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quentes lui en tenaient lieu; et pour profiter des exemples d'un homme de génie, ce n'est pas à ses fautes que les habiles gens s'arrêtent; ils s'attachent à ses beautés; et lorsqu'il a fait le mieux possible, ils tâchent de faire comme lui, aussi bien que lui, mieux que lui. Qu'importait à Racine et à Voltaire que Corneille eût fait Théodore, et Pertharite, et Suréna? Tout cela était nul pour eux, comme il devrait l'être pour nous. Ce sont les belles scènes du Cid, de Cinna, des Horaces, de Polieucte, de Rodogune, qu'ils méditaient dans leur jeunesse, et qui étaient pour eux des leçons de goût dans ce qu'il y a de plus rare, de plus difficile à saisir, le beau idéal dans les mœurs, le sublime dans l'expression. Mais si Corneille fut pour le goût un merveilleux inspirateur, il fut encore un plus dangereux guide; il donna de hautes leçons, mais il donna de mauvais exemples, même dans ses plus beaux ouvrages, et la gloire d'être infaillible était ré

servée à Pascal.

Cet esprit à-la-fois original et naturel, et aussi simple que transcendant, semblait fait pour être le symbole, l'image vivante du goût. Ce fut de lui que son siècle apprit à cribler, si j'ose le dire, et à purger la langue écrite des impuretés de la langue usuelle, et à trier, non-seulement ce qui convenait au langage de la satire et de la comédie, mais au langage de la haute éloquence, mais au style plus tempéré de la saine philosophie.

Les premières des Provinciales furent des leçons pour Molière; les dernières, pour Bossuet; et ses pensées ont appris aux philosophes qui l'ont suivi, quelle devait être la pureté et la dignité de leur langue. Jamais homme n'a eu dans un plus haut degré de justesse le sentiment des convenances et des convenances durables: aussi voiton qu'il n'a point vieilli, et il ne vieillira jamais.

Avec tant de délicatesse dans l'organe du goût, il put ne pas aimer Montaigne; mais il l'estimait plus qu'il ne croyait, ou qu'il n'osait se l'avouer; il parcourait ce champ fécond et négligé en botaniste habile et sage; c'est là qu'il s'était enrichi; et il est aussi vraisemblable que sans Montaigne on n'eût pas eu Pascal, qu'il l'est que sans Corneille on n'eût pas eu Racine. Les Romains, chargés des dépouilles de leurs voisins, les méprisaient Port-Royal et Pascal eurent le même orgueil. Soyons plus justes à leur égard, et reconnaissons que le goût sévère et pur de cette école contribua grandement à former celui des gens de lettres et celui du public.

Dans la jeunesse de Louis XIV, l'amour des lettres, passion nouvelle, était dans toute sa ferveur. L'Académie française était fondée, et s'occupait assidûment à former, à fixer la langue en assignant à chaque mot son vrai sens, sa valeur, ses acceptions diverses, et le caractère de noblesse ou de familiarité qui devait lui marquer sa place. En même temps les moeurs de la société

Élém. de Littér. I.

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se polissaient. La fleur de la noblesse, attirée à Paris par le cardinal de Richelieu, formait la cour d'un roi jeune, heureux, galant, magnifique, passionnément épris de toutes les sortes de gloire, délicat sur les bienséances, sensible à tous les plaisirs nobles, fait pour être lui-même un modèle de dignité, et par un naturel qui suppléait en lui aux lumières qu'il n'avait pas, juste appréciateur du mérite dans les lettres et dans les arts. Autour de lui, et à son exemple, sa cour attentive aux progrès des talents, occupée de leurs travaux, intéressée à leur rivalité, à leurs succès, à leurs querelles, se plaisant à les animer pour jouir de leur jalousie et de leur émulation; la ville, à l'envi de la cour, s'étudiant à suivre tous les goûts du monarque; enfin, soit l'attrait de la mode, soit l'attrait de la nouveauté, tout un monde passionné pour les productions du génie, s'instruisant pour en mieux jouir, et faisant foule avec la même ardeur autour des chaires de Bourdaloue, de Bossuet, et de Fléchier, et aux théâtres de Corneille, de Molière et du jeune Racine; telle fut, dans tous les esprits, l'action et la réaction des gens de lettres sur le public, du public sur les gens de lettres (1). Il fallait alors, ou jamais, que le goût se perfectionnât.

(1) « C'était un temps digne de l'attention des temps à venir, dit Voltaire, que celui où les héros de Corneille et de Racine, les personnages de Molière, les voix des Bossuet et

On conçoit bien pourtant qu'il y eut d'abord, dans ce concours d'écrivains et de connaisseurs, une infinité de prétentions manquées, et de fausses lueurs d'esprit, de talent et de goût. Chaque société eut ses prédilections, chaque bel-esprit eut son cercle, chaque talent ses ennemis. Avant de juger, c'était peu de ne pas entendre, on se passionnait. Les tribunaux les plus célèbres étaient souvent les plus injustes. Ici, Pradon avait des Mécènes, et Racine des détracteurs; là, Chapelain était admiré en récitant les vers de la Pucelle; ailleurs, c'étaient les Scuderi qu'on exaltait, en déprimant Corneille; Boursault avait des partisans qui le préféraient à Molière. Tout semblait confondu. C'était dans ce moment de fermentation et de trouble que l'esprit public s'épurait, comme le vin en jetant son écume. Tout ce que demande l'opinion pour se rectifier, tout ce que demande le goût pour se polir, c'est du mouvement. Ce n'est même qu'à force d'agitation, de combats, de révolutions en tous sens, que la vérité se dégage; car après ce tumulte, les passions se calment, les partialités cessent, les pré

des Bourdaloue, se faisaient entendre à Louis XIV, à Madame, si célèbre par son goût, à un Condé, à un Turenne, à un Colbert, et à cette foule d'hommes supérieurs en tout genre. Ce temps ne se trouvera plus où un duc de La Rochefoucault, l'auteur des maximes, au sortir de la conversation d'un Pascal, 'd'un Arnauld, allait au théâtre de Corneille. »

ventions se dissipent, l'opinion se fixe à la fin; et regardez au fond du creuset; la vérité y reste pure comme l'or.

Ce n'est donc pas ce flux et ce reflux de sentiments contraires, de jugements épars, d'opinions hétérogènes, qui décident du goût de tout un siècle; c'est leur résultat, c'est l'ensemble et la somme de l'opinion publique. Or, voyez sous Louis XIV, quels furent les hommes vraiment célèbres; et à leur tête, vous trouverez les auteurs de Cinna, du Misanthrope, d'Iphigénie, des Oraisons funèbres de Turenne et du grand Condé; vous y trouverez ce La Fontaine que la cour dédaignait et mettait en oubli; ce Fénélon, que Louis XIV avait le malheur de ne pas aimer, et le malheur plus grand de regarder comme un bel-esprit chimérique; vous y trouverez ce Boileau, qui s'était fait tant d'ennemis; et ce Quinault, que Boileau lui-même s'efforçait inutilement de décrier et d'avilir. Tout le monde avait eu ses torts; le public seul enfin se trouva juste. Concluons que le siècle du génie fut aussi le siècle du goût: ajoutons, et d'un goût plus délicat, plus fin, plus éclairé que celui de Rome et

d'Athènes.

Les Romains, je l'avoue, ont, en fait d'éloquence, l'avantage d'un artifice plus savant et plus raffiné; et, quoique Bourdaloue et Massillon m'étonnent, l'un par l'accord parfait de son langage avec son ministère, et par le secret merveil

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