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tumulaire avec une inscription moderne en l'honneur de Conradin et de Frédéric (1). Mais rien ne prouve que ce soit là, comme le prétend la tradition, la sépulture réelle du dernier des Staufen. Il est plus probable qu'Elisabeth obtint seulement de Charles d'Anjou l'autorisation de faire en ce lieu une fondation pieuse pour le salut de l'âme de son fils. Les historiens napolitains vont jusqu'à prétendre qu'elle se rendit à Naples sur une galère toute noire, qu'elle racheta à prix d'argent le corps de Conradin pour le déposer dans l'église del Carmine, et que la statue qui la représentait une bourse à la main (2), faisait allusion à cette circonstance. Ce sont-là des assertions dénuées de preuves et même, à mon avis, de vraisemblance.

Nous avons recueilli avec un soin scrupuleux les principaux détails fournis sur cet événement par les témoins oculaires ou par les contemporains, en écartant tout ce qui présentait le caractère de la légende ou du roman. Car cette catastrophe 'frappa trop vivement les esprits, pour que la vérité, en passant de bouche en bouche, ait pu échapper aux altérations et aux exagérations ordinaires. Ce serait perdre du temps, que de s'arrêter à la réfutation de récits pour la plupart controuvés. Il est cependant une version qui, émanant de Riccordano Malespini, historien très-grave, et répétée d'après lui par Villani et les annalistes de l'âge suivant, a obtenu un certain degré de créance. Selon ces auteurs, le jeune comte Robert de Flandre, gendre de Charles d'Anjou, assistant à la lecture de la sentence de mort, n'aurait pu maîtriser son indignation: « Ribaud, se serait-il écrié en s'adressant au protonotaire, est-ce à toi de condamner un si noble et si gentil seigneur? » Et s'élançant sur l'échafaud, il l'aurait frappé mortellement d'un coup de poignard. Or, rien n'établit que Robert de Flandre fût présent à Naples en ce moment. Au contraire, nous lisons dans une chronique locale, que le 18 octobre, jour de saint Luc, la nouvelle épouse de Charles d'Anjou, Marguerite de Bourgogne, arriva avec un grand cortége à Reggio en Modenais et s'y arrêta; et que Robert de Flandre, sans doute envoyé par le roi au-devant d'elle pour lui faire honneur, vint de son côté à Reggio à la fin du mois (3). Quant au protonotaire Robert de Bari, nous le retrouvons très-vivant et toujours en faveur, le 15 décembre suivant, jour où il fit expédier un diplôme royal en faveur du couvent de Rocca Pie di Monte (4).

Cette tradition un peu théâtrale n'a donc aucun caractère d'authenticité. J'es

le plus précis : « Constructa est ecclesia Sanctæ-Mariæ de Carmino quam tunc construere et fabricare fecit mater ejusdem Conradini et ibi fecit illum sepeliri.>>

(1) Cette inscription fut placée dans le dernier siècle par les soins de Michele Vecchioni, Di Cesare, la colonna di Corradino, p. 4, note 1.

(2) Cette statue probablement érigée par les Carmes et longtemps placée au coin de leur couvent est aujourd'hui mutilée et oubliée dans un magasin du musée des Studi.

(3) Mémorial des podestats de Reggio dans Muratori, Script. t. vi, p, 1128.

(4) « Datum in civitate Nuceriæ in castro ipsius civitatis per manum magistri Guffridi de Belmonte cancellarii et Roberti de Baro protonotarii regni Siciliæ, anno Domini MCCLXVIII, mense decembris die xv, indictione XII. » Ap. Summonte, Hist. di Napoli, lib. 1, p. 215.

père prouver qu'il en est de même d'une autre tradition qui mérite d'être discutée plus à fond à cause des conséquences historiques qu'on en a prétendu tirer.

C'est une opinion commune que Conradin au moment de mourir, jeta son gant dans la foule comme pour appeler un champion et un vengeur; que ce gant fut ramassé par Henri de Waldbourg et porté à Pierre, roi d'Aragon; que ce prince se considérant comme l'héritier de la victime, se prépara à faire valoir ses droits; que ce fut là l'origine des Vêpres Siciliennes, de la guerre qui en résulta, et de la division du royaume de Naples en deux États indépendants et ennemis.

