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Lorsqu'il verra sa fille à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers!
Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de tes mains tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau.
Pardonne! un dieu cruel a perdu ta famille;
Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille, etc.

On juge bien que la chaleur de l'imagination peut être encore très-vive, et n'être pas à ce degré-là. Celle du sentiment a des gradations infinies; et qui sait jusqu'où peut aller la violence des passions? On voit à quel degré Racine et Voltaire ont poussé la chaleur de l'expression de l'amour; mais ni l'un ni l'autre, à ce qui me semble, n'a été plus loin que Virgile; et le tableau du désespoir de Didon est peut-être, à l'égard de cette passion, le dernier degré de chaleur.

Dans la colère tranquille et fière, le caractère d'Achille est sublime; mais Orosmane, dans sa fureur, est plus théâtral et plus terrible. Dans une scène imitée du Dante, nous avons vu la vengeance, irritée par l'amour paternel, portée à un point d'énergie au-delà duquel il est difficile de rien imaginer.

Ce qui est rare et précieux, c'est la chaleur dans des ouvrages que la passion n'anime point, et que la raison seule, pour ainsi dire, doit échauffer de sa lumière. Les écrits de Rousseau

de Genève seraient un modèle en ce genre, si son éloquence était toujours celle de la raison et de la vérité; mais ayant trop compté sur les ressources d'une dialectique industrieuse, d'une imagination vive et d'un style enchanteur, il a souvent accepté le défi que lui donnait sa vanité, de faire paraître naturel ce qui était forcé, vraisemblable ce qui était faux, honnête et louable ce qui était en soi vicieux et digne de blâme. Heureux, s'il avait toujours eu pour guide un sage comme Locke, dont il a suivi les principes sur l'éducation physique de l'enfance, et dont il a su embellir, animer, échauffer les froides leçons! C'est là ce qu'il a fait d'utile, et ce qui honore sa mémoire, bien plus que le coloris dont il a fardé les mauvaises mœurs de son Héloïse, le faux systême de son Émile, et tous les paradoxes où il a prodigué ses lumières et ses talents.

La chaleur du style, même au plus haut degré, doit être vraie et naturelle. Phèdre, dans son délire, ne dit rien qui ne soit analogue à son amour pour Hippolyte; Oreste, même dans ses fureurs, ne voit que les objets qui doivent l'occuper, sa mère et les furies. A plus forte raison, dans l'éloquence et dans le langage tempéré de la philosophie, la chaleur ne doit-elle jamais troubler l'imagination ni l'entendement. L'écrivain qui extravague est un fou ou un charlatan. Si sa chaleur est vraie, c'est celle de la fièvre; si ce n'est pas le transport au cerveau, c'est un jeu, et c'est

le jeu d'un bateleur qui fait le maniaque pou assembler la foule. Or j'appelle extravaguer en écrivant, accumuler des métaphores incohérentes. des idées bizarres, des raisonnements faux, des hyperboles insensées; avancer hardiment des opinions révoltantes, les soutenir avec effronterie, insulter à-la-fois à l'évidence et à la pudeur, et prendre pour les attributs d'un génie audacieux et libre l'impudence et l'absurdité. C'est là pour tant ce qu'on nous a donné quelquefois pour de la chaleur.

CHANSON. De tous les peuples de l'Europe, le Français est celui dont le naturel est le plus porté à ce genre léger de poésie. La galanterie, le goût du plaisir, la gaieté, la vivacité, qui caractérisent ce peuple aimable, ont produit des chansons ingénieuses dans tous les genres.

A propos de l'ode et du dithyrambe, j'ai parle de nos chansons à boire, et j'en ai cité des exemples; en voici encore un de l'enthousiasme bachique. Le poëte s'adresse au vin :

Non, il n'est rien dans l'univers

Qui ne te rende hommage;
Jusqu'à la glace des hivers,

Tout sert à ton usage.

La terre fait de te nourrir

Sa principale gloire;

Le soleil luit pour te mûrir;

Nous naissons pour te boire.

1L

Mais, comme parmi nous le vin n'est pas ennemi de l'amour, il est rare que la chanson bachique ne soit pas en même temps galante; et, à l'exemple d'Anacréon, nos buveurs se couronnent de myrtes et de pampres entrelacés. L'un dit dans sa chanson:

En vain je bois pour calmer mes alarmes
Et pour chasser l'amour qui m'a surpris:
Ce sont des armes

Pour mon Iris.

Le vin me fait oublier ses mépris,

Et m'entretient seulement de ses charmes.

Un autre :

J'ai passé la saison de plaire,

Il faut renoncer aux amours :

Tendres plaisirs qui faites les beaux jours,

Vous seuls rendez heureux, mais vous ne durez guère.
Bacchus, de mes regrets ne sois point en courroux;
Regarde l'Amour qui s'envole.

Quel triomphe pour toi, si ton jus me console
De la perte d'un bien si doux!

Un autre plus passionné :

Venge-moi d'une ingrate maîtresse,
Dieu du vin, j'implore ton ivresse ;
Un amant se sauve entre tes bras.
Hàte-toi, j'aime encor, le temps presse ;
C'en est fait, si je vois ses appas.
Que d'attraits! ô dieux! qu'elle était belle!
Vole, Amour, vole après elle,

Et ramène avec toi l'infidèle.

C'est en général la philosophie d'Anacréon renouvelée et mise en chant.

L'amour du vin et de la table est commun à tous les états; c'est donc quelquefois les mœurs et le langage du peuple de la ville ou de la campagne qu'on a imités dans les chansons à boire. comme dans celle-ci :

Parbleu, cousin, je suis en grand souci !

Catin me dit que j'aime tant à boire,
Qu'elle a bien de la peine à croire
Que je puisse l'aimer aussi;

Qu'il faut choisir du vin ou d'elle.
Comment sortir d'un si grand embarras?
Déja le vin, je ne le quitte pas;

Et la quitter! elle est, ma foi, trop belle.

Dufréni en a fait une, où un buveur s'enivre en pleurant la mort de sa femme. Le son des bouteilles et des verres lui rappelle celui des cloches. Hélas! dit-il à ses amis :

Il me souvient toujours qu'hier ma femme est morte.
Le temps n'affaiblit point une douleur si forte.
Elle redouble à ce lugubre son :

Bin bon.

Voudriez-vous de ce jambon?

Il est bin bon, etc.

Dans une chanson du même genre, un buveur ivre, en rentrant chez lui, croit voir sa femme double, et s'écrie: ô ciel!

Je n'avais qu'une femme, et j'étais malheureux :
Par quel forfait épouvantable

Ai-je donc mérité que vous m'en donniez deux?

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