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mathématiques. Cette philosophie est-elle définitive? On peut en dire autant de la morale que Kant prend pour thème de ses réflexions (1). » M. Boutroux, par respect ou par conviction, s'abstient de répondre en ce qui concerne la morale de Kant, qui est la morale chrétienne (2); mais il n'en est que plus explicite à l'égard de la science: « La science ne croit plus atteindre à cette certitude objective absolue que Kant trouvait dans la philosophie de Newton. En d'autres termes, il n'y a plus pour nous coïncidence entre la science et l'être. Notre science se suffit dans ses moyens d'investigation, mais non dans l'estimation de ses résultats. Sans cesse ballottée de l'expérience aux mathématiques et des mathématiques à l'expérience, elle ne peut plus prouver que ses résultats coïncident exactement avec la réalité absolue. »>

CONCLUSION

: « MAIS, S'IL EN EST AINSI, LE PHILOSOPHE NE PEUT PLUS SE PLACER UNIQUEMENT AU POINT DE VUE DE LA CONNAISSANCE ET DE LA CONSCIENCE COMME A UN POINT DE VUE QUI SE SUFFIT; IL LUI FAUT SE REPLACER AU POINT DE VUE DE L'ÈTRE COMME PRINCIPE PREMIER DE LA CONNAISSANCE ET DE LA PRODUCTION (3). › Cette conclusion se passe de commentaires.

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II. LES PRINCIPES SYNTHÉTIQUES A PRIORI

ET L'ÉTAT ACTUEL DE LA SCIENCE.

L'idéalisme est donc, selon Kant, la condition de la possibilité de la métaphysique comme de la science. Quelle est l'origine d'une si singulière affirmation?

La voici: LES JUGEMENTS QUI CONSTITUENT LA SCIENCE ET LA MÉTAPHYSIQUE SONT DES JUGEMENTS SYNTHÉTIQUES A PRIORI. Sans doute, remarque M. Boutroux, l'existence de tels jugements n'est pas la preuve apo

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dictique de la vérité de la Critique: celle-ci est tout entière dans l'une et l'autre déduction. La Critique tiendrait, alors même que l'existence des jugements en question serait infirmée. Néanmoins ces jugements représentent son point de départ : ils se retrouvent au terme de la déduction; Kant y tient beaucoup : le fait de leur existence est pour lui une forte présomption en faveur de la légitimité de la déduction.

Qu'est-ce qu'un jugement synthétique a priori? C'est un jugement qui unit avant toute expérience des termes extérieurs l'un à l'autre (4). Exemple : il existe un monde (2). En effet, nous n'avons jamais expérimenté la totalité des choses qui sont censées composer l'unité que nous appelons le monde; donc nous n'en avons pas une connaissance, toute connaissance, pour Kant, venant de l'expérience. Nous n'en avons qu'un concept. Et ce concept, nous le lions avec un concept différent celui d'existence. Liant deux choses hétérogènes, notre jugement est synthétique: se passant de l'expérience pour les lier, il est a priori.

Un tel jugement est étrange, «< car il est étrange que l'on puisse a priori affirmer d'un fait ce qui n'est pas contenu dans son concept. Il semble qu'il y ait là une contradiction interne (3). » << Comment lier a priori A et B, disait Hume, étant donné qu'ils n'ont rien de commun? N'importe quoi peut produire n'importe quoi (4). »Ne serait-ce pas, demande M. Boutroux, parce que de tels jugements sont impossibles, que la métaphysique n'a pu se constituer comme science? >>

Mais, répond-il, s'il existe des sciences données et certaines, comportant des jugements à la fois synthétiques et a priori, on ne peut opposer à la métaphysique la question préalable. Il devient nécessaire et légitime d'examiner en elle-même sa possibilité. Or, selon Kant, il existe effectivement des sciences dans lesquelles sont admis des jugements synthétiques a priori: les mathématiques et la physique pure sciences certaines sont dans ce cas (5).

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(1) III, 11, p. 325.
(2) III, 17, p. 520.
(3) Ibid., p. 521.
(4) III, 17, p. 521.
(5) III, 11, p. 323.

EN RÉSUMÉ :

1o Il y a des jugements synthétiques a priori dans les mathématiques et la physique.

2o Ces jugements s'expliquent très bien dans l'hypothèse de l'idéalisme.

DONC L'IDÉALISME EST LA CONDITION DE LA POSSIBILITÉ DE LA MÉTAPHY

SIQUE.

Tel est le premier aspect de la démonstration kantienne dont nous allons suivre dans le cours de M. Boutroux l'examen critique.

1o EXISTE-T-IL DANS LES MATHÉMATIQUES ET LA PHYSIQUE DES JUGEMENTS SYNTHÉTIQUES A PRIORI.

a) M. Boutroux commence par examiner le criterium de l'a priori et de la synthèse présenté par Kant. En soi, un jugement universel et nécessaire peut être tout simplement une erreur. C'est une erreur tout au moins qui vient de moi, et en ce sens le criterium reste.