Une telle opinion, si fortement enracinée, ne repose pourtant non-seulement sur aucune preuve sérieuse, mais même sur aucune apparence de preuve. Le premier qui l'ait énoncée d'une manière formelle (1), est Jean abbé de Victring en Carinthie, dont la chronique va jusqu'en 1344, écrivain par conséquent bien postérieur, et d'ailleurs éloigné du théâtre des événements. Cette assertion se retrouve plus tard dans Æneas Sylvius, qui avant d'être pape sous le nom de Pie II, écrivit, vers la seconde moitié du xve siècle, une histoire de l'empereur Frédéric III, et y inséra, avec force erreurs, un récit de l'expédition et de la mort de Conradin (2). C'est donc bien longtemps après la catastrophe que l'on supposa cette scène pathétique dans l'intérêt de la maison d'Aragon.

Il n'est point absolument impossible, malgré le silence des historiens contemporains, que Conradin, au moment de mourir, ait voulu, en jetant son gant, donner comme une investiture symbolique, ou plutôt qu'il ait désigné à haute voix son héritier, ainsi que l'affirme Pierre de Prece dont nous discuterons plus bas le témoignage. Mais à coup sûr, il n'était nullement question de Pierre d'Aragon, époux de Constance, fille de Manfred. Conradin élevé par une mère allemande était un vrai Souabe, un allemand de race et de cœur. Il ne pouvait aimer Manfred, que son père Conrad avait disgracié et persécuté comme suspect d'aspirer au trône. Comment aurait-il institué pour son héritier le gendre de ce Manfred, flétri par lui-même, dans son manifeste, des noms de parjure et d'usurpateur? Comment aurait-il pu songer à léguer le royaume de Sicile à Constance, fille d'un bâtard et femme d'un étranger, tandis qu'il lui restait encore une tante, Marguerite de Souabe, fille légitime de Frédéric II, et mariée à Albert landgrave de Thuringe. Le simple bon sens suffit pour réfuter de pareilles impossibilités. De son côté, Pierre d'Aragon n'eut jamais l'idée d'invoquer ce prétendu legs, qui eût paru aux contemporains une imposture manifeste. S'il devint roi à la suite des

(1)« Chiroteca in aera projecta, omne jus quod in regno Siciliæ habuit et Apuliæ Petro regi Aragoniæ et filiis suis Petro et Friderico per quemdam militem proximis consanguineis destinavit. » Joann. Victor. ap. Boehmer, Fontes, I, 295.

(2) Histor. rer. Frider. imperatoris, p. 33 à 37 (Argentorati, 1685.) Quant aux historiens napolitains, le premier qui parle de ce fait est Collenuccio, lib. IV, p. 219: «Aşseruit hæredem se instituere Fredericum Castellanum, amitæ suæ filium.» Mais Frédéric de Castille n'était point le parent de Conradin à ce degré, et il ne se prévalut jamais de ce prétendu droit de succession. Collenuccio est donc à côté de la vérité. Ce fils de la tante de Conradin n'est autre que Frédéric de Thuringe.

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Vêpres Siciliennes, s'il profita d'un événement qu'il n'avait ni préparé ni prévu (comme l'a si bien démontré M. Amari), c'est parce qu'il croisait alors avec sa flotte sur les côtes d'Afrique, et que les Siciliens virent en lui un rival naturel à opposer à Charles d'Anjou. Pierre d'Aragon savait cela mieux que personne, et quand plus tard il voulut ajouter à sa royauté de hasard le prestige d'un droit antérieur, ce fut la succession de Manfred qu'il réclama et non celle de Conradin (1).

Au contraire, le fils de Marguerite comme allemand, comme descendant légitime et direct de la maison impériale, était le vrai représentant des droits des Souabes sur la Sicile. Ce fut lui, en effet, que Conradin voulut désigner ou désigna réellement, par la même raison que Conrad en mourant avait nommé pour son héritière, en cas d'extinction de la branche masculine, sa sœur Marguerite qui n'avait pas alors d'enfants (2). Quoi qu'en dise le savant Raumer (3), cette désignation n'est point en contradiction avec les dispositions testamentaires faites par Conradin en faveur des ducs de Bavière ses oncles. En donnant tous ses biens, il n'entendait point que la royauté de la Sicile y fût comprise; dans la jurisprudence du moyen âge la couronne n'était point un fief, et le droit royal était inaliénable. Le texte où nous puisons les éléments de cette discussion et qui porte le nom de Pierre de Precio (4) a été regardé à tort, selon nous, comme une vaine déclamation, et même M. de Saint-Priest, dans son histoire récente de Charles d'Anjou, n'hésite pas à le déclarer apocryphe (5). Comment se fait-il que Pipino, écrivain très-exact et qui appartient à la génération suivante, en ait inséré dans sa chronique à titre de pièce à l'appui un long passage, lequel se retrouve mot à mot dans les manuscrits publiés depuis par Smincke (6). Si cette preuve est puissante pour établir l'authenticité du texte, la position personnelle de l'auteur n'est pas moins concluante en faveur de l'autorité de ses paroles.

