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parmi ces ressemblances génériques, on aperçoit des différences spécifiques et locales, et puis encore des différences individuelles et accidentelles à l'infini. De-là mille peintures du même caractere, de la même passion, du même vice, de la mème vertu, qui ont toutes leur vérité. Mais cette vérité sera plus ou moins curieuse et intéressante, plus ou moins finement saisie, ou ingénieusement exprimée; elle attachera plus ou moins l'esprit et l'ame; elle aura plus ou moins d'agrément et d'attrait, selon le choix de son objet et les couleurs dont il sera peint. C'est ici que le gout s'exerce dans l'invention et le discernement du bien, du mieux, du mieux encore; et qu'on voit l'art réfléchi sur lui-même, s'observant, s'essayant, déployant ses moyens, creusant plus avant dans ses sources, enfin, se corrigeant, se surpassant lui-même, et non content de ses succès, se provoquant à de nouveaux efforts.

Voyez cent élèves rangés autour d'un modèle commun: leurs dessins lui ressemblent tous, et il n'y en a pas deux qui se ressemblent; telle est la nature, au milieu des orateurs et des poëtes. De-là cette diversité inépuisable dans les productions de l'esprit et du génie imitateur.

Si donc chacun, dans son point de vue, a bien saisi l'objet, et l'a bien exprimé, chacun, me direz-vous, n'a-t-il pas réussi? Non, car ils n'ont pas tous également rempli l'intention de l'art

qui est d'intéresser et de plaire. C'est un talent

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que de bien rendre ce que l'on voit; mais tout ce qui frappe la vue n'est pas digne de la fixer; tous les événements ne sont pas mémorables; tous les caractères ne sont pas attachants; toutes les situations, tous les accidents, tous les détails de la vie humaine ne sont pas curieux à peindre; et dans l'action même la plus intéressante, toutes les circonstances ne le sont pas. Une nature froide, commune, indifférente, une nature qui ne dit rien à l'ame et à l'esprit, ou qui ne dit pas ce que l'objet de l'art veut qu'elle dise, ou qui le dit trop faiblement, aura sa vérité, mais une vérité sans énergie, sans intérêt, sans agrément. Trouver en soi, ou dans la nature, la vérité relative à l'effet que se propose l'art, c'est l'invention du génie; la choisir ou la composer, comme le peintre sa couleur, et telle que l'art la demande, c'est l'inspiration du goût, et du goût le plus éclairé. Or on sent bien qu'il ne peut l'être ainsi, que par une étude assidue et profondément réfléchie, non- seulement de la simple nature, non-seulement de la nature cultivée et modifiée, mais des moyens, des procédés et des productions de l'art, des tentatives qu'il a faites, des succès qu'il a obtenus, des progrès qu'il peut faire encore; et tel fut le goût des Ro

mains.

Le mérite éminent des Grecs, et une gloire qui les distingue, est d'avoir été inventeurs, et de n'avoir eu pour modèles, et pour objets de

Elem Littér. I.

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comparaison, que la nature et leurs propres ouvrages. Les Romains au contraire, furent imitateurs. La Grèce leur transmit les arts: ce fut sa plus riche dépouille.

Græcia capta ferum victorem cœpit, et artes
Intulit agresti Latio. (HORAT.)

Tous ces arts ne leur semblèrent pas également dignes de leur émulation; mais dans celui de parler et d'écrire, après avoir été les disciples des Grecs, ils en devinrent les rivaux; et en s'efforçant de les atteindre, ils eurent quelquefois la gloire de les surpasser.

A ne regarder la poésie et l'éloquence que du côté du naturel, de l'énergie, et de ces beautés principales que le génie enfante, rien sans doute n'est au-dessus d'Homère, de Sophocle et de Démosthène. Mais si l'on réfléchit aux nouveaux degrés de perfection où l'art s'est élevé, toujours guidé par la nature, dans la poésie de Virgile, dans l'éloquence de Cicéron, l'on avouera que l'abondance, la variété, la souplesse, l'artifice prodigieux et les ressources infinies de Cicéron dans ses harangues; que la richesse, l'économie, la perfection des détails, le mélange et l'accord de toutes les beautés et de toutes les gråces, dans les deux poemes de Virgile, sont, au moins du côté du goût, des avantages que les imitateurs se sont donnés sur leurs modèles; et ces deux exemples suffisent pour marquer les progrés du

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goût, lorsque l'art veut se consulter en même temps que la nature, voir dans ce qu'il a fait ce qui lui reste à faire, et se donner pour règle l'exemple de César :

Nil actum reputans, si quid superesset agendum. (Luc.)

J'ai dit qu'à Rome la poésie s'était formée à l'école de l'éloquence; et en effet, de l'une à l'autre, l'art d'intéresser et de plaire a tant d'analogie et tant d'affinité, que tous les grands moyens en sont presque les mêmes, et que les règles de vraisemblance, de convenance, de bienséance, sont presque absolument communes au poëte et à l'orateur est finitimus oratori poëta. (CIC.) Voyez dans les livres de Cicéron, sur les procédés de son art, quelles sont les sources du pathétique, et quelle espèce d'émotion il est possible de tirer de la nature et du fond de la cause, de la condition, de l'âge, du caractère, de la fortune, de la situation des personnes et de leurs relations diverses; c'est pour le poëte tragique la plus profonde des études. Voyez pour la narration, les circonstances où l'orateur doit appuyer, celles qu'il doit omettre, ou sur lesquelles il doit glisser rapidement, ce qu'il doit relever, ce qu'il doit affaiblir, ce qu'il doit esquisser ou peindre, comment il peut rendre sensible l'action qu'il décrit, et de quels mouvements il la doit animer; c'est encore là pour l'épopée la meilleure des théories. Consultez enfin ce grand maître

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sur les manoeuvres du plaidoyer, sur l'attaque et sur la défense, la preuve et la réfutation, l'emploi des moyens pathétiques; ce même art, s'il est appliqué à la scène passionnée (sauf le degré de véhémence et de chaleur qu'elle doit avoir); cet art, dis-je, nous donnera le dialogue le plus naturel, le plus vif et le plus pressant.

Je ne doute pas que les Grecs n'eussent la même théorie; mais les Romains me semblent l'avoir portée encore plus loin, soit parce qu'ils partaient du point jusqu'où les Grecs étaient allés, soit parce qu'ils étaient pressés par cette ingénieuse et inventive nécessité, qui, dans l'urgence continuelle des grands périls et des grands besoins, aiguise l'industrie des hommes comme l'instinct des animaux.

Dans Athènes comme dans Rome, un citoyen fait pour les grandes places, avait un intérêt pressant et capital de se rendre éloquent. Sa fortune, son rang, ses fonctions publiques, l'exposaient tous les jours à la censure de la haine aux délations de l'envie; il fallait qu'il fût en défense. Mais à Rome, il avait à remuer et à conduire un peuple différent du peuple athénien. Il s'agissait pour lui de ménager, non-seulement l'arrogance républicaine et l'orgueil des maîtres du monde, mais l'esprit plus jaloux, plus ombrageux encore des partis et des factions. De-là cette frayeur avec laquelle Cicéron regardait les détroits, les écueils, les naufrages de l'éloquence

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