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dire qu'il a un plein sac de rúse; il raconte encore à son camarade plus d'un bon tour qu'il joua jadis, et par ces épisodes hors de propos il détruit presque entièrement l'unité d'action qui fait le principal mérite de l'apologue. Si ce fabuliste donne à ses personnages des noms très-expressifs, il n'a pas moins souvent recours, pour les désigner, aux surnoms qu'ils doivent au Roman du Renard; dans ses vers on trouve aussi Isgrin le loup', Thibert le chat, Chanticleer le coq, Keyward le lièvre, etc.

Cette production d'un auteur qui écrivoit précisément dans le même temps que La Fontaine ne peut être trop étudiée par ceux qui s'occupent de la Fable.

AUTEURS HOLLANDAIS.

Je n'ai cité que la version, en cette langue; de la collection de fables latines imprimées au xve siècle, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois : celle-ci, de l'aveu du traducteur, a été faite sur l'ouvrage de Julien Machaut, et imprimée en 1698.

AUTEURS ORIENTAUX.

L'Orient, d'après l'opinion la plus générale, fut le berceau de la fable, comme il paroît l'avoir été des lettres et des sciences. Cette partie du monde, constamment la patrie du despotisme, au moins d'après ce que nous savons de son histoire, dut voir, la première, tisser ces voiles ingénieux, plus ou moins transparents, dont la crainte et la servitude habillèrent la Vérité pour la faire pénétrer jusque dans les palais dont sa nudité l'auroit fait repousser. Le despote, comme l'enfant, a besoin de trouver du miel sur les bords du vase qui contient l'amer breuvage du vrai.

Après l'invasion des barbares et le triomphe de la force sur la civilisation, pendant les siècles avilissants de la féoda

1sgrim the wolf, Thybert the cat, Chanticleer the cock, Keyward the hare, Reynard the fox, Bruine the bear, etc.

lité si long-temps et si généreusement combattue par nos rois, l'Europe auroit aussi, dans les mêmes circonstances, vu naître l'apologue, si la première croisade ne l'avoit pas importé dans les contrées occidentales, qui en sentoient vivement le besoin. J'ai déjà dit, en parlant du Roman du Renard, que la première branche me paroissoit une copie défigurée de la fable de Calila et Dimna : cette conjecture se changeroit peut-être en certitude, si nous retrouvions l'ouvrage latin d'Aucupe ou Aucupre, que le versificateur français dit avoir traduit. Dans le même temps, parmi les fables de Romulus, on en trouvoit sans doute une dont l'origine asiatique est démontrée; je veux parler de celle que Marie de France imita, et à laquelle elle donna ce titre du Muset ki quist Fame. C'est aussi la fable 176 de La Fontaine, la Souris métamorphosée en Fille. Mais la partie la plus intéressante de cet apologue vient bien certainement de quelques traditions judaïques, et remonte ainsi jusqu'à la vocation d'Abraham; c'est-à-dire jusqu'à deux mille ans environ avant J. C. L'historien Josèphe en parle, et je rapporterai les circonstances de cette anecdote dans les propres termes de Basnage, qui, dans son Histoire des Juifs, a emprunté ce trait historique au rabbin Ben adda '.

Abraham, éclairé par la sagesse divine, s'efforçoit de retirer de l'erreur où il le voyoit Tharé, son père, qui, loin de rougir de son aveuglement, s'irrita des sages conseils que son fils lui donnoit pour l'arracher à l'idolâtrie: il alla sur-le-champ le dénoncer lui-même à Nemrod, roi du pays, comme un ennemi des divinités tutélaires des Chaldéens. Ce prince fit venir Abraham, à qui il commanda d'adorer le feu. Celui-ci répondit qu'il valoit mieux adorer l'eau qui éteint le feu. Nemrod consentit à ce qu'il adorât l'eau, puisque cela lui paroissoit plus raisonnable. Abraham s'en défendit, disant qu'il étoit plus convenable d'adorer les nuées qui soutiennent les eaux. Le monarque lui ordonna donc de se prosterner devant les uuées, puisqu'elles lui sembloient plus dignes de sa vénération; mais Abraham représenta qu'il seroit plus à propos d'adorer le vent qui dissipe les nuées. Le roi exigea