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Pierre de Precio, ou plus exactement de Prece, n'est point un personnage ima

(1) C'est ce qui ressort des termes mêmes de sa lettre de défi adressée à Charles d'Anjou : Namque hæreditaria jura regni Siciliæ, ducatus Apuliæ et Capuæ principatus serenissimæ dominæ uxoris nostræ filiæ regis Manfredi, amitæ regis Conradi, prosequimur. » Ap. Petr. de Vineis, 1, XXXIX.

(2) Voyez le passage de Pierre de Prece cité plus bas.

(3) Gesch. der Hohenstaufen, t. IV, p. 617 note.

(4) « Præsens opusculum quod Petrus de Precio quamvis facundis verbis non conditum... compegi. » Adhortatio, § vi.

(5) « Il existe bien, dit-il, un autre testament de Conradin en faveur de Marguerite, il a été imprimé sous le titre : Adhortatio ad Henricum illustrem, etc. Quoiqu'on en conserve un manuscrit à léna et un autre à Gottingue, cette pièce, qui paraît ancienne, est certainement apocryphe. t. I. p. 153, note 1.

(6) « Adhortatio ad Henricum illustrem landgravium Thuringiæ et marchionem Misniae in qua non solum fatalem casum Conradini describit, sed et Margaretham Friderici I imperatoris filiam Alberti marchionis Misniae uxorem veram Conradini hæredem in regno Siciliæ ex testamento tam fratris quam nepotis institutam fuisse testatur. » Leyde, 1745. In-8°.

ginaire. Un historien étranger a écrit sa vie (1), et quoique nous n'ayons pu nous procurer cet ouvrage, rare même en Allemagne, ce que nous en savons d'ailleurs suffit à notre sujet. C'était un légiste qui avait fidèlement servi Frédéric II et Conrad. Nous le voyons à la cour de Manfred figurer comme témoin dans un traité d'alliance conclu entre ce prince et la république de Sienne au mois de mai 1259 (2). A l'époque de la conquête de Charles d'Anjou, ne voulant pas obéir à un maitre étranger, il abandonna femme, enfants et richesses, passa en Allemagne, s'attacha à Conradin et l'accompagna dans son expédition; le 10 janvier 1268, à Vérone, il contribua à régler, en qualité de protonotaire, l'indemnité que réclamait le duc Louis de Bavière, pour les dépenses faites par lui dans l'intérêt du prétendant (3). Par un diplôme inédit de la même époque, mais où il porte le titre de vice-chancelier, Pierre de Prece reçoit, en échange de fiefs qui lui avaient été d'abord concédés par Conradin, les châteaux de Vico et d'Ischitella, dans le comté de Lesina, avec toutes leurs dépendances et à titre héréditaire (4). La défaite et la mort de Conradin renversent ses espérances sans détruire son attachement pour la maison de Souabe. Ce n'est plus en Bavière qu'il se retire, c'est à la cour de Thuringe; c'est là qu'est pour lui le véritable héritier de Conradin; c'est au grand-père du jeune Frédéric, quand la fille de l'empereur Frédéric II est encore vivante pour représenter les droits de sa maison (5), qu'il dédie son exhortation et ses conseils. Or, le témoignage d'un homme si considérable, qui a vécu dans l'intimité des princes précédents et qui a vu les choses de près (6), n'est point à rejeter légèrement. Voici comment il s'explique en s'adressant au fils de Marguerite « La crainte du glaive nu, déjà levé sur sa tête, n'empêcha point Conradin de proclamer à haute voix et d'attester que tu étais son universel héritier, celui à qui il laissait à perpétuité ses royaumes aussi bien que son duché de Souabe (7); .... de même que jadis le roi Conrad, par acte de sa dernière volonté, légua à ton illustre mère le royaume de Sicile et le duché de Souabe, à défaut du même Conradin son jeune fils. Si bien qu'à cette époque la généralité des habitants de la Sicile et de la Calabre, selon la teneur du testament, lui prê

(1) Mosheim, Vita Petri de Pretio. Gottingue,....., 4o.

(2) Acte cité par de St.-Priest, Hist, de Charl. d'Anjou, t. 11, { ièces justificatives.

(3) « De certa nostra et consulum ac officialium nostrorum conscientia, videlicet Ruperti Filmagerii magistri expensarum nostrarum, magistri Petri de Prece prothonotarii curiæ nostræ, etc. » Acte de Conradin, ap. Monum Bo.c., t. xxx, p. 369,

(4) Voir le diplôme à la fia de cette dissertation.

