Obrazy na stronie
PDF
ePub

nus, est d'un intérêt plus universel et plus fort: il s'agit pour lui de vaincre, ou de périr, ou de subir la honte de se voir enlever sa femme et les états de son beau-père: aussi les voeux sontils en faveur de Turnus.

Dans l'Odyssée, il ne s'agit pas seulement qu'Ulysse retourne à Ithaque, ou qu'il périsse dans ses voyages, ou qu'il soit retenu dans l'île de Circé, ou dans celle de Calypso : cet intérêt, personnel à un héros froidement sage, nous toucherait faiblement. Mais son fils, jeune encore, est sous le glaive; sa femme est exposée aux violences des poursuivants; son père est au bord du tombeau, incapable de s'opposer à leur criminelle insolence; son île est dévastée, son palais saccagé, son peuple et sa famille en proie à des tyrans; si Ulysse revient, il peut tout sauver; tout est perdu, s'il ne revient pas voilà tous les grands intérêts du cœur humain réunis en un seul; et c'est le plus parfait modèle de l'action dans l'épopée.

:

Dans l'Iphigénie en Tauride, Oreste, poursuivi par les furies, en sera-t-il délivré ou non? serat-il reconnu par sa sœur, avant d'être immolé; ou l'immolera-t-elle avant de le connaître? enlevera-t-il la statue de Diane; ou sera-t-il égorgé aux pieds de ses autels? L'événement peut être heureux ou malheureux, et plus l'alternative en est pressante, plus elle est susceptible des grands mouvements de la crainte et de la pitié.

Dans l'OEdipe, la peste achevera-t-elle de désoler les états de Laïus, ou le meurtrier de ce roi sera-t-il reconnu dans son fils et dans le mari de sa femme? Voilà les deux extrémités les plus effroyables, et l'alternative la plus tragique qu'il soit possible d'imaginer. Le défaut de cette fable, s'il y en a un, c'est de ne laisser voir aucun milieu entre ces deux malheurs extrêmes, et de ne pas permettre à l'espérance de se mêler avec la terreur.

Je laisse à balancer les avantages de cette fable terrible et touchante d'un bout à l'autre, sans aucune espèce de soulagement pour l'ame des spectateurs, avec la fable de l'Iphigénie en Tauride, où quelques rayons incertains d'une espérance consolante brillent par intervalles, et laissent entrevoir une ressource dans les malheurs et les dangers dont on frémit je veux seulement faire voir que tout se réduit à ces deux problêmes, l'un simple, et l'autre compliqué. Celui-ci, en faisant passer l'ame des spectateurs par de continuelles vicissitudes, varie sans cesse les mouvements de la terreur et de la pitié; l'autre les soutient et les presse, en faisant faire à l'intérêt le même progrès qu'au malheur.

De cette définition de l'action, considérée comme un problême, il suit d'abord qu'il est de son essence d'être douteuse et incertaine, et de l'être jusqu'à la fin : car si l'action est telle qu'il n'y ait pas deux façons de la terminer, et que l'évé

nement qui se présente naturellement à la prévoyance des spectateurs, soit le seul moralement possible, il n'y a plus d'alternative, et par conséquent plus de balancement entre la crainte et l'espérance tout se passe comme on l'a prévu; et s'il arrive une révolution, ou elle a besoin d'une cause surnaturelle, comme dans le Philoctète de Sophocle, ou elle manque de vraisemblance, comme dans le Cid. C'est un effort de l'art, qu'on n'a pas assez admiré dans le Télémaque, d'avoir, par la seule force de l'éloquence d'Ulysse, rendu naturel et vraisemblable le retour de Philoctete, que Sophocle avait jugé luimême impossible sans l'apparition d'Hercule. A l'égard du Cid, Corneille n'a su d'autre moyen d'en terminer l'intrigue, que de ne pas décider la révolution.

D'un autre côté, si, dans les possibles, l'action avait deux issues, mais que, par la maladresse du poëte et la prévoyance des spectateurs, le problême fût résolu dans leur opinion avant le dénouement, il n'y aurait plus d'inquiétude; et il ne faut pas croire que l'art de rendre l'événement douteux et de laisser le spectateur dans ce doute, ne soit utile qu'une fois. L'illusion théâtrale consiste à faire oublier ce qu'on sait, pour ne penser qu'à ce qu'on voit. J'ai lu Corneille; je sais par cœur le cinquième acte de Rodogune; mais j'en oublie le dénouement; et à mesure que la coupe empoisonnée approche des lèvres

d'Antiochus, je frémis, comme si je ne savais pas que Timagène arrive. Ayez` seulement soin que, dans l'action même, rien ne trahisse le secret de la dernière révolution; j'aurai beau le savoir d'ailleurs, je me le dissimulerai, pour me laisser jouir du plaisir d'être ému: effet inexplicable, et pourtant bien réel, de l'illusion théâtrale. Mais autant la solution doit être cachée, autant les termes opposés où l'action peut aboutir doivent être marqués et mis en évidence. Je n'en excepte qu'une sorte de fable: c'est lorsqu'entre deux malheurs, dont il semble que l'un ou l'autre doive arriver inévitablement, il y a pourtant un moyen de les éviter tous deux, et qu'on a dessein de tirer, par cette heureuse révolution, les personnages intéressants du double péril qui les presse. Ce moyen doit être caché comme l'issue du labyrinthe mais tout ce qu'il y a de funeste à craindre doit être connu, et le plutôt possible. Que, dès le premier acte d'OEdipe, par exemple, le spectateur fût instruit qu'OEdipe est l'assassin de son père et le mari de sa mère; dès ce moment tous les efforts de ce malheureux prince pour découvrir le meurtrier de Laïus, feraient frémir; et l'approche des incidents qui amèneraient les reconnaissances, rempliraient les esprits de compassion et de terreur. On peut rendre raison par-là de ce qui arrive assez souvent, qu'une pièce fait plus d'impression la seconde fois que la première..

De notre définition, il suit encore, que plus les événements opposés sont extrêmes, plus l'alternative de l'un à l'autre a d'importance et d'intérêt. Si, d'un côté, il y va de l'excès du bonheur, et de l'autre, de l'excès du malheur, comme dans l'Iphigénie en Tauride et dans la Mérope, la solution du problême est bien plus intéressante que lorsqu'il ne s'agit que d'un malheur plus sensible, ou d'un bonheur faiblement souhaité. Par exemple, dans Polyeucte, supposons que Pauline fût passionnément amoureuse de son époux; le problême serait bien plus terrible, et la situation de Pauline bien plus cruelle et plus touchante. Corneille, en la faisant amoureuse de Sévère, a évidemment préféré l'intérêt de l'admiration à celui de la terreur et de la pitié: en quoi il a obéi à son génie, et composé une fable plus étonnante et moins tragique.

Dans la comédie, même alternative : l'intérêt consiste, 1o à faire souhaiter que le ridicule puni par lui-même, soit à la fin livré à la risée et au mépris; 2° à faire naître une curiosité inquiète, et une vive impatience de voir par quel moyen ce qu'on souhaite arrivera. L'Avare épousera-t-il Marianne, ou la cédera-t-il à son fils? Tartuffe sera-t-il confondu et démasqué aux yeux d'Orgon, ou jouira-t-il de sa fourberie? Voilà le problême à résoudre. Au lieu du trouble et du danger qui règne dans la tragédie, c'est l'agitation des querelles domestiques; au lieu des

« PoprzedniaDalej »