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est donc bien réel du côté des connaissances progressives, comme la physique, l'astronomie, les mécaniques; la mémoire et l'expérience du passé, les vérités qu'on aura saisies, les erreurs où l'on sera tombé, les faits qu'on aura recueillis, les secrets qu'on aura surpris et dérobés à la nature, les soupçons même qu'aura fait naître l'induction ou l'analogie, seront des richesses acquises; et quoique, pour passer d'un siècle à l'autre, il leur ait fallu franchir d'immenses déserts d'ignorance, il s'est encore échappé, à travers la nuit des temps, assez de rayons de lumière pour que les observations, les découvertes, les travaux des anciens aient aidé les modernes à pénétrer plus avant qu'eux dans l'étude de la nature et dans l'invention des arts.

Mais en fait de talents, de génie, et de goût, la succession n'est pas la même. La raison et la vérité se transmettent, l'industrie peut s'imiter; mais le génie ne s'imite point, l'imagination et le sentiment ne passent point en héritage. Quand même les facultés naturelles seraient égales dans tous les siècles, les circonstances qui développent ou qui étouffent les germes de ces facultés, se varient à l'infini; un seul homme changé, tout change. Qu'importe que, sous Attila et sous Mahomet, la nature eût produit les mêmes talents que sous Alexandre et sous Auguste?

Il y a plus: après deux mille ans, la vérité ensevelie se retrouve dans sa pureté, comme l'or;

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et pour la découvrir il ne faut qu'un seul homme. Copernic a vu le systême du monde, comme s'il fût sorti tout récemment de l'école de Pythagore. Combien d'arts et combien de sciences, après dix siècles de barbarie, ont repris leurs recherches au même point où l'antiquité les avait laissées?

Mais quand le flambeau du génie est éteint; quand le goût, ce sentiment si délicat, s'est dépravé; quand l'idée essentielle du beau, dans la nature et dans les arts, a fait place à des conceptions puériles et fantasques, ou absurdes et monstrueuses; quand toute la masse des esprits est corrompue dans un siècle, et depuis des siècles; quels lents efforts ne faut-il pas à la raison et au génie même, pour se dégager de la rouille de l'ignorance et de l'habitude; pour discerner, parmi les exemples de l'antiquité, ceux qu'il est bon de suivre et ceux que l'on doit éviter?

Perrault, ses partisans, et ses adversaires, ont tous eu tort dans cette dispute; aux uns, c'est le bon goût qui manque; et aux autres, la bonne foi.

Quelle pitié de voir, dans les Dialogues sur les anciens et les modernes, opposer sérieusement Mézerai à Tite-Live et à Thucydide, sans daigner parler de Xénophon, de Salluste, ni de Tacite; de voir opposer l'avocat le Maître à Cicéron et à Démosthène; Chapelain, Desmarets, le Moine, Scudéri, à Homère et à Virgile; de voir dépri

mer l'Iliade et l'Énéïde, pour exalter le Clovis, le Saint-Louis, l'Alaric, la Pucelle; de voir donner aux romans de l'Astrée, de Cléopâtre, de Cyrus, de Clélie, le double avantage de n'avoir aucun des défauts que l'on remarque dans les anciens poëtes, et d'offrir une infinité de beautés nouvelles, notamment plus d'invention et plus d'esprit que les poëmes d'Homère; de voir préférer les poésies de Voiture, de Sarazin, de Benserade, pour leur galanterie fine, délicate, spirituelle, à celles de Tibulle, de Properce, et d'Ovide! etc.

Il n'est pas étonnant, je l'avoue, qu'un parallèle si étrange ait ému la bile aux zélateurs de l'antiquité. Mais aussi dans quel autre excès ne sont-ils pas tombés eux-mêmes? Une si bonne cause avait-elle besoin d'être soutenue par des injures? était - ce à la grossièreté pédantesque à venger le goût? Leur mauvaise foi rappelle ce que l'on raconte d'un homme qui par systême ne convenait jamais des torts de ses amis. On lui en demanda la raison. Si j'avouais, dit-il, que mon ami est borgne, on le croirait aveugle. Mais les amis des anciens n'avaient pas cette injustice à craindre; et d'ailleurs ne voyaient-ils pas que ne rien céder, c'était donner prise sur eux et présenter un côté faible? Avait-on besoin de leur aveu, pour savoir que les grands hommes qu'ils défendaient étaient des hommes? On sait bien que l'inégalité est le partage du génie. Avaientils peur que les beautés d'Homère ne fissent pas

oublier ses défauts? Pourquoi ne pas reconnaître que de longues harangues étaient déplacées au milieu d'un combat; que des comparaisons prolongées au-delà de la similitude, choquaient le bon sens et le goût; qu'une foule de détails pris dans les mœurs antiques, mais sans noblesse et sans intérêt, n'étaient pas dignes de l'épopée; que le langage des héros d'Homère était souvent d'un naturel qui ne peut plaire dans tous les temps; que si Homère avait voulu se jouer de ses dieux, en les représentant railleurs, colères, emportés, capricieux, il avait tort; que s'il les avait peints de bonne foi, d'après la croyance publique, il avait tort encore de n'avoir pas été plus philosophe que son siècle; et que, s'il les avait imaginés tels lui-même, il avait dormi et fait de ridicules songes? Après avoir reconnu ces défauts, n'avait-on pas à louer en lui la poésie au plus haut degré; le coloris et l'harmonie; la hardiesse du dessin et la beauté de l'ordonnance; la plus étonnante fécondité, soit dans l'invention de ses caractères, soit dans la composition de ses groupes; la véhémence de ses récits et la chaleur de ses peintures; la grandeur même de son génie dans l'usage du merveilleux; le premier don du poëte enfin, l'art de tout animer et de tout agrandir, cet art créateur et fécond, qui a frappé, rempli, échauffé tant de têtes dans tous les siècles, et tant donné à peindre, après lui, et à la plume et au pinceau?

Après avoir avoué que dans l'Enéïde l'action manquait de rapidité, de chaleur, et de véhémence; que les passions s'y mêlaient trop rarement, et laissaient de trop grands intervalles vides; que tous les caractères, excepté Didon, étaient faiblement dessinés; que celui d'Énée, sur-tout, n'avait ni force ni grandeur, que les six derniers livres étaient une très-faible imitation de l'Iliade, etc. N'avait-on pas à dire que les six premiers étaient une imitation merveilleusement embellie et ennoblie de l'Odyssée? que jamais la mélodie des vers, l'élégance du style, la poésie des détails, l'éloquence du sentiment, le goût exquis dans le choix des peintures, n'avaient été à un si haut point dans aucun poëte du monde?

Après avoir avoué que Sophocle et Euripide étaient inférieurs à Corneille et à Racine pour la belle ordonnance de l'action théâtrale, l'économie du plan, l'opposition des caractères, la peinture des passions, l'art d'approfondir le cœur humain, d'en développer les replis; n'avait - on pas à faire valoir le naturel, la simplicité, le pathétique des poëtes Grecs, et sur-tout leur force tragique?

Après avoir mis fort au-dessous de Molière, Aristophane, Plaute, et Térence, ne leur eût-on pas laissé la gloire d'avoir formé eux-mêmes dans leur art celui qui les a surpassés! Et si la Fontaine a porté dans la fable le génie de la poésie:

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