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avec orgueil, c'est toujours à ce qu'il y a de plus naturellement noble qu'il se compare. Toutes nos figures de rhétorique, tous nos mouvements oratoires, il les invente, il les emploie, mais à-propos; et c'est toujours le sentiment qui les lui inspire. Il adresse la parole aux absents, aux morts, il croit les voir et les entendre; il parle aux choses insensibles, et il croit en être entendu; mais c'est lorsque son ame est fortement émue et son imagination exaltée : c'est le délire de la passion, mais d'une passion véritable et sincère dans ses erreurs. Écoutez-le au moment qu'il a perdu son ami, qu'il pleure son fils ou son père, qu'il vient de recevoir une injure et qu'il en médite la vengeance, ou qu'il rend grâce d'un bienfait; il sent tout ce qu'il doit sentir; il le sent au degré où il doit le sentir; et, autant que sa langue peut le permettre, il le dit comme il doit le dire. Pas un tour qui ne rende le mouvement de sa pensée; pas une épithète ambitieuse ou superflue; pas une hyperbole excessive; pas une fausse métaphore, quoique tout y soit en images; pas un trait de sensibilité qui ne soit juste et pénétrant. Pourquoi cela? Parce que la nature est toujours vraie, et que tout ce qui est exagéré, maniéré, forcé, mis hors de sa place, est de l'art.

Dans les harangues des sauvages, qui sont leurs discours préparés, on aperçoit, il est vrai, des formules traditionnelles; mais la manière mème en est encore décente et noble; leur laco

nisme a de la dignité, leurs figures de la justesse, leur éloquence de la franchise et quelquefois de l'élévation. On voit bien qu'ils ont peu d'idées; mais cette pauvreté même a je ne sais quoi d'imposant. On reconnaît ce caractère de simplicité et de noblesse dans la poésie des bardes, et de tous les peuples du Nord, pris dans les temps où leur génie, comme leurs mœurs, était encore à demi-sauvage; et lorsqu'on les a fait parler, il n'a fallu, pour les rendre éloquents à leur manière, que leur prêter fidèlement le langage de la nature. Voyez, dans Tacite, la harangue du Breton Galgacus; dans Quinte-Curce, la harangue du député des Scythes à Alexandre; dans La Fontaine, celle du paysan du Danube au sénat romain.

Comment se pourrait-il en effet, que l'homme qui ne parle que pour exprimer ce qu'il sent, dit autre chose que ce qu'il sent, et ne le dit pas comme il convient à son âge, à son caractère, à sa situation? Son langage n'est que l'effusion ou l'explosion de son ame. Pourquoi, dans ses récits, dans ses descriptions, emploierait-il des détails superflus, des circonstances inutiles? Il ne songe à dire que ce qu'il a vu, et dans ce qu'il a vu que ce qui l'a frappé. En un mot, il ne veut pas être spirituel, singulier, merveilleux, il veut être vrai, ou plutôt il l'est sans le vouloir et sans songer à l'être.

Pourquoi nous-mêmes avons-nous donc au

!

jourd'hui tant de peine à être simples et naturels? C'est que nos institutions nous ont pliés et repliés de cent manières toutes contraintes; qu'après avoir, comme dirait Montaigne, artialisé la nature, nous sommes obligés de naturaliser l'art. Je dis l'art, dans nos habitudes les plus familières et les plus libres; et à plus forte raison dans nos compositions, dans nos imitations, dans notre poésie inventive, dans notre éloquence factice, dans nos peintures étudiées, dans nos passions de commande, où il faut prendre à chaque instant une ame étrangère et nouvelle, croire voir ce qu'on ne voit pas, penser et sentir et parler, non comme soi, mais comme un autre; en un mot, se faire à soi-même l'illusion qu'on veut répandre, et se tromper si bien dans ses propres mensonges, que tout le monde y soit trompé. C'est là sur-tout qu'il est difficile de retrouver en soi ces mouvements naturels, ces accents, ces tours d'expression, qui échappent à l'homme sauvage sans qu'il y pense, et mieux que s'il y avait pensé.

Voyez les grâces de l'enfance, la facilité, la souplesse, le charme de ses attitudes et de ses mouvements; bientôt vient l'éducation qui détruit tout cela, et qui met à la place la gêne et l'affectation. Alors, que l'on regrette ces grâces fugitives! que de soins, que de peines ne se donnet-on pas pour en retrouver quelques traces! Ce n'est de même qu'à force d'art que l'art peut se rectifier.

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Mais la grande difficulté, pour accorder l'art avec la nature, c'est que le naturel, comme nous l'entendons, n'est pas celui de l'homme inculte. Aux convenances universelles, qui seraient des règles constantes, les institutions sociales, la coutume, l'opinion, la fantaisie, en ont mêlé d'artificielles et de changeantes comme leurs causes; et c'est à l'égard de celles-ci que le goût, n'ayant plus de type inaltérable, est devenu lui-même variable et divers. Les idées de bienséance, de noblesse, de dignité, de politesse, d'élégance, d'agrément, de délicatesse, enfin tous les raffinements de l'art de plaire et de jouir, étant venus successivement, et puis en foule, solliciter l'attention du goût, il en a été comme étourdi; et au milieu de cette multitude de lois nouvelles et fantasques, il s'est trouvé comme un jurisconsulte, que ses études même et son habileté rendent encore plus incertain et plus irrésolu dans ses opinions.

A mesure donc que l'art de plaire est devenu plus compliqué, le goût, qui en est le juge, le conseil et le guide, a dû être plus indécis. La nature n'a qu'une route, l'habitude a mille sentiers tortueux et entrecoupés. Aussi l'art le moins composé est-il toujours le plus infaillible; et l'avantage des arts naissants, comme des sociétés naissantes, c'est leur grande simplicité.

Homère, en comparaison de Virgile et de Racine, était presque un sauvage. Encore tout prés

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rcorder la de la nature, les convenances qu'elle avait établies étaient presque les seules dont il eût l'idée et le sentiment. Je suis loin de penser qu'il fût né dans un siècle absolument inculte, et qu'il eût lui seul inventé ses fables, ses dieux, ses héros, sa langue poétique; mais on se tromperait si, par un siècle de culture, on entendait, en parlant du sien, un siècle de lumière pareil à ceux qui l'ont suivi. Il n'y avait de son temps rien de semblable aux fêtes qu'on célébrait du temps de Périclès, et aux spectacles qu'on y donnait à toute la Grèce assemblée. Il n'y avait aucune ville comme Athènes et Corinthe, où la poésie et l'é

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cultivés avec émulation, s'éclairassent mutuellement. Mais dans un climat où les hommes avaient reçu de la nature une sensibilité vive, une imagination facile à exalter, une finesse, une délicatesse, une subtilité d'organes dont on n'a jamais vu d'exemple; dans un climat où le commerce, l'agriculture, le soin des troupeaux, peu de luxe, assez d'abondance, et, pour délassement, des fêtes, des sacrifices et des festins, formaient le tableau de la vie; dans ce climat, dis-je, de longues paix donnaient aux peuples et aux princes un loisir que les arts embellissaient à peu de frais; et comme les mœurs étaient simples, et que le naturel des hommes n'était pas encore altéré, le goût se réduisait au choix d'une nature intéressante.

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