Fort bien, remarquerons-nous, mais ce n'est plus un criterium de science, car qui dit science exclut l'idée d'erreur. Kant, à vous entendre, ne pourrait plus regarder ses Prolégomènes comme une préparation à toute métaphysique qui se présentera comme science, mais comme science ou comme erreur. Tout croule dès le premier pas, si l'on admet que les jugements synthétiques a priori peuvent être des erreurs. Or c'est ce que M. Boutroux paraît concéder (1). Le phénoménisme ainsi entendu ne diffère plus de celui que condamne saint Thomas lorsqu'il dit: Sequeretur error antiquorum dicentium omne quod videtur esse verum (2). Une erreur, pour venir de moi, n'en est pas plus vraie.

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Voilà pour le criterium de l'a priori. Quant au criterium de la synthèse, qui peut répondre qu'une analyse complète telle que celle que Dieu peut accomplir, ne ferait pas sortir le prédicat du sujet là où nous n'y réussissons pas ? » Est-il besoin, demande

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rons-nous, d'une analyse autre que la nôtre pour cela? On peut le contester; sans doute les lois naturelles des sciences modernes impliquent des liaisons entre choses hétérogènes. Mais les premiers principes, mais la loi tout intellectuelle de la causalité ?... Depuis Aristote une tradition philosophique ininterrompue le conteste. Dans le concept de l'effet, les péripatéticiens découvrent celui de cause et la liaison qui en résulte pour être a priori dans un certain sens, n'en est pas moins, selon ces philosophes, analytique et objective.

Quoi qu'il en soit, M. Boutroux ne semble priser que médiocrement le criterium de l'a priori et de la synthèse présenté par

Kant.

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b) Néanmoins il se demande ce que vaut le caractère de synthèse attribué aux propositions mathématiques, aux lois physiques. Ici, son jugement acquiert une singulière autorité. Kant, on l'a démontré, n'était compétent en fait de sciences que dans les limites des élémentaires. « Après Newton, après les savants du xvir siècle, dit M. Milhaut, Kant ne semble pas de son temps. Ses vues... restent pénétrées de quelque naïveté malgré les apparences de la forme savante, et elles font plus songer à certaines théories d'Aristote ou même des Ioniens qu'à Euler et à Newton (1). >> << Mais Kant, ajoute M. Mansion, avait appris et enseigné les mathématiques élémentaires... Sa profonde conviction de leur certitude apodictique, d'une part, l'impossibilité où il se trouvait, d'autre part, de les ramener à des jugements analytiques à cause de la manière étroite dont il concevait ceux-ci, le conduisirent à faire. des mathématiques, puis de la métaphysique elle-même, une science absolument subjective (2). »

En Allemagne, où M. Boutroux a parfait son éducation philosophique, les professeurs d'exégèse sont souvent doublés d'un rabbin chargé de fournir les documents talmudiques. M. Boutroux, s'il n'est pas spécialiste, est, dit-on, doublé lui aussi d'un rabbin mathématicien. Ne faut-il pas, comme disait saint Thomas, que la science du marin commande à l'art des constructeurs ? Ainsi fait,

1) MILHAUT, Kant comme savant (Rev. phil. mai 1895).1

:

(2) MANSION, Premiers principes de la Métagéométrie XII. La Métagéométrie et le Kantisme. (Revue néo-scolastique, août 1896.)

chez M. Boutroux, la philosophie à l'égard de la science. Si la compétence d'un Herbert Spencer n'a pas trouvé grâce, je crains que les mathématiques élémentaires du pauvre Kant ne fassent plus mauvaise figure encore en présence des renseignements suggérés par le rabbin de M. Boutroux, ancien major de Polytechnique et membre de l'Académie des sciences à l'âge où ses camarades de promotion devenaient capitaines.

En arithmétique, M. Boutroux n'a pas de peine, après Leibnitz, à démontrer le caractère analytique de l'addition. En géométrie, les mathématiciens choisissent arbitrairement leurs principes. Sans doute, il reste toujours au point de départ des éléments d'intuition néanmoins les principes ne sont pas imposés par les choses. On dira par exemple : « L'esprit choisit la combinaison la plus simple. » C'est « se rapprocher du sens kanlien (1). »

:

Oui, mais c'est aussi s'éloigner du réel.

En physique, il y a des parties synthétiques et des parties a priori. Malheureusement pour Kant, celles qui sont synthétiques sont a posteriori, celles qui sont a priori ne paraissent pas synthétiques. La causalité elle-même se décompose, pour les physiciens, en liaison mathématique (a priori) et contiguïté contingente (a posteriori). « Ce n'est plus là la thèse de Kant. »

CONCLUSIONS: 1° Il se peut que la thèse de Kant soit contestable en ce qui concerne la physique. Elle paraît subsister quant aux mathématiques.

2o Ce qui est a priori c'est un travail de l'esprit accompli d'une façon originale. Les choses ne fournissent que l'occasion, non l'exemple et le modèle de ce travail. Voilà ce que nous retenons de la doctrine kantienne.

3° Ce qui reste obscur, c'est la question de savoir ce qu'est au juste le travail de l'esprit. A-t-il le caractère de nécessité que lui attribue Kant? Affirmons-nous de fait une liaison nécessaire ? Cette affirmation, sommes-nous absolument nécessités à la faire? La science ne se contente-t-elle pas d'une nécessité relative?

On le voit, nous sommes loin avec M. Boutroux de l'Exegi monumentum kantien. Entendez toute la gamme des expressions académiques: Il se peut, il paraît, voilà ce que nous retenons, ce

(1) III, 11, p. 330.

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