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seize ans à peine (1). Il était d'une rare beauté (2), s'exprimait éloquemment en latin (3) et composait des poésies allemandes (4). Mais élevé en Bavière par sa mère et par ses oncles, il paraît avoir été mal instruit de l'état de l'Italie, de la vraie disposition des esprits et de la nature même de la lutte de principes où il s'engageait avec de trop faibles ressources. Telle est ordinairement la situation des prétendants; c'est là leur malheur, mais peut-être aussi leur excuse. Fort de son droit, Conradin ne sut pas tenir compte des événements décisifs qui venaient de s'accomplir sans lui et contre lui. Dans le manifeste qu'il publia à son entrée en campagne, dans les priviléges qu'il distribua à ses partisans, nous le voyons constamment préoccupé du désir de reconquérir l'Empire qu'il disait tenir de ses pères au même titre que le royaume de Naples (5). Le Pape (c'était alors un Français, Clément IV) s'irrita et s'effraya à la fois de ces prétentions excessives. Fallait-il donc renoncer à un triomphe si chèrement obtenu et qui dans la pensée constante des souverains Pontifes était le seul moyen d'assurer l'indépendance du Saint-Siége? Clément IV ne devait pas hésiter; il excommunia Conradin pour avoir bravé les défenses de l'Église (6). Mais le jeune prince (et c'est bien là ce qui prouve son inexpérience politique) ne pouvait s'expliquer le motif de sa condamnation, et dans son manifeste il s'exprime à ce sujet avec un éton-nement naïf et douloureux : « Quel mal avons-nous donc fait, ô sainte mère Église, pour que tu agisses comme une marâtre à l'égard de ton fils dévoué, » de ton pupille, de l'enfant jadis confié à ta tutelle? En quoi t'avons-nous » offensé, vénérable père?..... Peut-être considères-tu comme un grand >> crime que nous soyons vivant; c'est le seul du moins que nous nous connais>> sions (7)? >>

Conradin était entraîné par les brillantes promesses des Gibelins italiens, par les reproches des Allemands qui gourmandaient son oisiveté (8), mais surtout

(1) Il était né le 25 mars 1252, et avait par conséquent quinze ans et demi quand il partit pour l'Italie, et seize ans et demi quand il mourut.

a

(2) « Pulcherrimus. » Monach. Pad. Chronic. ap. Urstis. 1, 622. Fierret. Vicent. hist. ap. Muratori, Script. t. 1x, 348.

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(3) « Litteratus juvenis fuit et latinis verbis optime loquebatur, » Chronique inédite de Salimbene,

(4) Un Mss. des Minnesanger à la Bibl. nat. de Paris renferme avec les chansons de Conradin un beau portrait de lui en miniature.

(5) « Cum ad fastigium Romani imperii electi et creati fuerimus. Cum ad imperialis dignitatis culmen ad quod progenitorum nostrorum imitantes vestigia non immerito aspiramus, scandere nos Deo auctore contigerit. » Documents du 11 janvier 1267 et du 7 juillet 1268. «Ut illud magnificam genus nostrum quod jam longis et antiquis temporibus imperavit nostra non degeneret in persona. » Protestatio Conradini, p. 249–250.

(6) In octavis Beati Martini (19 novembre 1267), Lettre du pape, dans Martene, Thes. 2, 544.

(7) a Forte verumtamen gravem offensam reputas quod vivimus super terram; cum sciat Deus, nos aliam nescimus, » Protestatio, p. 249.

(8) Quietem enim quæsivit et ad hoc a vulgo ignominiam multam suscepit: nam de co carmina prava decantaverunt. » Joh. Viltodur. ap. Eccard., Corp. Hist. 1, 1741.

par son propre courage. Sa mère avait inutilement essayé de le retenir; ses oncles le conduisirent jusqu'à Vérone, puis l'abandonnèrent emmenant avec eux leurs feudataires (1). L'argent des Gibelins se fit attendre (2), et l'armée du prétendant fut bientôt réduite de dix mille hommes d'armes à trois mille. Conradin toutefois se mit en marche avec son cousin Frédéric de Bade, à qui le roi de Bohême, Ottokar, avait enlevé le duché d'Autriche; triste conformité de deux destinées vouées également à la ruine et à la mort! Il arriva à Pavie, et de là traversant les Alpes liguriennes, s'embarqua dans un petit port près de Savone et fut conduit à Pise sur les galères de cette république. En apprenant son arrivée en Toscane, Clément IV, qui avait mandé Charles d'Anjou auprès de lui, lança de Viterbe, le 12 avril 1268 (3), une sentence de proscription contre Conradin et ses adhérents, le déclarant déchu, non-seulement de tout droit sur la Sicile, mais aussi de la royauté de Jérusalem et du duché de Souabe. Les termes de la bulle se ressentent de l'ardente polémique de cette époque et annoncent en même temps la vivacité de la colère du Pontife : « De la racę du >> serpent venimeux, s'écrie-t-il, est sorti un roitelet qui déjà empoisonne de son » souffle les pays de Toscane. Partout il envoie ses émissaires, rejetons de >> vipères, hommes de pestilence, traîtres envers nous, envers l'Empire, qui » est vacant, envers notre très-cher fils en Jésus-Christ, Charles, roi de » Sicile (4). »