I Saint Jérôme parle aussi, mais légèrement, de cette tradition, dans ses Questions sur la Genèse, comme je l'ai indiqué à la suite de la fable de La Fontaine.

de lui l'adoration du vent: Abraham refusa encore d'obéir, en alléguant pour raison que l'homme qui résiste au vent étoit plus digne d'un semblable hommage. Nemrod embarrassé gardoit le silence, lorsque le patriarche s'écria: Eh! pourquoi ne pas adorer plutôt celui qui créa l'homme, le vent, les nuées, l'eau et le feu ?

Les livres saints eux-mêmes, nous offrent plusieurs apologues, dont le plus ancien est celui des arbres qui veulent choisir un roi Joatham, le plus jeune des fils de Gédéon et seul échappé au massacre de ses frères, l'adressa aux Sichémites, 1200 ans environ avant l'ère chrétienne 1. Les paraboles, d'ailleurs, que l'on rencontre si souvent dans les saintes Écritures, me semblent appartenir au même genre, et celle que Nathan emploie pour faire sentir à David tout l'odieux de sa conduite criminelle envers Urie peut bien être regardée comme une fable dont la moralité se trouve dans l'application directe qu'il en fait au roi coupable 2.

C'est pour leur ressemblance avec les moralités de notre fabuliste que j'ai cité quelques versets de l'ancien et du nouveau Testament. Le nom que porte l'apologue en hébreu3, et le nombre des sentences ou proverbes que l'on trouve à la suite des recueils de fables orientales, feroient croire que les Proverbes de Salomon étoient les moralités d'une grande quantité de fables que ce prince avoit composées, et qui sont perdues pour nous.

1 Le Livre des Juges, ch. 1x, v. 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.

2 Si nous ne le savions inspiré, nous serions embarrassés pour donner à la hardiesse de Nathan le nom qu'elle mériteroit. Au xvIIe siècle, un prédicateur turbulent, peut-être ambitieux, car cette passion s'accommode de tous les moyens, eut la coupable audace de faire, dans la chapelle de Versailles, une application aussi directe de ces mots : Tu es ille vir. Il violoit la majesté des lieux et de l'assemblée en transformant en satire personnelle les paroles de charité qui devoient descendre de la chaire chrétienne, et son indiscrétion, blâmable partout ailleurs, devenoit criminelle dans ces circonstances. Les courtisans, étonnés, observent avec inquiétude le monarque; mais Louis XIV ne fait paroître aucune émotion, et se contente de prononcer ces paroles remarquables : J'aime bien à prendre ma part d'un sermon, mais je n'aime pas qu'on me la fasse.

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darec messil, via proverbiorum: en effet, si les proverbes doivent être regardés comme des axiomes, l'apologue conduit la démoustration d'une sentence.

QUI ONT PRÉCÉDÉ LA FONTAINE. сеххіх

Dans les notes manuscrites de M. Adry, on trouve l'indication de quatre fabulistes hébreux, parmi lesquels il faut compter le rabbin Joel, traducteur du livre de Calila et Dimna. Mais, comme il paroît n'avoir connu que les titres de leurs ouvrages, je ne pourrois en rien dire, si je n'avois trouvé une fable de l'un d'entre eux', traduite en latin par Olaüs Celsius, dans son Hiero-Botanicon 2. C'est le sujet du Sapin et du Buisson d'Avianus; mais les interlocuteurs sont le cèdre et le buisson. J'aurois dù l'indiquer à la suite du Chéne et du Roseau, comme je l'avois fait pour celle de l'auteur latin.

BIDPAI OU PILPAI.

On sent bien que je n'ai rien à ajouter à la savante dissertation de M. de Sacy sur les fables que l'on attribue à cet auteur ou à Veeshnoo Sarma, et que l'on s'accorde à regarder comme les plus anciennes qui aient été faites. Je me contenterai de dire quelques mots sur les emprunts que La Fontaine a faits à Bidpaï, et sur les diverses versions que je n'ai pas cru devoir citer.