(5) & Accedit in subsidium partis tuæ quod ex augusto divo Cæsare Friderico nullus hæres legitimus superest præter tuam solummodo genitricem. Adhortat. § XXI. Comme Marguerite chassée par son mari mourut en exil le 8 août 1270, ce passage où il est question d'elle place la rédaction de l'Adhortatio en 1269.

(6) Quæque ipse miserrima vidi et quorum pars magna meis fere præ sensibus acta fait. » Adhortat. § v.

(7) « Quin alta voce proclamans... publice testaretur te suum hæredem videlicet constituens universalem, cui tam regna sua quam et ducatum Sueviæ perpetuo relinquebat. » Adhortat. § XX.

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JANVIER 1851.

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tèrent serment de fidélité et d'hommage. Celui qui a vu ces choses rend témoignage à la vérité, et son témoignage ne peut être contesté (1). »

En présence d'une assertion si positive, d'une déclaration si solennelle, est-il permis de supposer que Pierre de Prece aurait voulu abuser, par un grossier mensonge, la famille de Marguerite? Loin de là, il parle des dispositions testamentaires de Conrad et de Conradin, comme de faits authentiques, et qui, en réalité, étaient admis comme tels par tout le parti gibelin. Si le légitime héritier de Conradin ne put jamais faire valoir sérieusement ses droits, nous avons la preuve que du moins il prit le titre de roi et qu'il fut toujours reconnu en cette qualité. En 1269, l'année même qui suivit la mort de Conradin, le jeune Frédéric adressait au comte Ubertino Landi de Plaisance des lettres où il se qualifiait de Frédéric III, roi de Jérusalem et de Sicile, duc de Souabe, landgrave de Thuringe, comte palatin de Saxe, par lesquelles il lui faisait savoir, comme à son féal, qu'il se préparait à descendre en Italie avec une puissante armée de chevaliers allemands, pour recouvrer ses droits et secourir ses partisans (2). En 1271, dit une chronique manuscrite citée par les historiens pavesans, le comte Enrighetto Sparvara, citoyen de Pavie, au nom de cette commune, et d'accord avec le marquis de Montferrat, se rendit en Allemagne pour hâter l'expédition et inviter Frédéric III, roi de Sicile, à venir en Italie avec ses Allemands. Un fils naturel de Frédéric II, Enzio, alors prisonnier à Bologne, désigne Frédéric de Thuringe comme un de ses exécuteurs testamentaires, et l'appelle également, dans cette circonstance, Frédéric III, son très-cher neveu (3). C'est encore au même Frédéric que plusieurs villes de la Toscane et de la Lombardie envoient des ambassadeurs en 1281 pour le supplier de régner sur elles et de les protéger contre leurs ennemis (4). Mais les démêlés du fils de Marguerite avec son père Albert, que l'histoire a surnommé le dépravé, l'empêchèrent de mettre cette bonne volonté à profit. Tous ces faits précèdent la révolution qui fit passer la Sicile aux mains de la maison d'Aragon; et si les Siciliens, ayant recouvré leur indépendance, se donnèrent au prince qui pouvait le mieux les défendre, ils ne perdirent pas de vue l'héritier réel que Barthélemy de Néocastro, historien contemporain, nomme aussi Frédéric III de Slaufen (5). Cela est si vrai qu'à l'époque où Jayme d'Aragon, sollicité par le Pape, paraissait disposé à rendre la Sicile à la maison d'Anjou, le parti national, par l'organe de Pandolfo de Falcono, noble messinois, lui adressa ces paroles significatives:

(1) Et qui vidit testimonium perhibet veritati, cujus testimonium procul dubio non est falsum. » Adhortat., ibid.

(2) Chronic. Placent. ap. Muratori, Script., XV1, 476. — L'empereur Henri de Luxembourg, dans un diplôme daté de Pise le 14 juillet 1313, énonce les concessions faites au comte Ubertino Landi le vieux per sacræ memoria Fredericum 11 Dei gratia Siciliæ regem. Poggiali, memor. stor. di Piacenza. t. VI, p. 215.

(3) Voir le testament d'Enzio dans Petracchi et Savioli.

(4) << Petentes ut dignaretur eis præesse et eas defendere contra inimicos. » Chronic. Thuring. ap. Tentzel, de Frederico admorso, p. 918.

(5) « Ex quibus natus fuit Fridericus tertius dictus de Estauffis (sic) » ap.Muratori, Script,, t. XII, p. 1015.

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