En effet, le mouvement gagnait de proche en proche, depuis les Alpes jusqu'à l'extrémité de la Sicile. Rome même, toujours turbulente, venait de se soulever contre l'autorité du Pape et de Charles d'Anjou. Le nouveau sénateur, Henri de Castille, appelait le jeune prince et offrait de mettre à son service sa propre épée et un corps d'aventuriers dont il disposait. Conradin quittant Pise passa à Sienne et bientôt parut devant Viterbe où Clément IV célébrait alors les fêtes de la Pentecôte. « Ne craignez rien, dit-il aux cardinaux effrayés, ce jeune homme » est entraîné par des, méchants, c'est un agneau qu'on mène à la boucherie. » Soyez sûrs de cela comme d'un article de foi (5). » Et montant sur les remparts il assista au défilé de l'armée ennemie qui s'éloignait dans la direction de Rome. L'entrée de Conradin dans la ville éternelle causa un bruyant enthou

(1) Monach. Pad, Chronic. ap. Urstis. 1, 623.

(2)Manfredi Maletta, entre autres, l'un des plus puissants seigneurs napolitains, avait promis 16,000 onces d'or et mille chevaliers à sa solde, et il ne remplit aucun de ses engagements. Voir à la suite le diplôme inédit.

(3) Voir la lettre à l'évêque d'Albano dans Martene, Thes. 11, 584.

(4) « De radice colubri venenosi egressus regulus suis jam inficit flatibus partes Tuscia: viperarum genimina, viros utique pestilentes tam nostros quam vacantis imperii et carissimi in Christo filii nostri C. Siciliæ regis proditores ad diversas destinat civitates. » « Conradinus qui de venenosa radice colubri tortuosi prodiisse videbatur in regulum, quique ad exterminium romanæ matris Ecclesiæ manifestis indiciis una cum suis fautoribus aspirabat. » Cf. Raynaldi, Martene, et Corp. jur. canon., cap. 17 ad ann. 1278.

(5) Jacques de Voragine, témoin oculaire, rapporte textucilement ces paroles dans Muratori, Script. t. IX.

siasme. Les tambours, les violes, les clairons, les chœurs de musique accueillirent son arrivée. Le sol des rues était tapissé de riches étoffes et de fourrures, les maisons tendues de draps d'or et de soie; de l'une à l'autre étaient jetées des cordes où les habitants avaient suspendu leurs parures, leurs plus belles armes, leurs bijoux les plus précieux (1). Au milieu de cette pompe, qui aujourd'hui nous paraîtrait étrange, Conradin fut conduit au Capitole d'où il harangua le peuple romain. On lui répondit en poussant des cris de joie et en le proclamant le légitime héritier des Césars. Il partit plein d'espoir, le 18 août, s'avançant vers l'Abruzze par Tivoli et par Vicovaro, pour opérer sa jonction avec les Sarrasins de Lucera, qui étaient dévoués à sa personne et à sa race.

