintre ou le sculpteur ait pu l'imaginer et la saisir. Celui-ci, après avoir employé la moitié de sa vie à l'étude de son art, n'ose se fier aux modèles que sa mémoire a recueillis, et que son imagination lui retrace; il a cent fois recours à la nature, pour se corriger d'après elle; vient un critique plein de confiance, qui l'apprécie d'un coup-d'œil. Ce critique a-t-il étudié l'art ou la nature? Aussi peu l'un que l'autre. Mais il a des statues et des tableaux; et en les achetant, it croit avoir acquis le droit de les juger, et le talent de s'y connaître. On voit de ces connaisseurs se pâmer devant un ancien tableau dont ils admirent le clair-obscur : le hasard fait qu'on lève la bordure, le vrai coloris mieux conservé se découvre dans un coin; et ce ton de couleur si admiré, se trouve une couche de fumée.

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Je sais qu'il est des amateurs versés dans l'étude des grands maîtres, qui en ont saisi la manière, qui en connaissent la touche, qui en distinguent le coloris c'est beaucoup pour qui ne veut que jouir; mais c'est bien peu pour qui ose juger. On ne juge point un tableau d'après des tableaux. Quelque plein qu'on soit de Raphaël, on sera neuf devant le Guide. Je dis plus, les forces du Guide, malgré l'analogie du genre, ne seront point une règle sûre pour critiquer le Milon du Puget, ou le gladiateur mourant. La nature varie sans cesse : chaque position, chaque action différente la modifie diversement : c'est donc la nature qu'il faut avoir étudiée sous telle et telle face, dans tel et tel moment, pour en juger l'imitation. Mais la nature elle-même est imparfaite; il faut donc aussi avoir étudié les chefs-d'œuvre de l'art, pour être en état de critiquer en même temps et l'imitation et le modèle.

Cependant les difficultés que présente la critique dans les arts dont nous venons de parler, n'approchent pas de celles que réunit la critique littéraire.

Dans l'histoire, aux lumières profondes que nous avons exigées du critique pour la partie de l'érudition, se joint pour la partie purement littéraire, l'étude moins étendue, mais non moins réfléchie, de la majestueuse simplicité du style, de la netteté, de la décence, de la rapidité de la

narration; de l'à-propos et du choix des réflexions et des portraits, ornements frivoles dès qu'on les affecte, importuns dès qu'on les prodigue; de cette élocution mâle, précise, et simple, qui ne peint les grands hommes et les grandes choses que de leurs couleurs naturelles; et de plus l'étude du caractère propre à chaque historien, et de la touche qui le distingue. C'est de cet assemblage de connaissances et de goût que se forme le critique supérieur dans la partie de l'histoire. Que serait-ce si le même homme prétendait embrasser en même temps la partie de l'éloquence et celle de la philosophie morale?

Ces deux genres, soit que, renfermés en euxmêmes, ils se nourrissent de leur propre substance, soit qu'ils se pénètrent l'un l'autre et s'animent mutuellement, soit que, répandus dans les autres genres de littérature comme un feu élémentaire, ils y portent la vie et la fécondité; ces deux genres, dans tous les cas, ont pour objet de rendre la vérité sensible et la vertu aimable.

C'est un talent donné à peu de personnes, et que peu de personnes sont en état de critiquer. L'esprit n'en est qu'un demi-juge. Il connaît l'art de convaincre, non celui de persuader; l'art de séduire, non celui d'émouvoir. L'esprit peut critiquer le rhéteur, le sophiste; mais le cœur seul peut juger l'orateur. Le critique en morale, ainsi qu'en éloquence, doit avoir en lui ce principe de sensibilité et de droiture qui fait concevoir

et produire avec force les vérités dont on se pénètre; ce principe de noblesse et d'élévation qui excite en nous l'enthousiasme de la vertu, et qui seul embrasse tous les possibles dans l'art d'intéresser pour elle. Si la vertu pouvait se rendre visible aux hommes, a dit un philosophe, elle paraîtrait si touchante et si belle, que personne ne pourrait lui résister c'est ainsi que doit la concevoir et celui qui la peint, et celui qui en examine la peinture.

La fausse éloquence est également facile à professer et à pratiquer des figures entassées, de grands mots qui ne disent rien de grand, des mouvements empruntés qui ne partent jamais du cœur et qui n'y arrivent jamais, ne supposent, ni dans l'auteur ni dans son admirateur, aucune élévation dans l'esprit, aucune sensibilité dans l'ame. Mais la vraie éloquence étant l'émanation d'une ame à-la-fois simple, forte, grande, et sensible, il faut réunir toutes ces qualités pour y exceller, et pour savoir comment on y excelle. Il s'ensuit qu'un grand critique en éloquence doit pouvoir être éloquent lui-même. Osons le dire à l'avantage des ames sensibles, celui qui se pénètre vivement du beau, du touchant, du sublime, n'est pas loin de l'exprimer; et l'ame qui en reçoit le sentiment avec une certaine chaleur, pourrait à son tour le produire. Cette disposition à la vraie éloquence ne comprend ni les avantages de l'élocution, ni cette harmonie entre le geste, le ton, et le visage,

qui compose l'éloquence extérieure. Il s'agit ici d'une éloquence interne et comme spontanée, qui se fait jour à travers l'extérieur le plus inculte; il s'agit de l'éloquence du paysan du Danube, dont la rustique sublimité fait si peu d'honneur à l'art, et en fait tant à la nature; de cette faculté sans laquelle l'orateur n'est qu'un déclamateur, et le critique qu'un froid Aristarque.

Par la même raison, un critique en morale doit avoir en lui, sinon les vertus pratiques, du moins le germe de ces vertus. Il n'arrive que trop souvent que les mœurs d'un homme éclairé sont en contradiction avec ses principes, quelquefois avec ses sentiments. Il n'est donc pas essentiel au critique en morale d'être vertueux; il suffit qu'il soit né pour l'être. Mais alors quel métier que celui du critique! à chaque ligne, ce sera sa propre condamnation qu'il prononcera, en faisant l'éloge des gens de bien. Cependant il ne serait pas à souhaiter que le critique en morale fût exempt de passions et de faiblesse; il faut juger les hommes en homme vertueux, mais en homme; se connaître, connaître ses semblables, et savoir ce qu'ils peuvent, avant d'examiner ce qu'ils doivent; concilier la nature avec la société, mesurer leurs droits et en marquer les limites, rapprocher l'intérêt personnel du bien général, être enfin le juge, non le tyran de l'humanité. Tel serait l'emploi d'un critique supérieur dans cette partie; emploi difficile et important, sur-tout

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