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A mesure qu'une langue se polit, que le goût s'épure, les divers styles se divisent et leur cercle se rétrécit. Le goût leur faisant le partage des termes et des tours propres à chacun d'eux, une partie de la langue est réservée à chacune des classes dont nous avons parlé, une partie aux arts et aux sciences, une partie au barreau, une partie à la chaire et aux ouvrages mystiques; la prose même est obligée de céder aux vers une foule d'expressions hardies et fortes, qui l'auraient animée, ennoblie, élevée, si l'usage les y eût admises.

Bien des gens regrettent la langue d'Amyot et de Montaigne, comme plus riche et plus féconde; c'est qu'elle admettait tous les tons; mais elle les confondait tous. Le goût, qui les a démêlés, a rendu l'art d'écrire plus difficile, mais plus savant, plus habile à tout exprimer. Il était impossible que, sans distribuer ses tons, ses couleurs, ses nuances, cette langue pût se donner un Molière et un Bossuet, un Racine et un La Fon

taine.

On a prétendu que la diversité des tons, dans une langue, tenait à la distinction des rangs. Mais la nature a ses distinctions ainsi que l'usage et la mode. L'égalité civile n'exclut pas la noblesse des idées et des images. Cratinus et Sophocle, Plaute et Pacuvius étaient républicains, et n'avaient pas le même ton. En comparant Lucrèce avec Térence, les satires d'Horace avec ses

odes, ou avec l'Énéïde, on sent que leur langue avait, comme la nôtre, ses tons gradués et distincts. Les nuances nous en échappent; mais elles n'échappaient ni à Lælius ni à Mécène. Soit république ou monarchie, il y aura donc pour tous les peuples cultivés des différences dans le langage, populaire, noble, héroïque; et cette analogie du style avec le genre, en fait la convenance et la propriété. Mais cette analogie n'est pas la seule à observer en écrivant : en voici encore trois espèces.

Quand la parole exprime un objet qui, comme elle, affecte l'oreille, elle peut imiter les sons par des sons, la vitesse par la vitesse, et la lenteur par la lenteur, avec des nombres analogues. Des articulations molles, faciles et liantes, ou rudes, fermes et heurtées, des voyelles sonores, des voyelles muettes, des sons graves, des sons aigus, et un mélange de ces sons, plus lents ou plus rapides, sur telle ou sur telle cadence, forment des mots qui, en exprimant leur objet à l'oreille, en imitent le bruit ou le mouvement, ou l'un et l'autre à-la-fois comme en latin, boatus, ululatus, fragor, frendere; fremitus, en italien, rimbonbare, tremare; en français, hurlement, gazouiller, mugir.

C'est avec ces termes imitatifs, que l'écrivain forme une succession de sons qui, par une ressemblance physique, imitent l'objet qu'ils expri

ment :

Olli inter sese magná vi brachia tollunt
In numerum.....

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Vidi, atro cum membra fluentia tabo
Manderet, et tepidi tremerent sub dentibus artus.

Les exemples de cette expression imitative sont rares, même dans les langues les plus poétiques. On a mille fois cité une centaine de vers latins ou grecs, qui, par le son et le mouvement, ressemblent à ce qu'ils expriment. Mais plût au Ciel que notre langue n'eût que cet avantage à envier à celles d'Homère et de Virgile!

Une analogie plus fréquente dans les poëtes anciens et dans nos bons poëtes modernes, est celle du style qui peint, non pas le bruit ou le mouvement, mais le caractère idéal ou sensible de son objet. Cette analogie consiste non-seulement dans l'harmonie, mais sur-tout dans le coloris. Alors le style n'est pas l'écho, mais l'image de la nature; impétueux dans la colère, rompu dans la fureur, il peint le trouble des esprits comme celui des éléments. Mais il s'amollit dans la plainte.

Qualis populeá mærens Philomela sub umbrá
Amissos queritur fœtus, quos durus arator
Observans, nido implumes detraxit; at illa

Flet noctem, ramoque sedens miserabile carmen
Integrat, et mæstis late loca questibus implet.

Cette sorte d'analogie suppose un rapport naturel, et une étroite correspondance du sens de

la vue avec celui de l'ouïe, et de l'un et de l'autre avec le sens intime, qui est l'organe des passions. Ce qui est doux à la vue nous est rappelé par des sons doux à l'oreille, et ce qui est riant pour l'ame nous est peint par des couleurs douces aux yeux. Il en est de même de tous les caractères des objets sensibles; le tour, le nombre, l'harmonie, le coloris du style peut en approcher plus ou moins; mais cette ressemblance est vague, et par-là peut-être plus au gré de l'ame qu'une imitation fidèle: car elle lui laisse plus de liberté de se peindre à elle-même ce que l'expression lui rappelle; exercice doux et facile qu'elle se plaît à se donner.

Une autre espèce d'analogie est celle que des impressions répétées ont établie entre les signes de nos idées, et nos idées elles-mêmes.

C'est, comme nous l'avons dit, la première règle de l'art de parler et d'écrire, que l'expression réponde à la pensée. Mais observons que cette liaison, qui le plus souvent est commune à toute une filiation d'idées et de mots, est quelquefois aussi particulière et sans suite, sur-tout dans le langage métaphorique. On dit la vertu des plantes, on ne dit pas des plantes vertueuses. On dit que le travail est rude, et on ne dit pas la rudesse du travail. On dit voler à fleur d'eau, et on ne dit pas que l'eau est fleurie. On dit le mystère pour le secret, et on ne dira point (comme a fait le traducteur d'un poëte allemand) les

myrtes mystérieux, pour dire qui sont l'asyle du mystère. Mais en prenant une idée plus vague, on dira, un ombrage mystérieux. Quelquefois même un simple déplacement des mots change le sens achever de se peindre, et s'achever de peindre, ne signifient point la même chose. L'analogie des mots entre eux n'est donc pas une raison de les appliquer à des idées analogues entre elles: l'usage n'est pas conséquent.

Observons aussi que la liaison établie entre les mots et les idées, est plus ou moins étroite, selon le degré d'habitude, et que de là dépend sur-tout la vivacité, la force, l'énergie de l'expression.

Toutes les fois qu'on veut dépouiller une idée d'un certain alliage qu'elle a contracté dans son expression commune, en s'associant avec des idées basses, ridicules ou choquantes; on est obligé d'éviter le mot propre, c'est-à-dire le mot d'habitude. De même, lorsque par des idées accessoires on veut relever, ennoblir une idée commune; au lieu de son expression simple et habituelle, on a raison d'y employer l'artifice de la périphrase ou de la métaphore.

Lorsqu'Egisthe, parlant à Mérope, veut lui donner de sa naissance l'idée noble qu'il en a luimême, il ne lui dit pas, Mon père est un honnéte villageois; il lui dit :

Sous ses rustiques toits mon père vertueux

Fait le bien, suit les lois, et ne craint que les dieux.

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