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ce côté-ci, où de l'autre? A plus forte raison, un prédicateur a-t-il le droit de dire à son auditoire :

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Lorsqu'il s'agit de votre salut, qu'importe la négligence ou l'élégance de mon geste et de mes discours? » Mais Démosthène, qui connaissait la légèreté du public d'Athènes, n'avait pas laissé de former avec le plus grand soin sa prononciation, son action, et son style. Le prédicateur, dans nos villes, doit la même condescendance à un auditoire mondain. Hæc duo nobis quærenda, dit Cicéron: primum, quid; deinde, quomodo dicamus: alterum, quod totum arte tinctum videtur, tametsi artem requirit, est prudentiæ mediocris. Alterum est in quo oratoris vis illa divina virtusque cernitur, ea quæ dicenda sunt, ornatè, copiosè, varièque dicere. De orat. 1. 2. La même chose est vraie de l'orateur chrétien, à l'égard d'un monde éclairé. Que le prédicateur l'accable de reproches les plus sanglants; qu'il lui présente le miroir de la satire la plus cruelle, même la plus humiliante; que, sauf l'allusion personnelle, qui est un crime dans l'orateur et le plus lâche abus de son autorité, il parle de la calomnie au calomniateur; à l'homme envieux, de l'envie; de l'avarice, à l'homme sordide; des plus honteuses dissolutions, à un auditoire sans moeurs; qu'il leur prononce leur sentence éternelle, mais en bons termes, avec le geste et le son de voix qui convient; ils s'en iront tous satisfaits. Caput artis decere: cette maxime de Roscius est pour la

chaire comme pour le théâtre : or la décence, a l'égard du monde, est la conformité d'action et de langage avec les usages reçus. Il faut donc s'y assujétir, sous peine de déplaire, et, ce qui est plus fâcheux encore, de s'exposer au ridicule, et d'attacher à la parole même la dérision et le mépris qu'aurait excités l'orateur.

Mais il en est des bienséances pour l'orateur chrétien, comme des modes pour le sage; il doit leur accorder ce qu'il ne peut leur refuser; et voici, ce me semble, la ligne sur laquelle un prédicateur doit marcher. Grandis et, ut ita dicam, pudica oratio non est maculosa, nec turgida, sed naturali pulchritudine exsurgit. « Que l'éloquence ait une grandeur et une dignité modeste; qu'elle soit sans tache et sans enflure; qu'elle s'élève ornée de sa propre beauté. » Il serait bien honteux que, tandis que le plus profane des auteurs exige d'elle la pudeur d'une vierge, on la vit parmi nous, en chaire, se parer des atours d'une courtisanne, ne s'occuper que du soin de plaire, et porter cette complaisance jusques à la prostitution.

Une diction pure et noble, un geste sage et modéré, une prononciation distincte et naturelle, un accent vrai, jamais exagéré; voilà ce que l'orateur doit à l'usage et aux bienséances; mais du bel-esprit, mais des fleurs, mais les coquetteries maniérées d'un langage artificiellement composé; voilà ce que le monde, tout frivole qu'il est, non

seulement n'exige pas, mais ce qu'il dédaigne et méprise, comme une complaisance indigne du ministère de l'orateur; car le monde est comme Tibère, qui lui-même était dégoûté des adulations du sénat.

Une éloquence douce est quelquefois placée; mais une éloquence doucereuse et fade ne l'est jamais écoutons le maître de l'art : Sit nobis ornatus et suavis orator, ut suavitatem habeat austeram et solidam, non dulcem atque decoctam. De or. 1. 3. Cette leçon, donnée à l'orateur profane, est encore plus expresse pour l'orateur chrétien. Quant au soin d'orner l'éloquence, je suis bien éloigné de l'interdire; car une beauté réelle et solide ajoute à la force; et en même temps qu'elle donne à la vérité plus d'attrait et de charme, elle lui donne aussi plus de pouvoir et d'ascendant. Mais ce qui est indigne de la chaire, c'est d'y paraître disputer un prix de rhétorique avec des phrases élégantes, et d'y faire sa cour à l'auditoire, en s'étudiant à l'amuser.

L'auditoire dont nous parlons est celui qui présente à l'orateur le plus de vices à combattre. C'est sur ce monde, la classe d'hommes la plus riche et la plus oisive, la plus vicieuse et la plus corrompue; sur ce monde, où il n'y a presque plus de pères, de mères, d'enfants, de frères, ni d'amis; sur ce monde où le luxe, et la cupidité qui accompagne le luxe, ont tout dépravé, tout perdu; c'est sur lui, dis-je, que l'éloquence re

ligieuse et morale doit porter ses grands coups. C'est là qu'elle a besoin de vigueur et de véhémence pour flétrir la mollesse, pour dépouiller l'orgueil, pour châtier le vice, pour venger la nature, pour forcer au moins l'impudence à se cacher ou à rougir. Et ce qui laisse sans excuse la timidité, la faiblesse, les lâches complaisances de l'orateur qui ne songe qu'à plaire; c'est que plus il serait sévère, ardent à réprimer les désordres du siècle, plus il en serait applaudi. Le modèle accompli de ce genre d'éloquence, serait Massillon, s'il ne manquait pas quelquefois d'énergie et de profondeur; il connaissait le cœur de l'homme aussi-bien que Racine; et lorsqu'on lui demandait où il l'avait étudié, C'est en moi-même, répondait-il humblement. C'était trop dire, et ne pas dire assez. Sit boni oratoris multa auribus accepisse, multa vidisse, multa animo et cogitatione, multa etiam legendo percurrisse. De or. l. 1. Ce n'est pas au milieu du tourbillon du monde, qu'on en observe les mouvements; c'est du dehors qu'il faut le voir, mais n'en être pas éloigné; car si de trop près le coup-d'œil est confus, de trop loin il serait trop vague; et Massillon était à la distance que l'observation demandait. Venons à la classe du peuple.

Il devrait y avoir pour lui, dans une ville comme Paris, une mission perpétuelle; car dans les instructions qui lui sont adressées, l'éloquence qui lui convient n'est presque jamais employée.

C'est avec lui sur-tout qu'elle doit être en sentiments et en images; c'est avec lui que le premier talent de l'orateur est l'action. Nos beaux parleurs font vanité de mépriser les missionnaires. C'est d'eux pourtant qu'on doit apprendre à parler au peuple avec fruit, à l'attirer en foule, à le frapper des vérités qui l'intéressent, à le toucher, à l'émouvoir. Je sais bien que cette éloquence a ses excès et ses abus; qu'on n'en a fait que trop souvent une pantomime indécente. Mais ce n'était pas lorsque Bridaine jouait de la flûte en chaire, ou qu'il y montrait un squelette (si toutefois il est vrai, comme on le dit, qu'il ait employé ces moyens); ce n'était pas alors qu'il était un modèle de l'éloquence populaire; c'est, par exemple, lorsqu'en prêchant la passion, il disait: J'ai lu, mes frères, dans les livres saints, que, lorsque sur les chemins on trouvait un homme assassiné, on faisait assembler tous les habitants d'alentour, et on les faisait tous jurer l'un après l'autre, sur le cadavre, qu'ils n'étaient ni auteurs ni complices du meurtre; mes frères, voilà l'homme qu'on a trouvé assassiné; que chacun de vous approche donc, et qu'il jure, s'il l'ose, qu'il n'a point de part à sa mort. »

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Rappellerai-je encore sur le même sujet une parabole employée par ce même missionnaire, qu'on a voulu faire passer pour un bouffon? « Un homme accusé d'un crime dont il était innocent, était condamné à la mort par l'iniquité

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