La réunion de plusieurs ouvrages d'un même genre dans un cadre commun ne doit peut-être pas être regardée comme

1 Berachja (rabbi) ben nittonai Hannikdan : Olaüs Celsius le nomme Rabbi Berechia Hannakdan.

2 Hiero-Botanicon Octavii Celsi, sive de plantis sacræ Scripturæ Dissertationes. Upsaliæ, 1745, 2 vol. 8°., tom. I, pag. 185, verb. Oren. J'ai réuni dans les indications, à la suite de la 22o fable de La Fontaine, celle dont les végétaux employés sout différents. Le buisson, blessé des orgueilleuses paroles du sapin ou du cèdre, lui rappelle qu'il a d'autant plus à craindre les coups de la cognée, que sa stature présente plus d'attraits aux besoins de l'homme. Ces deux fables se confondent si bien dans les idées de ceux qui les entendent conter, qu'un proverbe hébreu, suivant Olaüs Celsius, joint aussi le cèdre au roseau : Sit homo lenis instar arundinis, nec sit durus instar cedri. Saint Ambroise, dans un écrit sur saint Luc, se sert d'expressions si dignes de La Fontaine, que je ne puis m'empêcher de les reproduire ici : Arundines sumus, nulla validioris naturæ radice fundatæ. Si levis asperioris auræ succussus aspiraverit, proximos, etc. Mais j'aurois pu citer encore ces deux vers de l'Art d'aimer d'Ovide, 1. 1, v. 554 :

Horruit ut steriles agitat quas ventus Aristæ:

Ut levis in madida canna palude tremit.

3 A la tête des Fables de Bidpaï, en arabe, Paris, 1876, in-4o.

une invention des écrivains de l'Orient; mais on peut considérer comme leur étant toute particulière cette disposition où ils sont toujours d'entrecouper un récit non terminé par un autre, qu'un troisième interrompra bientôt après, pour donner naissance à plusieurs autres. C'est, il me semble, le caractère distinctif des auteurs asiatiques, et on le retrouve dans leurs écrits, à toutes les époques de l'existence littéraire de ces peuples. Aussi peut-il nous servir à distinguer les unes des autres les fables écrites dans les nombreuses langues de cette partie du monde, et nous appellerons orientales celles dans lesquelles il se présente, et qui se réduisent aux versions ou imitations des apologues dont nous nommons l'auteur Bidpaï, Sendebar, Sanbader, etc. Dans le recueil des autres, chacune est entièrement isolée, et ce sont des traductions plus ou moins libres des fables ésopiques; telles sont celles de Syntipas, de Lockman et de plusieurs autres : aussi ne me suis-je pas permis de les citer.

Parmi les fables grecques d'Ésope on en retrouve plusieurs qui appartiennent à Bidpaï; et quelques personnes, en faisant cette remarque, ont pensé que le Phrygien auroit bien pu, dans ses voyages en Asie, avoir eu communication des fables orientales. Il seroit difficile de résoudre une semblable question; mais il me semble plus naturel de regarder les fables dont nous parlons comme ayant été ajoutées à celles d'Ésope par les Grecs du Bas-Empire; et la chose est d'autant plus probable, que le fabuliste indien avoit été traduit en leur langue par Siméon Seth, dans le x11° siècle. Quelques-unes de ces fables orientales ont été prises dans Ésope par La Fontaine; mais c'est dans l'ouvrage même de Bidpaï qu'il a trouvé celles qu'il a employées dans ses derniers livres, c'est-à-dire après 1671. On s'est demandé comment il avoit pu connoître des sujets que n'offroient point encore les traductions incomplètes du fabuliste indien, tel est, par exemple, celui de la fable 204: le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi, qui n'est pas dans la version française de 1644. Sans parler des versions latines et italiennes qu'il auroit pu consulter, son compatriote P. L'ar

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