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sentence à la main. Tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez. La nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité! l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû sans doute réserver pour vous seuls. Et qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damneraient peut-être sans vous sauver? Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une longue expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras, en versant des larmes de componction et de repentir, et à force de remords, vous me trouverez assez éloquent. »

Quel ton! quelle simplicité! quelle austérité imposante! Voilà, ce me semble, le vrai modele de l'éloquence apostolique. Mais avec un caractère moins haut, moins étonnant, l'orateur peut avoir encore une éloquence pathétique; et alors ses mouvements ont moins d'indignation contre le vice, que d'intérêt pour l'humanité et d'amour pour la vertu. C'est l'éloquence des cœurs tendres, des ames douces et sensibles; c'est, comme je l'ai dit, l'éloquence de Massillon. Elle n'opere pas des révolutions si soudaines; et pour ce qu'on appelle des cœurs de bronze, elle est trop faible:

mais sur des ames d'une trempe moins dure, et c'est le plus grand nombre, elle peut faire sans violence de profondes impressions. Son avantage est d'être conciliatrice et attrayante, de faire aimer la vérité, tandis qu'une éloquence plus forte et plus austère la fait craindre. L'une ressemble à un ami sage, mais indulgent et consolant; l'autre à un juge redoutable; or il faut vaincre sa répugnance pour s'abaisser devant son juge, et il ne faut que suivre son penchant pour se livrer à son ami.

Au reste, l'éloquence est un remède; et selon le genre des maladies et la complexion des malades, un sage orateur sait le rendre ou plus doux ou plus violent.

Enfin, si le talent de l'orateur est cette force de raison véhémente et irrésistible, qui subjugue l'entendement, et contre laquelle le mensonge et l'erreur n'ont ni défense ni refuge; s'il est l'homme dont le grand Condé disait, en voyant Bourdaloue monter en chaire, Silence, voilà l'ennemi; c'est à lui qu'appartiennent ces sujets, où, en discutant les plus grands intérêts de l'homme, on lui démontre que ses vices font de lui un esclave; ses passions, une victime; et ses erreurs, un insensé; que lui-même il forge les chaînes qui le flétrissent et qui l'accablent; que pour lui, le plus capricieux, le plus tyrannique des maîtres, c'est sa volonté, libre comme il veut qu'elle le soit, c'est-à-dire sans frein ni loi; que la nature

Élém. de Littér. I.

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et la raison sont trop souvent des guides infide les; que le sens intime s'altère et s'obscurcit; que l'opinion change, non-seulement d'un temps à l'autre en même lieu, d'un lieu à l'autre en même temps, mais dans un monde qui vit ensemble, et bien souvent dans le même homme, et d'un jour, d'un moment à l'autre; que toute règle qui fléchit doit avoir elle-même un modèle inflexible pour se rectifier, et que ce modèle est la loi: non pas uniquement la loi de l'homme, qui ne peut être que défectueuse et vacillante comme lui; mais la loi d'un être immuable, incorruptible par essence, qui ne peut ni tromper ni se tromper jamais, dont l'intelligence est sagesse. la volonté justice, la puissance vertu, et dont l'unique dessein sur l'homme est le désir de le rendre heureux.

Du mélange de ces couleurs primitives de l'éloquence, se formeront, et selon le génie de l'orateur, et selon la nature des sujets qu'il méditera. une infinité de nuances. Le meilleur même de tous les genres sera celui qui participera de tous: car si, en parlant à un seul homme', il est bon de savoir affecter successivement son esprit et son cœur; de savoir agir par la raison sur son entendement, sur son imagination par de vives peintures, sur son ame par la chaleur et la force du sentiment; combien plus la réunion de ces moyens n'est-elle pas avantageuse, lorsque c'est une multitude assemblée qu'il s'agit de rendre

attentive et docile, de désabuser et d'instruire, d'intéresser et d'émouvoir, en un mot, de persuader? Quel effet un tableau terrible ne fait-il pas au milieu d'un raisonnement simple et calme? quelle chaleur les mouvements de l'ame ne répandent-ils pas dans une suite d'inductions et de preuves? quelle force que celle de l'interrogation, pour convaincre; de l'accumulation, pour accabler; de la gradation, pour confondre; de l'indignation, du reproche, de la menace, pour troubler, pour épouvanter l'auditeur? quel attrait que celui d'un intérêt sensible, quand l'orateur, après avoir humilié, confondu, rempli l'assemblée de trouble et de terreur, semble relever, embrasser, ranimer dans son sein, et présenter à à Dieu le pécheur humble et repentant? Telles sont les vicissitudes de l'éloquence de la chaire; et celui-là seul en possède le talent dans sa plénitude, qui est en état d'en déployer et d'en mouvoir tous les ressorts.

Toutefois, dans les grandes choses, comme dans les petites, il faut se souvenir du précepte du fabuliste :

Ne forçons point notre talent.

Rien n'est plus froid, et bien souvent rien n'est plus ridicule qu'un pathétique simulé. Pour paraître ému, attendez que vous le soyez en effet; et pour cela pénétrez-vous d'abord, pénétrezvous profondément de la vérité, de l'importance

du sujet que vous méditez; observez, en le meditant, quels sont les endroits où vous êtes vousmème saisi, troublé de crainte, attendri de pitié, suffoqué de douleur, soulevé d'indignation; alors laissez parler votre ame, laissez couler de votre plume, à fiots rapides, une éloquence passionnée; la place en est marquée par la nature; le succès en est sûr : tout ce qui vient du cœur va au cœur infailliblement. Mais si vous avez pris une légère effervescence d'imagination pour une émotion réelle, si vos mouvements oratoires sont recherchés, étudiés, et artistement arrangés, vous ne serez en chaire qu'un froid comédien; et le comble de l'indécence est d'y paraître exprimer ce qu'on ne sent pas.

Un autre rapport détermine le caractère de l'éloquence; c'est le rapport de convenance avec la classe d'hommes qui formera l'auditoire auquel on se propose de parler.

Je distingue trois de ces classes: le monde, le peuple, et la cour.

Par le monde, on entend un ordre de citoyens d'un esprit cultivé et d'un goût difficile. Pour l'instruire, il faut l'attirer; pour l'attirer, il faut lui plaire; pour lui plaire, il faut s'accommoder à la délicatesse de ce goût sévère et frivole, qui veut de l'élégance à tout.

Athéniens, disait Démosthène, lorsqu'il s'agit du destin de la Grèce, qu'importe si j'ai employé ce terme-ci ou celui-là, si j'ai porté ma main de

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