Charles d'Anjou lui barra le chemin près d'Alba. On sait quel fut le résultat de la journée de Scurcola (23 août); et d'ailleurs j'ai hâte d'arriver au principal objet de ce travail. Qu'il suffise de rappeler que Conradin, vaincu par le stratagème d'Erard de Valery, au moment même où il se croyait sûr de la victoire, réussit à s'échapper avec quelques-uns des siens et à gagner les États romains. Rien ne se sait plus vite que les mauvaises nouvelles. Le bruit de sa déroute était arrivé à Rome avant lui. Henri de Castille étant resté prisonnier du vainqueur, le parti guelfe relevait la tête, et les affaires s'y trouvaient dans une confusion inexprimable. Conradin se glissa incognito dans cette ville, où peu de temps auparavant il avait fait une entrée si triomphale (2). Bientôt même, ne s'y croyant plus en sûreté, il en sortit sous des habits grossiers, avec Frédéric de Bade, Gualvano Lancia, le fils de Gualvano et d'autres encore, se dirigeant vers les bords de la mer, afin de s'embarquer pour Pise ou pour la Sicile. Les fugitifs parvinrent à un petit fleuve qui sépare la campagne de Rome des marais Pontins, près du château d'Astura, lieu funeste aux proscrits. Non loin de là Cicéron fuyant vers Gaële avait tendu la gorge au fer des assassins. L'arrivée d'étrangers qui demandaient une barque, l'élévation du prix qu'ils en offraient, inspirèrent des soupçons au châtelain. Il leur fit d'abord donner de mauvais rameurs, puis se mit lui-même à leur poursuite, espérant en tirer rançon, et il ne tarda pas à les atteindre. En reconnaissant en lui Giovanni Frangipani, un de ces Gibelins romains dont la famille avait embrassé la cause de la maison de Souabe, Conradin et ses amis n'hésitèrent pas à se confier à sa loyauté. Le pirate, indécis, les ramena à Astura, où il se vit pressé par les réclamations de Charles d'Anjou. Il refusa d'abord et fit même transférer ses captifs dans un château voisin; mais Robert de Lavena, capitaine des galères provençales, étant venu assiéger par mer Astura, tandis que le cardinal Giordano de Terracine fermait tcute issue du côté de la terre, Frangipani se décida à livrer les prisonniers. Chartes, occupé à poursuivre les débris de l'armée vaincue, s'avança rapidement avec un corps de cavalerie et vint les recevoir lui-même à Gensano, entré Al

(1) Saba Malaspiná, ap. Muratori, Script. t. vII, p. 842 et suiv.

(2) Voir Saba Malaspina, loco supra citato ; c'est la meilleure source pour tout ce qui est relatif à la fuite de Conradin:

bano et Vellétri. Il fit aussitôt décapiter, sans forme de procès, Gualvano Lancia et son fils, avec quelques nobles de la Pouille (1), et fit garder étroitement Conradin et ses autres compagnons dans les prisons de Palestrine (2).

Ce roi était un prince habile, mais un fort méchant homme. Il avait bien compris que le centre du soulèvement étant à Rome, c'était là qu'il devait se porter tout d'abord pour profiter de la terreur qu'avait inspirée sa victoire. Mais avant d'y entrer il fit couper les pieds à tous les Romains qui l'avaient trahi et que le sort des armes lui avait livrés. Puis, comme il craignait que la vue de ces malheureux n'indisposat la population, on les enferma dans une maison palissadée et on les y brûla vifs (3). Alors il reprit possession de la dignité sénatoriale (4) et siégea à son tour en maître au Capitole. Vers la fin du mois de septembre (5) il quitta Rome, vint reprendre ses prisonniers à Palestrine et les traîna à sa suite dans toutes les villes de la Campanie et de la terre de Labour, donnant au peuple le spectacle de leur abaissement (6). C'était le prologue du drame. Selon l'expression d'un contemporain qui joue sur le mot Astura, a lè lion avait arraché l'aiglon à la serre de l'autour afin de le déplumer et de lui couper la

tête : »

Asturis ungue leo pullum rapiens aquilinum

Hic deplumavit acephalumque dedit (7).

Pour apprécier sous son vrai jour le procès de Conradin, il faut se reporter à l'esprit du temps. Un excommunié n'était justifiable que de l'Église; mais la sentence qui pesait sur lui une fois levée, l'accusé était livré au bras séculier. Quelques cardinaux du parti angevin, à la demande de Charles, relevèrent Conradin des censures ecclésiastiques (8). Mais on peut conclure des expressions de Malaspina et de la conduite de Charles pendant le procès, que cette 'absolution fut limitée aux faits politiques dont l'Église avait à se plaindre, et que la question religieuse fut réservée. Le roi, qui voulait éviter un conflit de juridiction, persuada, sans doute, au jeune prince qu'en se reconnaissant coupable envers.

(1) Cf. la chronique de la Cava dans le texte donné par M. Pertz, la chronique inédite de Salimbene, le méniorial des podestats de Reggio, et la lettre de Charles d'Anjou citée par M. de St. Priest dans son histoire de ce prince.

(2) Et ductus fuit ad Palestrinam in carceribus. » Salimbene,

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de Reggio ap. Muratori, Script. vi, 1127.

(3). Saba Malaspina, locò supra citato.

