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effet l'abondance mesurée, mais non pas la profusion et l'intarissable loquacité qui semble être aujourd'hui l'attribut de l'éloquence du barreau. On tire au volume, non pas pour la raison qu'en donne Pline, qu'il en est d'un bon livre comme de toute autre chose, et que plus il est grand, meilleur il est; mais parce que les plaideurs, dit-on, mesurent le prix du plaidoyer à son étendue et à sa durée. Misérable motif pour noyer, dans un déluge de paroles, une cause dont la bonté, pour être visible et palpable, n'aurait besoin le plus souvent que d'être exposée en peu

de mots.

Une autre cause que Pline allègue, et qui revient à la réponse que l'avocat Dumont fit à M. de Harlay, c'est que parmi les juges, les uns sont frappés des bonnes raisons, les autres des mauvaises, et que tous les moyens trouvant leur place, il n'en faut négliger aucun. Mais cette méthode est-elle sûre? est-elle honnête et permise? L'un et l'autre est au moins douteux.

Quand de mauvais moyens trouveraient quelquefois leur place, il y a peut-être moins d'avantage que de risque à les employer. Ils sont faciles à détruire; et donnant prise à la réplique, ils laissent un grand avantage à un adversaire éloquent. De plus, les mauvaises raisons ont l'inconvénient de noyer les bonnes et de les affaiblir en s'y mêlant. Un moyen faible ou équivoque, donné pour décisif et pour victorieux, si

le juge en sent la faiblesse, lui rend suspect ou le bon sens, ou la bonne foi du sophiste, l'indispose contre celui qui l'a cru assez simple pour sy laisser tromper, fait perdre à ses bonnes raisons leur autorité naturelle, et fait mal présumer d'une cause où l'on se voit réduit à de pareils secours. Aussi, pour une fois qu'un adversaire négligent ou maladroit aura laissé passer un moyen faux sans le détruire, ou qu'un juge ébloui sy sera laissé prendre, il doit arriver mille fois que la fausseté du moyen soit reconnue, et qu'il nuise à la cause pour laquelle il est employé.

Dans les dialogues de Cicéron sur l'orateur, Antoine ne balance pas à décider que, parmi les moyens que présente une cause, il faut choisir avec soin les meilleurs et les plus forts, négliger les plus faibles, et ne jamais employer les mauvais. Voyez l'article PREUVE.

Mais quand la méthode contraire serait aussi prudente qu'elle l'est peu, la croirait-on bien légitime? « La vérité, qui est naturellement généreuse, dit le Maître, inspire des sentiments trop nobles pour se servir d'autres moyens que ceux qui sont honnêtes : » or le mensonge ne l'est pas; et un sophisme, connu pour tel par celui qui l'emploie, est un mensonge artificieux, c'està-dire une double fraude.

« Qu'importe, dira-t-on, si ma cause est bonne, par quels moyens je la fais réussir? Tout est juste pour la justice. Le mensonge même est permis

en faveur de la vérité. Est-ce la faute de l'avocat s'il a pour juges des hommes que la droite raison, que la vérité simple ne peut persuader, et dont l'esprit faux n'est frappé que des fausses lueurs d'un sophisme? Mon devoir est de gagner ma cause, dès que moi-même je la crois bonne: et pourvu que j'arrive au but, il est indifférent que j'aie pris le droit chemin, ou le détour. »

C'est là sans doute ce qu'on peut alléguer de plus favorable aux artifices de l'éloquence. Mais dans cette supposition même que de faux moyens sont nécessaires pour persuader des esprits faux. et qu'il en est de tels parmi les juges, il y aura toujours de la mauvaise foi à donner de la valeur à ce qui n'en a point; et le sophisme n'en est pas moins la fausse monnaie de l'éloquence. C'est au juge de savoir discerner le vrai, c'est à l'avocat de le dire; il est un faussaire, s'il le déguise; un fourbe, s'il donne au mensonge les couleurs de la vérité.

De la doctrine de Plutarque, qui permet d'employer l'éloquence des passions, et de celle de Pline, qui consent qu'on emploie tous les moyens bons ou mauvais, on semble s'être fait au barreau un système de probabilisme tout-à-fait commode pour la mauvaise foi des plaideurs. Vous vous êtes chargé là d'une bien mauvaise cause, disait un juge à un avocat célèbre! J'en ai tant perdu de bonnes, répondit l'avocat, que j'ai le parti de les plaider sans choix et telles qu'elles se présentent.

pris

Ce n'est donc pas à la bonté réelle et absolue d'une cause, mais à sa bonté apparente et relative à l'esprit des juges, qu'on voit si l'on peut s'en charger; et ceci est bien plus à la honte de la jurisprudence qu'à la honte du barreau.

Ne serait-il pas effroyable que l'incertitude, ou plutôt la contrariété constante des jugements, fùt si bien reconnue, qu'un habile avocat pût dire avec assurance, telle cause que j'ai perdue à ce tribunal, je vais la gagner à cet autre? estil croyable qu'on ait laissé les lois dans cet état d'avilissement? et des juges qui n'ont aucun intérêt de compliquer, d'accumuler, de perpétuer les procès, peuvent-ils ne pas recourir au souverain, pour demander une législation simple et constante, qui les sauve du péril d'être eux mêmes les jouets de la mauvaise foi?

Concluons que rien n'est plus glissant que la carrière de l'avocat, que rien n'est plus difficile à marquer que les limites de son devoir et les bornes où se renferme une défense légitime, et que pour lui l'abus du talent est un écueil inévitable, si la droiture de son cœur et son intégrité naturelle ne l'éclaire et ne le conduit. « L'éloquence n'est pas seulement une production de l'esprit, dit M. d'Aguesseau en s'adressant aux avocats, c'est un ouvrage du cœur; c'est là que se forme cet amour intrépide de la vérité, ce zèle ardent de la justice, cette vertueuse indépendance dont vous êtes si jaloux, ces grands, ces

généreux sentiments qui élèvent l'homme, qui le remplissent d'une noble fierté et d'une confiance magnanime, et qui, portant encore votre gloire plus loin que l'éloquence même, font admirer l'homme de bien en vous, beaucoup plus que l'orateur. >>

Les bonnes mœurs d'un avocat seront toujours sa première éloquence. Un fripon, connu pour tel, peut plaider une bonne cause; mais ses moyens auraient besoin de l'expédient qu'on prenait à Lacédémone, de faire passer l'opinion d'un mauvais citoyen, lorsqu'elle était salutaire, par la bouche d'un homme de bien, comme pour la purifier.

BAS. Ce mot, appliqué au caractère des idées. des sentiments, des expressions, ne signifie pas la même chose.

La bassesse des idées et des expressions tient absolument à l'opinion et à l'habitude; et bas, dans cette acception, est synonyme de trivial. La bassesse des sentiments est plus réelle; elle suppose dans l'ame l'un de ces caractères, fausseté. lâcheté, noirceur, abjection, etc.

Ce qui étonnera peut-être, c'est que le genre noble, soit d'éloquence, soit de poésie, n'exclut que la bassesse de convention, et admet, comme susceptible d'ennoblissement, ce qui n'est ba que de sa nature.

Félix, dans Polyeucte, dit en parlant des sen

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