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nace du dieu des mers; le trouble que Typhée, en soulevant l'Etna, vient de répandre chez les morts; et l'effroi qu'inspire la foudre dans la main redoutable de Jupiter tonnant du haut des cieux.

Quand le génie, au lieu d'agrandir la nature, l'enrichit de nouveaux détails; ces traits choisis et variés, ces couleurs si brillantes et si bien assorties, ces tableaux frappants et divers font voir, en un moment et comme en un seul point, tant d'activité, d'abondance, de force, et de fécondité dans la cause qui les produit, que la magnificence de ce grand spectacle nous jette dans l'étonnement; mais l'admiration se partage inégalement entre le peintre et le modèle, selon que l'impression du beau se réfléchit plus ou moins sur l'artiste ou sur son objet, et que le travail nous semble plus ou moins au-dessus ou au-dessous de la matière.

En imitant la belle nature, souvent l'art ne peut l'égaler; mais de la beauté du modèle et du mérite encore prodigieux d'en avoir approché, résulte en nous le sentiment du beau. Ainsi, lorsque le pinceau de Claude Lorrain ou de Vernet a dérobé au soleil sa lumière, qu'il a peint le vague de l'air, ou la fluidité de l'eau; lorsque, dans un tableau de Van - Huysum, nous croyons voir, sur le duvet des fleurs, rouler des perles de rosée, que l'ambre du raisin, l'incarnat de la rose y brille presque en sa fraîcheur; nous

jouissons avec délices, et de la beauté de l'objet, et du prestige de l'imitation.

La vérité de l'expression, quand elle est vive et qu'on suppose une grande difficulté à l'avoir saisie, fait dire encore de l'imitation qu'elle est belle, quoique le modèle ne soit pas beau. Mais si l'objet nous semble, ou trop facile à peindre, ou indigne d'être imité, le mépris, le dégoût, s'en mêlent; le succès même du talent prodigué ne nous touche point; et tandis que le pinceau minutieux de Girard Dow nous fait compter les poils du lièvre, sans nous causer aucune émotion; le crayon de Raphaël, en indiquant d'un trait une belle attitude, un grand caractère de tête, nous jette dans le ravissement.

Il en est de la poésie comme de la peinture; quel effet se promet un pénible écrivain, qui pâlit à copier fidèlement une nature aussi froide que lui? Mais que le modèle soit digne des efforts de l'art, et que ces efforts soient heureux; les deux beautés se réunissent, et l'admiration est au comble. L'ouvrage même peut être beau, sans que l'objet le soit, si l'intention est grande et le but important; c'est ce qui élève la comédie au rang des plus beaux poëmes, et ce qui mérite à l'apologue ce sentiment d'admiration que le beau seul obtient de nous.

Que Molière veuille arracher le masque à l'hypocrisie; qu'il veuille lancer sur le théâtre un censeur âpre et vigoureux des vices criants de

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son siècle; que La Fontaine, sous l'appât d'une poésie attrayante, veuille faire goûter aux hommes la sagesse et la vérité; et que l'un et l'autre aient choisi dans la nature les plus ingénieux moyens de produire ces grands effets; tout occupés du prodige de l'art et du mérite de l'artiste, nous nous écrions, Cela est beau! et notre admiration se mesure aux difficultés que l'artiste a dû vaincre, et à la force de génie qu'il a fallu pour les surmonter.

De là vient que, dans un poëme, des vers où l'énergie, la précision, l'élégance, le coloris et l'harmonie se réunissent sans effort, sont une beauté de plus, et une beauté d'autant plus frappante, qu'on sent mieux l'extrême difficulté de captiver ainsi la langue et de la plier à son gré.

De là vient aussi que, si l'art veut s'aider de moyens naturels pour faire son illusion et pour produire ses effets, il retranche de ses beautés, de son mérite et de sa gloire. Qu'un décorateur emploie réellement de l'eau pour imiter une cascade, l'art n'est plus rien; je vois la nature en petit, et chétivement présentée; mais qu'avec un pinceau ou les plis d'une gaze, on me représente la chûte des eaux de Tivoli, ou les cataractes du Nil; la distance prodigieuse du moyen à l'effet m'étonne et me transporte de plaisir.

Il en est de même de l'éloquence. Il y a de l'adresse, sans doute, à présenter à ses juges les enfants d'un homme accusé, pour lequel on de

mande grâce, ou à dévoiler à leurs yeux les charmes d'une belle femme qu'ils allaient condamner et qu'on veut faire absoudre; mais cet art est celui d'un adroit corrupteur, ou d'un solliciteur habile; ce n'est point l'art d'un orateur. Les dernières paroles de César, répétées au peuple romain, sont un trait d'éloquence de la plus rare beauté; sa robe ensanglantée, déployée sur la tribune, n'est rien qu'un heureux artifice. A ne comparer que les effets, un charlatan l'emportera sur l'orateur le plus éloquent; mais le premier emploie des moyens matériels, et c'est par les sens qu'il nous frappe; le second n'emploie que la puissance du sentiment et de la raison, c'est l'ame et l'esprit qu'il entraîne; et si on ne dit jamais du charlatan, qu'il fait de belles choses, quoiqu'il opère de grands effets, c'est que ses moyens trop faciles n'annoncent, du côté de l'art et du génie, aucun des caractères qui distinguent le beau; tandis que les moyens de l'orateur, réduits au charme de la parole, annoncent la force et le pouvoir d'une ame qui maîtrise toutes les ames par l'ascendant de la pensée, ascendant merveilleux, et l'un des phénomènes les plus frappants de la nature.

Le pathétique, ou l'expression de la souffrance, n'est pas une belle chose dans son modèle. La douleur d'Hécube, les frayeurs de Mérope, les tourments de Philoctète, le malheur d'OEdipe ou d'Oreste, n'ont rien de beau dans la réalité;

et c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau dans l'imitation: beauté d'effet, prodige de l'art, de se pénétrer avec tant de force des sentiments d'un malheureux, qu'en l'exposant aux yeux de l'imagination, on produise le même effet que s'il était présent lui-même, et que, par la force de l'illusion on émeuve les cœurs, on arrache les larmes, on remplisse tous les esprits de compassion ou de terreur.

Ainsi, soit dans la nature, soit dans les arts, soit dans les effets qui résultent de l'alliance et de l'accord de l'art avec la nature, rien n'est beau que ce qui annonce, dans un degré qui nous étonne, la force, la richesse, ou l'intelligence, de l'une ou l'autre de ces deux causes, ou de toutes deux à-la-fois.

On peut dire qu'il y a du vague dans les caractères que nous donnons au beau. Mais il y a aussi du vague dans l'opinion qu'on y attache: l'idée en est souvent factice, et le sentiment relatif à l'habitude et au préjugé. Par exemple, la même couleur qui est riche et belle aux yeux d'une classe d'hommes, n'est pas telle aux yeux d'une autre classe, par la seule raison que la teinture en est commune et de vil prix. Pourquoi ne dit-on pas du lever du soleil, ou de son coucher, qu'il est beau quand le ciel est pur et serein? Et pourquoi le dit-on, lorsque sur l'horizon il se rencontre des nuages sur lesquels il semble répandre la pourpre et l'or? C'est que

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