(4) Monach. Pad. Chronic., loco supra citato.

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·Memorial des podestats

(5) Il était encore à Rome le 28 septembre: privilége pour Notto Salimbeni cité par M. de St.-Priest.

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(6) Ut ipsos sic captivos videret omnis homo. » Chronic. cavense, ap. Pertz, v, 195. «Post multas ex eo factas ostentationes ad pompam per Campaniam usque Neapolim post se traxerat compeditum.» Pierre de Prece cité par Pipino ap. Muratori, Script. 1x, 685. (7) Distique inscrit plus tard sur le monument élevé à la mémoire de Conradin.

(8) « Ut faciat rex de vitulo superstite victimam, Conradinum recognoscentem sæpius contra matrem Ecclesiam deliquisse nec minus contra regem ipsum vehementer errasse, procuravit per quosdam Ecclesiæ cardinales illuc propterea per sedem apostolicam destinatos absolvi. » Saba Malaspina, loco supra citato.

l'Église, il échapperait à la mort. Quant à Clément IV, il s'abstint pour le moment de ratifier ou de compléter une absolution donnée dans un but trop politique pour être tout-à-fait chrétien. Le silence gardé sur ce point important par les historiens contemporains et par le Pontife lui-même, nous paraît un fait significatif.

En effet, il n'était point dans l'intérêt des Papes que Conradin cessât de vivre; c'était au contraire un otage précieux à conserver; Charles d'Anjou gagnait seul à la mort de ce jeune homme, si généreux, si vaillant, si redoutable par ses droits et par l'amour des siens. Clément IV, qui commençait à se défier de l'ambition et de la violence de son allié, eut un instant l'idée d'évoquer l'affaire à son propre tribunal et de se faire remettre les prisonniers, qui, d'après les idées contemporaines, n'étaient coupables qu'envers l'Église (1). Mais le roi n'avait garde de livrer Conradin entre les mains du Pape. C'eût été lui donner un garant de son obéissance absolue, et il savait que le Pontife n'oserait démentir ouvertement la politique inflexible dont il affectait toujours de se dire l'humble et docile instrument. Il convoqua donc, à Naples, deux syndics de chaque ville de la terre de Labour et de la Principauté, provinces qui lui étaient entièrement soumises. D'ailleurs, dans ces premiers temps de la conquête presque tous les offices étaient occupés par des étrangers. Ce qui prouve que l'absolution n'était point définitive, c'est que le roi, qui s'était réservé le rôle d'accusateur, eut soin de mettre l'Église en cause, comme pour l'associer à sa vengeance. Cependant, dès que le débat commença, la plupart des juges déclarèrent que Conradin ne méritait pas la mort (2). Un célèbre jurisconsulte, Guido de Suzzara, présentant la défense des accusés, Charles l'interrompit en disant : « Ils ont brûlé des » monastères. — Il n'est point constant, répondit l'intrépide légiste, qu'ils aient » ordonné cela; il arrive souvent que les ribauds qui suivent les camps se » plaisent à de telles violences. » Cette allusion au pillage de Bénévent dont s'était souillée l'armée conquérante, rejetait à Charles d'Anjou sa propre accusation. Quand on recueillit les voix, il n'y eut qu'un juge, provençal de nation (d'autres disent Robert de Bari, protonotaire du royaume), qui osa voter la mort. Le roi se contentant de ce seul avis, passa outre et confirma la sentence (3).

Lorsque Clément IV vit s'engager ce procès, dont l'issue ne pouvait être douteuse, il consentit alors à lever l'excommunication, pour adoucir au moins à ces malheureux enfants le passage de la jeunesse à la mort. Un religieux de Sienne, renommé pour son éloquence, Ambrogio Sansedoni, servit d'intermédiaire auprès de lui. « Conradin, dit l'hagiographe, ayant donc recours au saint homme

(1) « Sunt qui dicant per pontificem et cardinales ut Conradus et cæteri in eorum potestatem et carcerem venirent fuisse decretum; quod ne accideret Karolus sategit. » Ricobald. Ferrar. et Pipino ap. Muratori, Script. t. vIII, 137, t. IX, 684.

Uno

(2) Plurimorum tamen erat sententia Conradinum non esse reum mortis. excepto omnes alii dicunt quod non est dignus morte. » Ricobald. Ferrar. et Pipino, lɔcis supra citatis. — Jacob. de Aquis, Chronic, imag, mundi ap. Moriondi, Mon. aquens, ir, 160. (3) Cf. Ricobald. Ferrar. et Pipino, locis supra citatis.

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