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ou de l'image, pour donner lieu au musicien de concilier dans son chant l'unité du dessein, la vérité de l'expression, la précision des mouvements, et cette justesse des rapports qui dans les sons plaît à l'oreille, comme dans les idées elle plaît à l'esprit.

Je ne dois pourtant pas dissimuler l'avantage que les Italiens ont sur nous à cet égard; et le voici. Plus une nation est passionnée pour un art, plus elle lui donne de licences; de là vient que la musique italienne fait de la langue tout ce qu'elle veut; qu'elle combine les paroles d'un air comme bon lui semble, et les répète tant qu'il lui plaît. Notre langue est moins indulgente, et le sentiment de la mélodie n'a pas encore tellement séduit et préoccupé nos oreilles, que tout le reste y soit sacrifié. Nous voulons que la prosodie et le sens soient respectés dans le plus bel air: une syncope, une prolation, une inversion forcée altèrent en nous l'impression de la musique la plus touchante; et des paroles trop répétées nous fatiguent, quelque facilité qu'elles donnent aux modulations du chant. De-là vient que l'air français, dans un petit cercle de paroles, peut difficilement avoir la même liberté, la même variété, la même étendue que l'air italien. Que faire done? laisser la musique à la gêne dans l'étroit espace de huit petits vers, à la simple expression desquels le chant sera servilement réduit? c'est lui ôter beaucoup trop et de sa force

et de sa grâce. La musique, pour émouvoir profondément l'oreille et l'ame, a besoin, comme l'éloquence, de graduer, de redoubler, de graver ses impressions; à la première, ce n'est souvent qu'une émotion légère; à la seconde, l'ame et l'oreille, plus attentives, seront aussi plus vivement émues; à la troisième, leur sensibilité, déja fortement ébranlée, produit l'ivresse et le transport. Voilà pourquoi dans les symphonies, comme dans la musique vocale, le retour du motif a tant de charme et de pouvoir. Le vrai moyen de suppléer à la liberté que les Italiens donnent au chant de se jouer des paroles, est donc de lui donner, dans les paroles même, des desseins plus développés, et plus d'espace à parcourir. L'art du poëte consiste alors à faire de toutes les parties de l'air, par leur liaison, leur enchaînement, leur mutuelle dépendance, et par la facilité des passages et des retours d'une partie à l'autre, un ensemble bien assorti.

Les exemples que j'ai indiqués de l'alternative des passions dans un air à plusieurs desseins, font entendre ce que je veux dire. Les modèles que M. Piccini nous en a donnés, nous l'ont fait sentir encore mieux.

Mais je persiste à représenter que nous nous rendons beaucoup trop sévères à l'égard des répétitions, et qu'en réduisant la musique à une expression simple et fugitive, nous lui ôterions une grande partie de sa force et de sa beauté. La

musique a son éloquence, et cette éloquence consiste non-seulement à exprimer, comme la parole et mieux que la parole, le sentiment qui leur est commun; mais à le varier, à le développer, à lui donner par accroissement tous les caractères dont il est susceptible; et c'est là son grand avantage sur la simple déclamation.

De combien de manières une femme, qui se croit trahie par un époux qu'elle aime, ne ditelle pas :

Perche tradir mi,
Sposo infedel?

D'abord c'est un reproche tendre; bientôt un reproche plus vif, plus douloureux et plus amer; enfin c'est de l'indignation, et dans l'expression variée de ces trois nuances de sentiment, la musique peint les effets de la réflexion sur une ame où l'amour, la douleur, le dépit se succèdent. Rien de plus naturel sans doute et rien de plus touchant.

De combien de façons encore une femme qui tremble pour les jours d'un époux adoré, ne ditelle pas:

Non vivo, non moro;

Ma provo un tormento

Di viver penoso,

Di luongo morir.

Or ce sont là les variétés, les nuances, les gradations que la musique exprime en répétant le

le

mot sensible, avec ces accents imprévus que génie trouve dans la nature, et dont lui seul semble avoir le secret.

Dans le récitatif et dans le dialogue, c'est l'intérêt de l'action qui domine, et rien ne doit la retarder; dans les situations où l'air trouve sa place, c'est de tel sentiment que l'on est occupé; et si on n'est pas ennemi de son plaisir, on laissera à la musique tous les moyens d'en rendre l'impression plus pénétrante et plus profonde. La simple déclamation a le choix de l'expression la plus touchante; mais elle n'en a qu'une : on ne lui permet pas de renchérir sur elle-même. Le chant a demandé à varier la sienne, à condition de la rendre plus belle et plus sensible par degrés; on lui a accordé cette licence; et quand l'oreille des Français aura mieux appris à goûter tous les charmes de la musique, ils seront aussi indulgents que les Italiens l'ont été. En éloquence et en poésie, l'amplification a son luxe comme en musique; ce luxe est vicieux. Mais l'orateur, le poëte, le musicien, n'ont tort d'amplifier l'expression que lorsqu'ils l'affaiblissent ou qu'ils ne la fortifient pas; et tant que celle du chant n’insiste que pour redoubler de chaleur, de véhémence, et d'énergie, il n'y a qu'un goût minutieux et faux qui puisse le trouver mauvais.

Il est à craindre, je l'avoue, qu'un pareil chant, au milieu de la scène, interrompant le dialogue, ne ralentisse l'action et ne refroidisse l'intérêt;

que

et c'est les Italiens l'ont presque cela pour toujours relégué, ou à la fin des scènes, ou dans les monologues; c'est communément là qu'un personnage, livré à lui-même, peut donner plus de développement à la passion qui l'agite, au sentiment dont il est occupé.

Mais au milieu même de la scène la plus vive et la plus rapidement dialoguée, il est des circonstances où ces élans impétueux de l'ame, cette espèce d'explosion des mouvements qu'elle a réprimés, trouvent place, et loin de refroidir la situation, y répandent plus de chaleur. Que devient alors, demandera-t-on, l'interlocuteur à côté duquel on chante? Ce qu'il devient dans une scène tragique, lorsqu'emporté par une passion violente, le personnage qui est en scène avec lui, l'oublie et se livre à ses mouvements. Que devient OEnone, pendant le délire de Phèdre? que devient Electre ou Pylade pendant les accès de fureur où tombe Oreste? que devient Néoptolème, à côté de Philoctète rugissant de douleur? Tout personnage vivement intéressé à l'action ne saurait être froid ni sans contenance sur la scène; soit que son interlocuteur parle ou chante, il le met en jeu, en l'affectant lui-même des passions dont il est ému; et s'il ne sait que faire alors, c'est qu'il manque d'ame ou d'intelligence.

Ce qui nuit le plus réellement à la chaleur de l'action, ce sont ces longs préludes et ces longs

וד

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