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telage de la chaire, les farces pieuses du théâtre, les prestiges religieux dont on frappait la multitude, le zèle aveugle et sanguinaire dont l'enivraient des imposteurs, tout se ressentait du mélange d'un peuple esclave des druides et du peuple barbare qui l'avait subjugué. Ainsi du reste de l'Europe. Par-tout la lumière des lettres avait à dissiper les ténèbres de l'ignorance; par-tout il fallait enlever cette rouille épaisse et profonde que dix siècles de barbarie avaient comme incrustée dans les esprits et dans les ames; rendre l'entendement humain aux lumières de la nature; et redonner un caractère de noblesse et de dignité aux mœurs publiques, défigurées et dégradées jusques à l'abrutissement.

Sans cette grande métamorphose, quel moyen d'assimilation pouvait-il y avoir entre le goût des nations antiques et le grossier instinct des nations modernes? Tirer l'homme de cet état et lui donner le discernement du vrai dans ses justes rapports, du bien, du beau, dans sa juste mesure, ne pouvait être que l'ouvrage du temps.

Cependant, comme il est des erreurs compatibles avec le génie des arts, le grand obstacle à la régénération des lettres et du goût ne venait pas de cette cause; et en effet, au milieu même des superstitions et des préjugés fanatiques, le Tasse avait fait un beau poëme et l'Arioste un poëme charmant. Mais, à la faveur d'une langue déja épurée et polie, ils avaient su tout ennoblir;

et la langue française, quoique assez abondante, était encore loin d'acquérir ce caractère de noblesse, d'élégance et de pureté, que Pétrarque et Machiavel, avant l'Arioste et le Tasse, avaient donné à la langue toscane. C'était cet instrument du génie et du goût qu'il fallait d'abord façonner.

Une langue répugne aux ouvrages de goût, non-seulement lorsqu'elle est pauvre, rude et grossière, mais aussi lorsqu'elle n'a qu'un ton, ou que tous les tons s'y confondent. C'est la souplesse et la variété qui font la grâce et le charme du style; c'est par ses modulations qu'il s'élève ou s'abaisse au gré de la pensée, et qu'il se met d'accord avec les caractères et à l'unisson des sujets. Or une langue n'est susceptible de ces convenances du style qu'autant qu'elle a des tons gradués et distincts, depuis l'humble jusqu'au su'blime, depuis le populaire jusques à l'héroïque, et qu'elle a de même des modes analogues à la douceur, à la mollesse, à l'énergie, à tous les sentiments, à toutes les passions, à tous les mouvements de l'ame; et c'est ce qui manquait, même à la langue de Montaigne.

Cette langue est franche, énergique et d'un tour vif et pittoresque; mais elle est trop souvent ignoble; et, quoique par sa liberté, sa familiarité même, elle plaise dans des écrits dont l'abandon est le caractère, il n'en est pas moins vrai que dans les genres qui demandent toutes

les nuances du style et toutes ses délicatesses, dans les sujets sur-tout où la majesté du langage en est la bienséance, cette familiarité continue aurait été peu convenable. Lorsque Montaigne fait parler Auguste à Cinna, ou qu'Amiot traduit quelques vers d'Euripide, il n'est personne qui ne sente combien ce vieux langage manque de dignité.

Qu'on ne m'accuse pas de vouloir déprimer deux écrivains si recommandables: ce vieux naturel de leur style' a son attrait, et je le sens; mais plus il était convenable dans un récit naïf et simple, et dans le libre épanchement des pensées d'un philosophe, moins il était propre à la majesté de l'éloquence et de la poésie; et Montaigne lui-même nous l'aurait avoué, lui qui a si bien apprécié les écrivains de l'antiquité, même du côté du langage; lui qui avait l'oreille et l'ame assez sensibles aux beautés de style pour avoir reconnu que le poëme des Géorgiques et le cinquième livre de l'Enéide étaient ce que Virgile avait le mieux écrit. Il savait comme nous, sans doute, quelle diversité de couleurs et de tons une langue devait avoir pour s'élever à la hauteur de l'éloquence de Cicéron, de la poésie de Lucrèce, pour se donner la dignité et les grâces décentes du style de Virgile; et pour s'abaisser noblement à l'élégante familiarité du style de Térence, qu'il appelait lui-même la mignardise du langage latin.

Je dirai plus si du temps de Montaigne, quelqu'un avait été capable d'assigner à la langue ses divers caractères, et d'en classer les mots, les tours et les images, comme on a fait depuis, pour varier les tons et les degrés du style, c'eût été Montaigne lui-même; mais son inclination pour un genre d'écrire libre, indolent, abandonné, coulant de source au gré de son humeur et de sa fantaisie, l'éloignait trop de ces recherches. Tout dans sa langue lui a été bon, parce que tout lui était commode; et ce qu'il nous dit de ses études, nous pouvons l'appliquer à ses compositions : « Il n'est rien pourquoi je me << veuille rompre la tête, non pas pour la science, <«< de quelque grand prix qu'elle soit. »

Marot, qui dans quelques épigrammes eut un peu de délicatesse, fut trop souvent grossier et bas. Les poëtes du même temps qui voulurent hausser le ton donnèrent dans l'enflure, et furent durs et guindés sans noblesse. Malherbe, le premier, sentit quel heureux choix de mots pouvait donner aux vers français de la pompe et de l'harmonie, et jusqu'où le style de l'ode pouvait s'élever sans effort. Ce fut une grande leçon de goût pour les poëtes à venir.

Balzac essaya d'ennoblir de même et d'élever la prose au ton de l'éloquence; mais il l'essaya dans des lettres, et avec une emphase et une affectation toute opposée au naturel et à la liberté du style épistolaire. Cette tentative ne laissa pas

d'avoir un succès éclatant; et Balzac parut un prodige, pour avoir appris à son siècle que notre prose, comme nos vers, pouvait être nombreuse et noble.

Dès-lors le secret de donner à la langue de l'harmonie et de l'élévation cessa d'être inconnu. Lingende en profita, et il fut le premier qui mit de la décence et de la dignité dans le langage de la chaire.

Mais le grand apôtre du goût, le grand maître dans l'art d'écrire et de parler la langue sur tous les tons, ce fut Pascal.

Corneille, qui l'avait devancé, avait brillé d'une lumière plus éclatante, mais moins pure. Il avait créé les deux théâtres; il avait donné, dans le Menteur, le modèle du bon comique; il avait inventé un genre de fable tragique, qui n'était pas celui des Grecs, et qui était plus analogue à nos mœurs; en l'inventant, il l'avait élevé au plus haut degré du sublime; il en avait pris le vrai ton, parlé souvent le vrai langage; et ses beaux vers sont beaux si naturellement, si simplement, si pleinement, qu'il n'y a rien de plus accompli. Personne enfin n'a autant fait que lui pour agrandir en nous l'idée du beau moral en poésie, et pour nous en faire éprouver le sentiment dans toute sa hauteur; et en cela le goût lui a dû infiniment plus qu'on ne pense. Je dis le goût, quoique ce fût ce qui lui manquait à luimême; car des inspirations lumineuses et fré

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