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« O terre! ò soleil! ô vertu! avait dit Eschine; et vous, sources du juste discernement, lumières naturelles, lumières acquises, par où nous démèlons le bien d'avec le mal, je vous en atteste : j'ai de mon mieux secouru l'État, et de mon mieux plaidé sa cause. »

Ce n'était là qu'un lieu commun, qu'une déclamation ampoulée, que la conduite et les mœurs d'Eschine ne rendaient pas fort imposante. Aussi de quel ton Démosthène y répondit!

qui

Que pensez-vous, dit-il aux juges, de cet histrion travesti, qui, comme dans une pièce tragique, s'écrie: O terre! ó soleil! ó vertu! invoque les lumières naturelles et les lumières acquises, qui nous éclairent sur le discernement du bien et du mal? car je ne surfais point; vous l'avez entendu proférer de telles paroles. Vous, Eschine, le réceptacle de tous les vices, par où, vous et les vôtres, avez-vous quelque commerce avec la vertu? par où discernez-vous le bien d'avec le mal? dans quelle source avez-vous puisé ce talent lumineux? par quel endroit l'avez-vous mérité? et de quel droit prononcez-vous le nom de lumières acquises? >>

On voit par cet exemple, qu'une raison solide vaut mieux que cent exclamations vagues : flèches bruyantes, mais émoussées, qu'on se renvoie tour-à-tour, et qui ne portent aucune atteinte. Qu'il me soit permis d'achever en deux mots cette métaphore, et de conclure qu'il ne

suffit pas qu'un trait d'éloquence ait des plumes, qu'il faut encore qu'il soit armé d'un fer bien aiguisé, qu'il ait un vol mesuré à son but, qu'une main sûre le décoche, et qu'un œil juste le conduise. Mais cette justesse est l'accord le plus rare du génie et de la raison.

Anacreontique. Genre de poésie lyrique dont la grâce est le caractère, et qui respire la volupté.

Qu'Horace ait imité Anacréon dans quelquesunes de ses odes; que, dans un siècle non moins poli que celui d'Auguste, quelques-uns de nos poëtes français, parmi les délices des festins et les plaisirs de la galanterie, aient eu, dans leurs chansons, cet enjouement, ce tour élégant et facile, ce naturel, cet abandon aimable de la poésie anacréontique, on n'en est point surpris; mais que, long-temps avant que la politesse eût formé le goût, l'on trouve dans nos anciens poëtes des morceaux dignes d'Anacréon; c'est là ce qui étonne agréablement, comme lorsque dans un hameau on rencontre la grâce, fille de la nature, unie à la rusticité. Quoi de plus anacréontique, par exemple, que ce songe de Marot?

La nuit passée, en mon lit, je songeoie
Qu'entre mes bras vous tenais nu à nu;
Mais au réveil se rabaissa la joie

De mon désir, en dormant avenu.

Adonc je suis vers Apollon venu,
Lui demander qu'aviendrait de mon songe.
Lors lui, jaloux de toi, longuement songe,
Puis me répond: Tel bien ne peux avoir.
Hélas! m'amour, fais-lui dire mensonge;
Si confondras d'Apollon le savoir.

Quoi de plus digne encore d'Anacréon, que ces vers du même poëte, parlant à deux de ses rivaux!

Demandez-vous qui me fait glorieux ?
Hélène a dit, et j'en ai bien mémoire,
Que de nous trois elle m'aimait le mieux.
Voilà pourquoi j'ai tant d'aise et de gloire.
Vous me direz, qu'il est assez notoire
Qu'elle se moque, et que je suis deçu.

Je le sais bien, mais point ne le veux croire;
Car je perdrais l'aise que j'ai reçu.

Enfin n'est-ce pas Anacréon lui-même qu'on croit entendre dans ce madrigal, le chef-d'oeuvre de la naïveté ingénieuse?

Amour trouva celle qui m'est amère,

(Et j'y étais, j'en sais bien mieux le conte):
Bonjour, dit-il, bonjour, Vénus ma mère.
Puis tout-à-coup il voit qu'il se mécompte,
Dont la couleur au visage lui monte,
D'avoir failli honteux, dieu sait combien.
Non, non, Amour, ce dis-je, n'ayez honte :
Plus clairvoyant que vous s'y trompe bien.

C'est de Catulle que Marot avait appris à imiter Anacréon; et son génie était plus analogue à celui de ces deux poëtes, qu'au tour d'esprit de

Martial, qu'il a souvent traduit, mais non pas aussi-bien qu'il a imité Catulle.

Las! il est mort (pleurez-le, damoiselles),
Le passereau de la jeune Maupas.

Un autre oiseau, qui n'a plume qu'aux ailes,
L'a dévoré. Le connaissez-vous pas ?

C'est ce fâcheux Amour, qui, sans compas,
Avecque lui se jetait au giron

De la pucelle, et volait environ

Pour l'enflamber et tenir en détresse.

Mais par dépit tua le passeron,

Quand il ne sut rien faire à la maîtresse.

Marot n'est pas le seul de nos anciens poëtes qui ait pris le style anacréontique, quoiqu'à vrai dire, aucun ne l'ait eu comme lui. Ecoutez cette ode à Vénus : elle est de du Bellay, chanoine de l'église de Paris.

Ayant, après long désir,
Pris de ma douce ennemie
Quelques arrhes du plaisir
Que sa rigueur me dénie;
Je t'offre ces beaux œillets,
Vénus, je t'offre ces roses,
Dont les boutons vermeillets
Imitent les lèvres closes
Que j'ai baisé par trois fois,
Marchant tout beau dessous l'ombre

De ces buissons que tu vois;
Et n'ai su passer ce nombre,

Pour ce que la mère était
Auprès de là, ce me semble,
Laquelle nous aguettait.

De peur encore j'en tremble.
Or je te donne ces fleurs;
Mais si tu fais ma rebelle
Aussi piteuse à mes pleurs

Comme à mes yeux elle est belle,
Un myrte je dédirai

Dessus les rives de Loire,
Et sur l'écorce écrirai

Ces quatre vers à ta gloire :
« Un amant, sur ce bord-ci,
« A Vénus consacre et donne
« Ce myrte, et lui donne aussi

« Ses troupeaux et sa personne. »

Au nom de Ronsard, on croit voir fuir les grâces, et sur-tout les grâces anacréontiques. On va lire pourtant de ce Ronsard deux morceaux dont l'un me semble digne de Catulle, et l'autre d'Anacréon.

Voici les bois que ma jeune Angelette
Sur le printemps réjouit de son chant;
Voici les fleurs où son pied va marchant,
Quand à soi-même elle pense seulette....
Ici, chanter; là, pleurer je la vi;
Ici, sourire; et là, je fus ravi.

De ses discours par lesquels je desvie;

Ici, s'asseoir; là, je la vis danser.
Sur le métier d'un si vague penser,

Amour ourdit la trame de ma vie.

Cette simplicité naïve ne vaut-elle pas ces tournures métaphysiques que le sentiment ne connut jamais? Ne vaut-elle pas le reproche qu'un amant adresse à son coeur dans ce madrigal de Boileau?

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