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de l'injustice à juger de ce qu'elle a été par ce qu'elle est. Les premiers laboureurs ont été mis au rang des dieux, avec bien plus de raison que ceux d'aujourd'hui ne sont mis au-dessous des autres hommes.

Cette partie de la critique comprendrait encore la vérification des calculs chronologiques, si ces calculs pouvaient se vérifier; mais il faut savoir ignorer ce qu'on ne peut connaître or il est vraisemblable que ce qui n'est pas connu dans la science des temps ne le sera jamais; et l'esprit humain y perdra peu de chose.

Le second point de vue de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé et un jugement équitable des productions humaines. Toutes les productions humaines peuvent être comprises sous trois chefs principaux: les sciences, les arts libéraux, et les arts mécaniques sujet immense, que je n'ai pas la témérité de vouloir embrasser. Je me bornerai à établir quelques principes généraux, que tout homme capable de sentiment et de réflexion est en état de concevoir.

Critique dans les sciences. Les sciences se réduisent à trois points à la démonstration des vérités anciennes, à l'ordre de leur exposition, à la découverte des nouvelles vérités.

Les vérités anciennes sont ou de fait, ou de spéculation. Les faits sont ou moraux, ou physiques. Les faits moraux composent l'histoire des

hommes, dans laquelle souvent il se mêle du physique, mais toujours relativement au moral. Comme l'histoire sainte est révélée, il serait impie de la soumettre à l'examen de la raison; mais il est une manière de la discuter pour le triomphe même de la foi. Comparer les textes et les concilier entre eux; rapprocher les événements des prophéties qui les annoncent; faire prévaloir l'évidence morale sur l'impossibilité physique; vaincre la répugnance de la raison par l'ascendant des témoignages; prendre la tradition dans sa source, pour la présenter dans toute sa force; exclure enfin du nombre des preuves de la vérité tout argument vague, faible, ou non concluant, espèce d'armes communes à toutes les religions, que le faux zèle emploie, et dont l'impiété se joue: tel serait l'emploi du critique dans cette partie. Plusieurs l'ont entrepris, parmi lesquels Pascal occupe la première place, pour la céder à celui qui exécutera ce qu'il n'a fait que méditer.

Dans l'histoire profane, donner plus ou moins d'autorité aux faits, suivant leur degré de possibilité, de vraisemblance, de célébrité, et suivant le poids des témoignages qui les confirment: examiner le caractère et la situation des historiens; s'ils ont été libres de dire la vérité, à tée de la connaître, en état de l'approfondir, sans intérêt de la déguiser: pénétrer après eux dans la source des événements, apprécier leurs

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merce,

conjectures, les comparer entre eux, les juger l'un par l'autre quelles fonctions pour un critique; et s'il veut s'en acquitter dignement, combien de connaissances à acquérir! Les mœurs, le naturel des peuples, leur éducation, leurs lois, leur culte, leur gouvernement, leur police, leur discipline, leurs intérêts, leurs relations, les ressorts de leur politique, leur industrie, leur comleur population, leur force et leur richesse; les talents, les vertus, les vices de ceux qui les ont gouvernés; leurs guerres au-dehors, leurs troubles domestiques, leurs révolutions, leurs succès, leurs revers, et les causes de leur prospérité et de leur décadence; enfin tout ce qui, dans les hommes, les choses, les lieux et les temps, peut concourir à former la chaîne des événements et les vicissitudes des fortunes humaines, doit entrer dans le plan d'après lequel un savant discute l'histoire. Combien un seul trait, dans cette partie, ne demande-t-il pas souvent, pour être éclairci, de réflexions et de lumières! Qui osera décider si pour l'intérêt de Rome il était à souhaiter que Carthage fût détruite, comme le voulait Caton, ou qu'on la laissât subsister, selon l'avis de Scipion Nasica?

Les faits purement physiques composent l'histoire naturelle; et la vérité s'en démontre de deux manières, ou en répétant les observations et les expériences; ou en pesant les témoignages, si l'on n'est pas à portée de les vérifier. C'est

faute d'expérience qu'on a regardé comme des fables une infinité de faits que Pline rapporte, et qui se confirment de jour en jour par les observations de nos naturalistes.

Les anciens avaient soupçonné la pesanteur de l'air; Toricelli et Pascal l'ont démontrée. Newton avait dit: La terre est applatie; des savants sont allés vers le pôle et sous l'équateur voir si Newton avait dit vrai. Le miroir d'Archimède passait pour une fable, et nous l'avons vu reproduit; mais qui reproduira les prodiges de mécanique de ce même Archimède au siége de Syracuse; ou qui démontrera que c'étaient des fables inventées par les Romains, pour excuser aux yeux de Rome l'impuissance de leurs efforts? Voilà comme on doit critiquer les faits; mais, suivant cette méthode, les sciences auront peu de critiques. Il est facile de nier ce qu'on ne comprend pas; mais est-ce à nous de marquer les bornes des possibles, à nous qui voyons chaque jour imiter la foudre, et qui touchons peut-être au secret de la diriger ou de l'extraire des nuages; à nous qui venons d'inventer le moyen de naviguer dans l'air?

Ces exemples doivent rendre un critique bien circonspect dans ses décisions. La crédulité est le partage des ignorants; l'incrédulité décidée, celui des demi-savants; le doute méthodique, celui des sages. Dans les traditions historiques un philosophe explique ce qu'il peut, admet ce

qui est possible, croit ce qui est vraisemblable, rejette ce qui répugne au bon sens et à l'évidence, et suspend son jugement sur tout le reste.

Il est des vérités que la distance des lieux et des temps rend inaccessibles à l'expérience, et qui, n'étant pour nous que dans l'ordre des possibles, ne peuvent être observées que des yeux de l'esprit. Ou ces vérités sont les principes des faits qui les attestent, et le critique doit y remonter par l'enchaînement de ces faits; ou elles en sont des conséquences, et par les mêmes degrés il doit descendre jusqu'à elles.

Souvent la vérité n'a qu'une voie par où l'inventeur y est arrivé, et dont il ne reste aucun vestige: alors il y a peut-être plus de mérite à retrouver la route, qu'il n'y en a eu à la découvrir. L'inventeur n'est quelquefois qu'un aventurier que la tempête a jeté dans le port; le critique est un pilote habile que son art seul y conduit, si toutefois il est permis d'appeler art une suite de tentatives incertaines et de rencontres fortuites où l'on ne marche qu'à pas tremblants. Pour réduire en règles l'investigation des vérités physiques, le critique devrait tenir le milieu et les extrémités de la chaîne: un chaînon qui lui échappe est un échelon qui lui manque pour s'élever à la démonstration. Cette méthode sera long-temps impraticable. Le voile de la nature est pour nous comme le voile de la nuit, où dans une immense obscurité brillent quelques points

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